• Photo poche sort ce mois un coffret de trois petits livres, qui présentent quelque 190 femmes photographes, du XIXème siècle à aujourd’hui.
  • Le résultat est un remarquable travail, foisonnant de photos de reportages, de croquis surréalistes, de surimpressions oniriques, de visages de femmes hilares.
  • « Il n’y a pas qu’un regard féminin, il y a plusieurs regards féminins », commente pour 20 Minutes Clara Bouveresse, historienne de la photographie.
  • 20 Minutes vous présente trois de ces femmes qui ont marqué la photographie.

C’est à la fois un objet passionnant d’histoire de la photographie, et un émouvant témoignage de la créativité des
femmes artistes. Pour une somme très modique, Photo poche sort ce mois un coffret de trois petits livres*, qui présentent quelque 190 femmes photographes, du XIXe siècle à aujourd’hui.

L’initiative en revient à Robert Delpire, patron de la collection, marqué par le documentaire Objectif femmes, réalisé en 2015. A la suite du visionnage, il fait l’inventaire de sa collection, et comprend qu’elle ne comprend qu’une dizaine de monographies de femmes, sur 159 titres. En plus de chercher désormais à rééquilibrer la collection, il commande un coffret de trois volumes à l’historienne de la photographie Clara Bouveresse, accompagnée de la photographe Sarah Moon pour la sélection iconographique.

Le résultat est un remarquable travail, foisonnant de photos de reportages, de croquis surréalistes, de surimpressions oniriques, de visages de femmes hilares. Divisé en trois volumes, le coffret présente trois périodes, celle de « l’ouverture des possibles », de la fin du XIXe au début XXe – le temps des pionnières, des inventrices sans carcan – ; celle de « l’envers de l’objectif », au milieu du siècle, quand les femmes revendiquent une approche plus subjective que leurs confrères ; et enfin « les voies de la reconnaissance », où elles acquièrent plus de notoriété, et cela, sur toute la planète.

20 Minutes vous présente trois femmes photographes, tirées de chacun des trois ouvrages.

Ellen Auerbach (1906 – 2004)

Couverture du tome 1.

Ellen Auerbach a débuté la photographie à Berlin, où elle a rencontré Grete Stern. L’amitié personnelle et professionnelle d’Ellen et Grete est symbolique des échanges fructueux qui se tissent entre femmes artistes durant cette période, selon Clara Bouveresse : « Elles travaillaient ensemble, ont ouvert un studio. Il y a une dimension collaborative passionnante. » La photographie n’a pas été encore totalement accaparée par les hommes, et les femmes de cette époque ont tout un terrain d’expérimentation qui s’ouvre à elles.

Komol, publicité pour une teinture capillaire, illustre bien cette audace. « C’est une publicité, mais elle est très graphique, la composition est très moderne, il y a quelque chose de très étonnant, de surprenant », commente Clara Bouveresse. Cette photo est aussi représentative, poursuit l’historienne, des évolutions de l’entre-deux-guerres, où se développe une image de la femme moderne, où l’on montre des femmes qui font du sport, des femmes actives, dynamiques. Et les femmes photographes sont à l‘avant-poste de cette nouvelle narration.

« Komol, publicité pour une teinture capillaire», 1932, d’Ellen Auerbach

Germaine Chaumel (1895 – 1982)

Couverture du tome 2.

La photographe Germaine Chauvel a un parcours intéressant : elle est tour à tour chanteuse lyrique, modiste (elle fabrique des chapeaux), tient un magasin de disques, et se lance dans la photographie en autodidacte en travaillant à partir de 1938 pour le journal La Garonne, à Toulouse. Elle se fait connaître grâce à ses clichés documentant la vie sous l’Occupation, et son regard humaniste.

La photo choisie pour le coffret est typique de cette période – guerre et après-guerre – où les femmes photographes veulent s’engager. « Elles ne sont pas du tout dans l’idée d’une photo neutre. L’objectivité est l’apanage des hommes. Les femmes n’ont pas cette prétention-là : elles vont utiliser la photo pour faire avancer leurs idées », explique Clara Bouveresse.

Sur le cliché en question on voit une famille de quatre enfants avec leur mère, attendant la visite de l’infirmière, dans une maison délabrée. C’est une photo qui montre le travail des femmes, dans sa diversité. « C’est l’histoire des femmes qui font tenir la société, qu’on a vue pendant la crise du Covid. C’est aussi une photo qui attire l’attention sur les figures humaines, et essaie de susciter l’empathie », commente l’historienne.

Visite de l’infirmière, Toulouse, France, 1939, de Germaine Chaumel.

Shirin Neshat (1957 –)

Couverture du tome 3.

Shirin Neshat est une artiste iranienne, « non-occidentale », à l’image de beaucoup de femmes de ce dernier ouvrage, à ceci près qu’elle vit aux Etats-Unis depuis 1974, après des études d’art à l’université de Berkeley, en Californie. « Il y a un vrai enjeu aujourd’hui de donner une place aux photographes qui travaillent dans le monde non occidental. Les femmes sont exclues, mais certaines plus que d’autres », commente Clara Bouveresse.

La photo choisie pour l’ouvrage montre une autre évolution de la période récente, avec le mélange de calligraphie par-dessus l’image. L’époque est au mariage des techniques, et Shirin Neshat fait d’ailleurs aussi des vidéos, précise l’historienne d’art. Sur le cliché, on voit le visage d’une femme recouvert d’inscriptions en farsi, la langue majoritaire en Iran. L’artiste a aussi photographié des mains, en utilisant la même technique. « Je trouve que la calligraphie qui s’enroule sur le visage a quelque chose d’hypnotisant. C’est une photo qui me touche beaucoup », s’enthousiasme Clara Bouveresse.

I am its secret (Je suis son secret), 1993, de Shirin Neshat.

Ces trois clichés plein de sensibilité mettent en avant des femmes, mais l’historienne récuse pour autant l’idée d’un « regard féminin », qui serait le produit d’une essence féminine. « C’est enfermant pour certaines artistes d’être renvoyées à leur statut de femmes. Il n’y a pas qu’un regard féminin, il y a plusieurs regards féminins. »

*Femmes photographes, chez Actes Sud, collection Photo poche, N°160, 161 et 162. 39 euros

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