Le soleil frappe encore fort peu avant 20 heures, sur le parvis de la Basilique de Saint-Denis. Les terrasses des brasseries tout autour, ombragées, font le plein, bruyantes et joyeuses. Ailleurs sur la place, une foule bigarrée, badauds et locaux, et les deux longues files d’attente de part et d’autre de la Basilique pour accéder au premier concert du Festival de Saint Denis qui ouvre ses portes.

« Ce n’était pas gagné »

Entre les deux, sur le parvis, un autre type de spectateurs s’est installé sur des chaises longues très estivales disposées face à un écran géant qui retransmet le concert. « C’est pour que même le public local, qui n’a pas nécessairement une place, puisse assister à cette reprise », nous a dit auparavant la directrice du festival Nathalie Rappaport. Elle n’est pas peu fière de partager cette fête qu’est la tenue du festival, car « ce n’était pas gagné », poursuit-elle, encore sous le coup de l’émotion. « Nous revenons de loin. L’édition de l’année dernière a été annulée, et cette année il y a eu beaucoup de fabrication et de redirections. L’intégralité de la programmation a été refaite », explique la directrice.

Ce qui n’est pas rien pour un festival de musique classique de ce niveau. L’ouverture, par exemple, devait se faire le 1er juin avec une Passion selon Saint-Jean de Bach dirigée par le célèbre chef britannique Sir John Eliot Gardiner. Elle a finalement lieu ce 10 juin et avec rien moins que Roberto Alagna sur un programme de musique sacrée.

L’enfant du 9-3 en la Basilique

Rencontré entre deux répétitions, le ténor franco-italien qui fait ses débuts au Festival de Saint-Denis, ne cache pas non plus son émotion. « Après un si long confinement, on a l’impression qu’il fallait garder la foi pour revenir ici ». Mais il y a autre chose. Alagna est un enfant du département. « Dans ce lieu magnifique, parmi les rois de France, je trouve que c’est beau comme symbole, ce petit garçon né en banlieue, en Seine Saint-Denis, qui revient pour chanter de la musique sacrée et de l’opéra ». Et le lieu l’inspire : « il y a quelque chose de mystique, on sent des vibrations, on sent un contact avec le divin ».

20h30 : la Basilique s’est remplie. Jauge réglementaire, à 65%, environ 750 personnes : l’immense écrin (près de 110 mètres de longueur, 40 de largeur et 30 de hauteur quand-même !) reste pourtant chaleureux. L’Orchestre national d’Ile-de-France, dirigé par le chef espagnol David Gimenez ouvre avec les notes graves et solennelles de l’intermezzo de l’Arlésienne de Bizet un programme qui alterne subtilement airs d’opéra et chants sacrés. Alagna a choisi d’entrer sur scène avec un puissant Pietà Signore, de l’Italien Alessandro Stradella (17e siècle) qui convoque les deux à la fois. 

Prières et chants sacrés

« Aie pitié Seigneur, de la ma souffrance », dit le texte : contrition douloureuse chantée les yeux fermés par le ténor et emphase opératique surprenante. « Après ce qui nous est arrivé avec la pandémie, c’est l’air idéal pour démarrer », a dit Alagna. Mais s’il est très attaché à cette pièce, nous a-t-il soufflé, c’est aussi parce qu’elle a été chantée à l’enterrement de son modèle le ténor Enrico Caruso en 1921, par son collègue et rival napolitain de l’époque, Fernando De Lucia.

Les prières et autres chants sacrés s’enchaînent. Superbes « pauper, servus et humilis » (le pauvre, le serviteur, le petit) du célèbre Panis Angelicus de César Franck, en latin mais prononcé phonétiquement « à l’italienne ». Œuvre religieuse (mais ô combien non liturgique) de Berlioz, Le repos de la Sainte Famille (de L’enfance du Christ) dégage une plaisante sérénité. Enfin le tube qu’est l’Ave Maria de Schubert achève de saisir le public : Alagna, à la fois solaire et visiblement ému. Les « bravos » et « hourras » pleuvent.

Wagner par Alagna, une première en France

La seconde partie du concert offre davantage d’opéra : un tube français, cette fois, l’air Ah tout est bien fini… Ô Souverain, ô juge ô père, tiré du Cid de Massenet touche le public, et en particulier son crescendo final très maîtrisé. Et une nouveauté, Roberto Alagna chante Wagner pour la première fois en France. Des airs de Lohengrin, l’opéra qu’il a enregistré dans son intégralité à Berlin l’hiver dernier.

Après le déchirant prélude porté avec brio par l’orchestre, Alagna bouleverse dans Nun sei bedankt, ou In Fernem Land dans une langue où on ne l’attend pas spontanément. « L’allemand est une langue que j’adore, qui sonne bien en bouche malgré ce qu’on peut penser. Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux préjugés… », nous a-t-il avoué. Ses graves sont puissants et ses aigus émouvants dans Mein Lieber Schwann.

Alagna est un chanteur généreux et le public le lui rend bien, l’ovationnant de longues minutes debout. Mais le couvre-feu à 23 heures oblige à accélérer le pas et le rappel : un Ave Maria de Gounod qu’il chante sourire aussi lèvres et une surprise, un Notre Père de sa composition, d’une grande sobriété, qu’il interprète a cappella. L’émotion est à son comble. Le ténor aura réussi son enrée dans l’histoire du Festival qui démarre aujourd’hui sa 52e édition, et son come back chez lui en Seine Saint-Denis. 

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