Longtemps taxé de ringardise seventies, le col roulé revient en force dans le vestiaire masculin. Chic, cool, réconfortant… et si c’était la nouvelle chemise ?

C’est un événement stylistique qui vous a sûrement échappé. En décembre 2019, lors d’une allocution officielle, Emmanuel Macron avait délaissé son habituelle chemise blanche pour… un col roulé bleu marine du meilleur effet. Une première pour un président, invariablement en costume cravate. L’intention cachée ? Marquer les esprits et afficher une forme d’anticonformisme vestimentaire (comprendre : avec Macron, on casse les codes).

Et cela n’a pas raté : les médias américains – tout particulièrement Lauren Collins, une journaliste du New Yorker – y ont même vu une inflexion à gauche de la politique française. Ça, par exemple ! Le col roulé serait-il de gauche ? Pour Yvane Jacob, spécialiste du vêtement et auteure du livre Sapé comme jadis (Éd. Robert Laffont), «le col roulé est un vêtement transgressif et historiquement lié aux mouvements de contestation. Je pense aux Black Panthers, qui en avaient fait l’un des éléments de leur uniforme, avec le béret. Mais aussi à Michel Foucault : le col roulé était son style signature». Le philosophe et figure phare de la French Theory le portait même avec un blouson biker en cuir ! Rebelle, rebelle…

En vidéo, Emmanuel Macron et le col roulé qui défraie la chronique

Des origines anciennes

D’après les historiens de la mode, l’ancêtre du col roulé serait né au Moyen Âge pour protéger le cou des chevaliers de leur lourde armure ; il fut ensuite adopté entre autres par les marins ou les joueurs de polo (en anglais, on l’appelle polo neck mais aussi turtleneck, soit «cou de tortue»). Dans les années 1920, le vestiaire masculin devient moins formel, et le col roulé fait son entrée dans la garde-robe des hommes élégants. Noël Coward, célèbre dramaturge anglais, le met au goût du jour. La mode est lancée !

Dans les années 1950, il devient non genré et s’affiche à Hollywood, notamment sur Marilyn Monroe (rien de tel qu’un col roulé pour faire intello). Rapidement, il est associé au vestiaire des jeunes gandins de la Beat Generation et des existentialistes des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés (voir Audrey Hepburn dans le film Drôle de frimousse). Dans les années 1960, il poursuit son ascension pop, et des Beatles à Mick Jagger en passant par Sammy Davis Jr. ou Jacques Dutronc, les stars adoptent ce vêtement qui signe leur anticonformisme et leur cool attitude. Même Andy Warhol succombe à la tendance et fait du col roulé noir un élément de sa panoplie (le sien était signé Halston, créateur star des années pop et du Studio 54, à New York). En Italie, c’est Marcello Mastroianni qui le popularise avec le film La Dolce Vita, dans lequel il joue un journaliste épris des nuits romaines : résultat, en italien, un col roulé se dit un dolcevita (CQFD).

Cela ne passe pas inaperçu, il arrive au président Macron de délaisser le traditionnel costume cravate pour un col roulé. Doit-on y lire un message politique ? Cette pièce du vestiaire est en effet historiquement liée à un certain anticonformisme.

Le philosophe Michel Foucault (en 1969), intellectuel engagé, en avait fait un vêtement fétiche, tout comme le père du pop art et figure de l’avant-garde, Andy Warhol (en 1984).

Dans les années 1960, avec un esprit bohème mâtiné d’une aspiration à la contestation, les stars de la pop s’affichent en col roulé : les Beatles, même s’ils ont remisé les blousons de cuir et adopté un look plus sage, portent à l’unisson ladite pièce.

Tandis que les Rolling Stones jouent les rebelles du style sur les greens écossais.

Une image 70’s

En 1968, voilà le col roulé au summum du cool, porté par Steve McQueen dans le film Bullitt. Sur l’affiche restée célèbre, on voit la star moulée dans un modèle noir, holster apparent. Soit quasi la même pose que celle de Daniel Craig pour Spectre, film de la saga James Bond sorti en 2015. Car avant d’être reboosté par 007, qui lui rend son aura virile, le col roulé semblait passé de mode. Il était même entré au purgatoire : soudainement, ses qualités étaient devenues ses défauts ; il était ringard, cantonné aux cous des enfants et des retraités.

Pour nombre d’entre nous, le col roulé de l’enfance rappelle en effet de mauvais souvenirs. Les années 1970 ont été celles de l’overdose de cette pièce et de son corollaire, l’infâme sous-pull (souvent en acrylique), que nous imposaient nos mères soucieuses que nous ne prenions pas froid. Pas étonnant, donc, que le col roulé reste pour beaucoup associé à un style vintage seventies à la limite du kitsch – ce qu’avait exploité avec génie le chanteur Philippe Katerine en 2005 sur la pochette de son album Robots après tout.

Fashion statement

Depuis son revival, on le voit partout, même chez les millennials, qui s’en emparent et le revisitent en le portant avec une chemise par-dessus, parfois accessoirisé de grosses chaînes. Associé à une veste, il fait des étincelles dans l’open space, et signale l’homme de goût qui apprécie les belles matières. Le col roulé est ainsi l’invité des plateaux télé. Le journaliste Antoine Genton de C à vous, sur France 5, l’affiche quasiment tous les soirs à l’antenne : «Je le porte comme une chemise, c’est facile et élégant, et ça tient chaud, évidemment. Quand le col monte bien haut, je trouve que cela met en valeur le visage. J’ai récupéré des pulls qui appartenaient à mon grand-père, et depuis je ne les quitte plus.» Confortable, facile à vivre, protecteur : il est le vêtement idéal de notre époque chahutée.

Steve Jobs, un fan absolu

Un col roulé noir, limite professoral : c’est un peu par hasard si Steve Jobs en a fait son style signature (avec le dad jean et les baskets New Balance). Dans les années 1980, alors en voyage au Japon, le boss d’Apple découvre le travail du créateur Issey Miyake. Il est à la recherche d’un uniforme distinctif pour les employés d’Apple. Il laissera finalement tomber l’idée, mais gardera pour lui celle d’un dress code invariable, conscient de la force d’une telle panoplie. Miyake lui fera alors livrer des centaines de cols roulés noirs ! En 2011, à la mort de Jobs, le créateur décide d’arrêter la commercialisation du sacro-saint modèle.

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