En ces temps de crise et d’incertitude, c’est plus que jamais le moment d’éduquer financièrement ses enfants. Comment les sensibiliser à la valeur de l’argent sans les angoisser ? Éléments de réponse avec une psychologue clinicienne.
Que ce soit pour acheter un stylo à paillettes, ses premières baskets ou un jeu vidéo, enfants comme ados excellent dans l’art de faire appel au portefeuille parental, lèvres tremblantes et regard de Chat Potté à l’appui. Comment leur inculquer la réelle valeur de l’argent et éviter qu’ils ne se transforment en cigale à l’âge adulte ? Avec des pièces et des billets donnés ici et là pour remplir une tirelire ? Ou en leur promettant l’accès au Saint-Graal sur compte bancaire dès leur majorité ?
Devant les difficultés économiques que nous vivons actuellement, certains parents pensent bien faire et protéger leurs progénitures le plus longtemps possible face aux futures déconvenues financières qui les attendent, en taisant le sujet. Une grosse erreur selon Béatrice Copper Royer, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance et l’adolescence, qui plaide pour un meilleur apprentissage de l’argent dès la sortie du primaire.
Madame Figaro. – En quoi consiste l’éducation financière très concrètement ?
Béatrice Copper Royer. – Il s’agit d’apprendre aux enfants la notion de l’argent et de leur montrer qu’il s’agit d’une réalité comme une autre dont on ne peut faire l’impasse. À partir d’un certain âge, ils doivent comprendre qu’on ne «vit pas d’amour et d’eau fraîche», que notre train de vie a un coût et que chaque famille dispose d’un budget pour le gérer.
Pourquoi est-il si important de les sensibiliser au sujet ?
Cette éducation est une responsabilité parentale. Il n’y a pas que le discours qui compte mais aussi l’exemple. Bon nombre d’adultes gèrent mal leur budget, un quart de la population est à découvert tous les mois. Ce qui pousse certaines personnes à faire appel à des crédits à la consommation et beaucoup se retrouvent avec d’énormes dettes. Savoir gérer son budget, dès le plus jeune âge, garantit un équilibre de vie sur le long terme.
Est-ce encore plus important après un an d’une crise liée à la pandémie ?
Évidemment. Il est important de montrer que personne n’est à l’abri de soucis financiers et que la famille peut traverser des moments difficiles. C’est très louable de ne pas vouloir encombrer les enfants avec ces problèmes mais il ne faut pas tout masquer. D’autant que les parents dont les emplois ont été impactés par la crise sanitaire ressentent de l’inquiétude, loin d’être ignorée par leurs enfants. Attention néanmoins à ne pas trop insister sur la vérité. Cela peut être insécurisant, surtout chez les petits. J’ai connu une patiente en plein divorce qui avait dit à sa fille de 9 ans : «J’espère qu’on ne va pas dormir sous les ponts». Cette dernière avait pris la métaphore au pied de la lettre et en souffrait. Avec les plus jeunes, on les rassure en disant qu’on a ce qu’il faut pour nos besoins et qu’il faut faire des choix par rapport au superflu.
À partir de quel âge faut-il les «éduquer» ?
À la sortie de l’école primaire, vers 10-11 ans. En dessous de cet âge, la notion d’argent est encore trop abstraite. Les petits ne sont pas assez autonomes, ils n’ont pas encore le droit de rentrer seul à la maison ou d’aller faire des courses. Quand les enfants sont plus grands, l’argent de poche est une très bonne façon de les responsabiliser. Ils découvrent le plaisir de s’offrir quelque chose mais aussi les limites liées à l’argent que connaissent déjà bien les adultes : l’attente et la frustration pour acheter quelque chose qui dépasse le budget. À travers cette gestion, on voit également les caractères se former, indépendamment de ceux des parents. Il y a les dépensiers et ceux qui thésaurisent, les cigales qui n’en ont jamais assez et les fourmis qui prévoient tout.
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Comment cet argent de poche doit-il être encadré ?
Les parents conviennent d’une somme adaptée à l’âge et aux besoins. Dans le cas des jeunes, cet argent est distribué de façon hebdomadaire et quand ils grandissent, on espace la distribution au mois. Les enfants font ce qu’ils veulent de leur argent de poche. Si les économies disparaissent rapidement, il s’agit bien au contraire d’une bonne leçon pour l’enfant. De cette manière, en le laissant faire, il va se rendre compte seul qu’il est un panier percé. Et il ne faut surtout pas que les parents craquent et viennent combler les trous. Pour les adolescents, ce budget mensuel marque un pas dans la vie d’adulte car il ressemble d’une certaine manière au salaire. Si le jeune est très dépensier, les parents peuvent essayer de discuter avec lui et lui expliquer qu’attendre pour s’offrir un beau cadeau est davantage satisfaisant que des dépenses compulsives de produits ayant peu d’intérêt. Et on peut les responsabiliser davantage en leur confiant aussi l’argent nécessaire pour couvrir les transports et les repas de déjeuner.
Que faire si on est limité par ses finances et qu’on aimerait donner davantage ?
On en discute avec les enfants quand ils peuvent l’entendre, vers 10-11 ans. On leur explique que pour le moment on économise notre argent pour des choses essentielles, le loyer, la nourriture, les vêtements. Si l’enfant persiste et réclame une console par exemple, on peut lui proposer d’attendre une rentrée d’argent pour son anniversaire, de la part de ses grands-parents, de sa marraine ou de son parrain. Il ne faut pas fermer les perspectives et laisser un peu d’espoir au bout.
Comment expliquer que le sujet de l’argent soit parfois aussi tabou au sein de la famille ?
C’est très culturel. Les Français n’ont pas cette décontraction américaine par rapport à l’argent. Cette retenue est sûrement liée à notre éducation judéo-chrétienne, qui considérait ce sujet comme sale et loin d’être noble. Au regard de l’histoire, les personnes issues de la noblesse préféraient d’ailleurs mettre en valeur les vertus morales de courage plutôt que les avantages pécuniaires. Tout cela reste aujourd’hui très paradoxal puisque l’on vit dans une société de consommation et les enfants en sont des acteurs importants.
L’ouverture d’un compte bancaire est-elle une solution pour contrôler et apprendre à gérer ses dépenses ?
Oui. On a affaire à une génération très débrouillarde et autonome quand il s’agit de commander des achats en ligne mais certains ados ne parviennent pas à se responsabiliser car ils utilisent encore la carte bancaire de leurs parents et ont donc une vision assez floue de ce que représentent leurs achats. Les banques s’adaptent et proposent des offres spécifiques pour les jeunes dès 10-12 ans, sans permission de découvert. L’adolescent peut consulter ses relevés de banque sur une application mobile et suivre ses dépenses au jour le jour. Il utilise aussi une carte bancaire liée à son compte et comprend enfin à quoi sert ce moyen de paiement très abstrait utilisé par les adultes. À chaque dépense, une ligne sur le relevé de banque et un budget qui baisse.
Certains parents marchandent avec leur enfant un bon bulletin ou des tâches ménagères contre quelques euros. Est-ce une bonne idée ?
Concernant les tâches ménagères, je ne suis pas favorable à ce concept. On peut débarrasser le couvert et le mettre au lave-vaisselle sans être rémunéré, cela fait partie de la solidarité familiale : chacun s’entraide et le partage des tâches est bénéfique. En revanche, si l’enfant ramène un bon bulletin, pourquoi pas lui offrir une récompense. C’est mieux si l’argent se matérialise par un réel cadeau. Mais il ne faut pas que ce soit une carotte à chaque fois pour avoir une bonne note. Auquel cas, cela activerait un système de récompense de façon permanente, de sorte que les enfants rentrent dans un engrenage de chantages et de négociations systématiques.
Faut-il s’inquiéter lorsque notre ado aspire à un métier essentiellement pour ses avantages pécuniaires ? Comment lui dire en substance que «l’argent ne fait pas le bonheur» ?
Il n’est pas nécessaire de se formaliser. C’est une motivation comme une autre qui peut être amenée à évoluer au cours des études. La bonne réaction est d’expliquer à son enfant que l’idéal est d’allier cette aspiration au plaisir que nous procure le travail, car il s’agit d’une tâche quotidienne, répétée toute l’année. Néanmoins, cette conversation peut être l’occasion de rappeler que la réjouissance et la joie ne passent pas systématiquement par la consommation matérielle effrénée. Faire un gâteau, danser sur de la musique, jouer à un jeu de société apportent aussi une joie, qui plus est gratuite.
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