Les urnes ont parlé. Paris, Strasbourg, Nantes, Lille, Marseille, aussi, si Michèle Rubilora (le Printemps marseillais) parvient à obtenir le fauteuil de maire. En tout, cinq des dix villes les plus peuplées de France seront désormais menées par une mairesse, ont décidé les électeurs lors du second tour des municipales, tenu tant bien que mal ce dimanche 28 juin 2020. Une première dans l’histoire française, largement saluée depuis comme la preuve d’une avancée majeure pour la parité en politique.  

Plus de femmes à la tête des grandes villes

Autre chiffre en progrès : douze femmes ont été élues à la tête d’une commune de plus de 100.000 habitants. Le double des résultats des élections municipales en 2014.

Le symbole est félicité depuis le dépouillement du second tour, ce dimanche 27 juin. Mais Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe, professeure de sciences politiques, chargée de mission égalité-diversité à l’Université de Reims et essayiste*, dit : méfiance. La parité en politique est loin d’être acquise. Et elle ne l’a pas non plus été à l’issue de ces élections municipales 2020.

Marie Claire : Parmi les dix plus grandes villes de France, la moitié seront désormais dirigées par des femmes. Réjouissant ?

Camille Froidevaux-Metterie : Symboliquement, ce n’est pas rien. Oui, il y a de quoi se réjouir.

Mais…

Mais si l’on fait un compte total, 20% des maires élus seulement seront des femmes. Car seules 23% des têtes de liste étaient des femmes. Donc, déjà, logiquement, mathématiquement, le nombre de femmes élues ne pouvait être supérieur à 23%, sachant qu’elles ne seraient pas toutes élues. C’est quand même encore très décevant. Il est même glaçant de voir à quel point ça avance lentement. À ce rythme-là, il va falloir attendre 50 ans avant qu’il y aie autant de femmes maires que d’hommes.

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Un paritarisme de surface ?

Que faut-il en comprendre ?

Que l’exécutif reste fermé aux femmes. Dans les assemblées, comme l’Assemblée nationale, oui, ça progresse – bien que, si l’on regarde dans le détail, on comprend pourquoi ça s’est passé comme cela : la République en marche était obligée d’avancer des listes paritaires, sans quoi elle n’aurait pas pu obtenir le remboursement des frais de campagne. Mais lorsqu’il s’agit, par exemple, de nommer des femmes à la tête de commissions importantes dans cette même Assemblée nationale, ou de leur donner des lois pour qu’elles soient rapporteuses, il n’y a quasiment plus personne.

À ce rythme-là, il va falloir attendre 50 ans avant qu’il y aie autant de femmes maires que d’hommes

Même chose au Gouvernement. Depuis la présidence de François Hollande, oui, nous aurons toujours des gouvernements paritaires. Mais les ministères régaliens sont tenus par des hommes, les cabinets ministériels sont hyper-masculinisés… Bref, en matière de parité en politique, le diable se niche dans les détails. On peut avoir des données sur le papier qui sont réjouissantes, mais c’est en réalité beaucoup plus compliqué que cela.

Il existe tout de même un ensemble de dispositifs paritaires.

Oui. Il existe une loi et un certain nombre de mesures ont été durcies au fur et à mesure du temps, pour qu’elles soient plus efficaces. Elles prévoient notamment qu’aux municipales, la parité soit effective, en obligeant des « listes chabadabada », comme on les a appelées, c’est-à-dire, un homme-une femme-un homme-une femme, etc. Des listes qui sont vraiment paritaires, en somme, où les hommes et les femmes alternent. Parce qu’avant, les partis pouvaient mettre cinq hommes au début de leur liste, et les femmes derrière. Donc elles n’étaient jamais élues… 

Il serait intéressant d’observer si ces conseillers municipaux vont élire au troisième tour les 23% de femmes qui étaient tête de liste. Vont-elles toutes passer ?

Y-a-t-il selon vous corrélation entre la percée d’Europe Écologie Les Verts (EELV) et la victoire de femmes dans les grandes villes ? Peut-on parler d’un avènement de l’écoféminisme ?

Il y a une corrélation, oui. Mais on ne peut pas parler d’avènement d’écoféminisme. Il s’agit d’un courant très minoritaire, qui est d’abord féministe avant d’être écolo, alors que là, les électeurs ont voté pour l’écologie d’abord.

En revanche, ce qui est vrai, c’est qu’EELV a toujours été favorable à la présence des femmes. Enfin, sur le papier. Dans l’enquête que j’ai menée en 2012**, j’ai montré que c’était une chose d’inscrire dans les statuts de son parti des règles comme l’obligation, en réunion, qu’une femme prenne la parole après un homme, et d’autres choses favorables à la présence des femmes en politique ; mais dans les faits, d’autres mécanismes leur étaient moins favorables, notamment ceux de désignation de têtes de liste. Il y a quelques années, EELV était très en avance sur les principes, moins sur les faits.  

* Dernièrement : Seins – En quête d’une libération, Anamosa, 224 pages, 20 euros

Auparavant : La révolution du féminin, désormais disponible en poche chez Folio, 528 pages, 9,70 euros

** Dans la jungle, film documentaire de Camille Froidevaux-Metterie, 2012

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