Comment la couleur noire est passée de la tristesse, avec les bijoux de deuil mis à la mode par la Reine Victoria, au registre de la fête et du chic contemporain ?

Quatre broches ayant appartenu à la Reine Victoria vont être vendues à Londres par Sotheby’s le 24 mars prochain. Ciselées dans les pierres noires comme l’onyx et le jais, ces bijoux dits « de deuil » laissent la place au siècle suivant au noir et blanc complice de l’effervescence des Années folles. Un autre siècle s’est depuis écoulé et la haute joaillerie s’habille de noir pour jouer la séduction.

© Cartier

Victoria n’a que 19 ans lorsqu’elle est couronnée reine, en 1838. Il lui faut un mari. Elle a toujours eu un faible pour son cousin Albert de Saxe-Cabourg qu’elle demande en mariage, comme l’exige son statut royal, et épouse, en 1839. Influenceuse avant l’heure, elle se marie en robe blanche, et non rouge, comme le veut la tradition. Le blanc sied mieux au cadeau de mariage d’Albert, une broche en saphirs et diamants que Victoria, grande amatrice de bijoux, associe à un collier et des boucles d’oreilles en diamants. Ils vécurent heureux pendant 21 ans et eurent 9 enfants. Inconsolable à la mort d’Albert, Victoria ne porte plus que du noir pendant les 40 années qui lui restent à régner. Mais elle aime toujours beaucoup les bijoux. Pour qu’ils soient coordonnés à sa tenue de deuil, elle les commande noirs. Toutes les veuves d’Angleterre l’imitent bientôt. Les bijoux de deuil deviennent alors le nec plus ultra.

Une vente Sotheby's exceptionnelle

« Les quatre broches proposées sont en onyx et en agate, qui représentent les pierres les plus appropriées pour des bijoux de deuil puisqu’elles sont noires et suffisamment dures pour être très polies. L’émail était aussi fréquent, tout comme le jais, mais tous deux sont un peu plus plus fragiles » souligne Kristian Spofforth, directeur du département Bijoux de Sotheby’s Londres. « La plupart des pièces dispersées par les familles royales sont restées pendant très longtemps dans la famille. Nous les voyons apparaître dans une vente aux enchères de temps en temps. Elles atteignent souvent des prix étourdissants, ce qui peut déclencher la décision de vendre dans une autre famille possédant elle aussi une collection où figure un cadeau royal. Cela nourrit une sorte de cycle qui maintient l’intérêt du public. » 

Liés à la disparition des proches de la reine Victoria, sa mère et l’une de ses filles, la princesse Alice, ces bijoux, extrêmement touchants, devraient attirer un nombreux public, composé de collectionneurs et de conservateurs de musées. « Il est très difficile d’estimer un bijou d’après sa valeur sentimentale. C’est pourquoi nous essayons de mettre un prix correspondant à la valeur intrinsèque de l’objet. Plus il y a d’enchérisseurs et d’intérêt, plus nous avons idée juste de cette valeur sur le marché. Mais seul le coup de marteau final permet de lever le mystère. C’est tout le sel des enchères. »

© Sotheby’s

© Sotheby’s

© Sotheby’s

© Sotheby’s

L’entre-deux-guerres voit la vie en noir et blanc

Au XXème siècle, le noir s’allie au blanc de l’or, du platine et des diamants pour célébrer un monde nouveau. Paris est la capitale du luxe, de la fête et des arts. La tendance Art déco donne le la. En juin 1933, Vogue résume la silhouette à suivre : 

A Paris, une femme qui sait s’habiller est presque toujours en noir, non point par paresse à chercher des accords de couleurs, mais par raffinement, par amour de la difficulté et de la recherche inédite. (…) C’est lui qui confère à la toilette sa distinction voire sa dignité, et un certain classicisme.

Pour accessoiriser l’allure comme il se doit, l’onyx se décline sur tous les bijoux, sautoirs, chokers, châtelaines, broches, bracelets. Il prend pour cela toutes les formes en billes, en bâtons, en corolles, suifé, calibré.

Le noir 2.0 aujourd'hui

Un siècle plus tard, le noir s’est invité dans tous les registres du bijou, aussi cohérent sur une néo-chevalière fantaisie qu’une parure de haute joaillerie. C’est le cas de la dernière collection de Francesca Amfitheatrof chez Louis Vuitton. Les lignes d’onyx viennent y souligner l’épure géométrique de pièces serties de diamants imaginées pour passer facilement du pull à la veste de smoking. 

© Louis Vuitton

Chez Fawaz Gruosi, la toute nouvelle marque éponyme du créateur, les cabochons d’onyx contrastent le scintillement des diamants en manchettes et boucles d’oreilles à forte personnalité. Une caractéristique qui signe souvent les bijoux en jaspe noir, obsidienne et autres pierres noires. A leurs côtés, les nouveaux matériaux, tels que titane, céramique high tech ou DLC envoient un message plus rock. Le noir n’a pas fini de nous faire craquer.

© Fawaz Gruosi

A retrouver sur Vogue.fr :
Il est désormais possible d’admirer la couronne de la reine Victoria au V&A

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