L’ancestral échiquier n’en finit pas de susciter des passions. Peut-être parce que déplacer 16 pièces sur un plateau de 64 cases nous apprend à gagner mais aussi à perdre.
Restez informée
On le présente comme le plus ancien jeu intellectuel du monde. La légende veut qu’une première esquisse ait fait son apparition dans l’Inde védique deux mille ans avant J.-C. Cependant, on date plus certainement son origine au VIe siècle de notre ère. Dans l’Inde du Nord, un brahmane avisé aurait créé le chaturanga pour distraire son souverain de l’ennui. Les Perses l’adoptent ensuite et en modifient les règles. Puis il arrive en Occident lors des invasions arabes.
Si les échecs tels que nous les pratiquons aujourd’hui datent du début du XVIIe siècle, ils connaissent aujourd’hui un étonnant retour en grâce sous l’impulsion des technologies numériques. Les confinements et couvre-feux successifs ont converti de nombreux joueurs sur internet. Et la série Le Jeu de la dame, regardée par plus de 62 millions d’abonnés lors de sa sortie sur Netflix à l’automne 2020, a suscité un véritable engouement. La fréquentation des sites en ligne a explosé : chess.com, le plus célèbre d’entre eux, est passé de 30.000 à 125.000 nouvelles inscriptions par jour ! Autant de mordus qui, non contents de satisfaire à leur passion, engrangent toutes sortes de bénéfices collatéraux. Explications.
Préserver son cerveau
Ce n’est un secret pour personne : les champions d’échecs ont un Q.I. très élevé. Sans prétendre rivaliser avec ces hauts potentiels, on peut affirmer sans se tromper qu’une pratique régulière permet de développer nos fonctions cognitives. Une étude vénézuélienne menée auprès de 4.000 écoliers a montré une augmentation de leur Q.I. après seulement quatre mois d’enseignement de la discipline ! Des chercheurs en neurosciences ont observé ce qui se passait dans notre cerveau lorsqu’on se concentre sur cette occupation. Les dendrites, les prolongements ramifiés des neurones responsables de la transmission des signaux entre ces derniers, se développent considérablement. La vitesse de communication neuronale augmente, renforçant nos performances intellectuelles, stratégiques et analytiques. S’il n’y a pas plus statique que le corps d’un joueur d’échecs, son esprit, lui, carbure à pleine vitesse dans une chorégraphie de haute voltige.
Stimuler l’auto-réparation
Selon Guy Bellaïche, médecin engagé auprès de la Fédération française des échecs, disputer une partie procurerait les mêmes bénéfices qu’une course d’endurance, sans toutefois demander les mêmes efforts physiques. C’est peut-être pourquoi on les recommande aux patients qui récupèrent d’une grave maladie, et plus particulièrement d’un accident vasculaire cérébral. « Mettre en place une stratégie face à son adversaire relance les processus cognitifs, tandis que déplacer les pièces dans différentes directions (vers l’avant, vers l’arrière, en diagonale) aide à récupérer et à affiner les fonctions motrices, explique la psychologue clinicienne Laëtitia Devalois. Enfin, cette discipline implique une grande concentration : le participant se dédie entièrement à l’accomplissement de son activité. Le corps comme le mental sont canalisés, les pensées parasites refluent, l’anxiété recule. »
Les échecs, une stratégie anti-oublis
Dans l’espoir de rester en forme le plus longtemps possible, l’apprentissage des échecs offre une belle occasion d’entretenir cette mémoire qui nous échappe avec l’âge, aussi bien celle à long terme, utilisée pour la reconnaissance des motifs tactiques ou l’apprentissage des ouvertures, que celle à court terme, à l’œuvre dans le calcul des variantes, lorsqu’on anticipe les conséquences des coups en imaginant les réponses possibles de l’adversaire. En 2001, une étude publiée dans la revue Science a beaucoup fait parler d’elle. Le neurologue Robert Friedland, de l’école de médecine de Cleveland (États-Unis), y révélait qu’une fréquentation régulière de l’échiquier permettait de diminuer de 35 % le risque de développer la maladie d’Alzheimer. De même, des travaux de l’Inserm, publiés dans la revue Neurology en 2009, ont montré que les personnes âgées de plus de 65 ans qui pratiquent deux fois par semaine ont deux fois moins de risques de développer une forme de démence. Et plus le temps consacré à cette activité stimulante augmente, plus le risque diminue.
Jouer aux échecs, un accélérateur de rencontres
« Tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs mais tous les joueurs d’échecs sont des artistes », affirmait Marcel Duchamp, lui-même grand joueur. La discipline s’est ainsi réinventée au fil des cultures qui l’ont adoptée : jeu de guerre sur le continent indien, de galanterie à l’époque de l’amour courtois, de cour dans les monarchies européennes, de compétition à l’ère moderne… En effet, même si la pratique suit des règles très codifiées, elle induit une grande créativité liée à la rencontre avec l’adversaire. « Une partie d’échecs se danse à deux, explique Laëtitia Devallois. Bien sûr, un joueur a besoin de connaître un grand nombre de motifs tactiques et d’ouvertures. Mais son style réside dans la façon dont il va articuler et réadapter ce bagage technique en fonction de son adversaire. C’est comme s’il lui fallait “rentrer” dans la tête de son rival afin de prévoir ses stratégies, d’anticiper ses réactions. Ce jeu, qui se passe de mots, est paradoxalement une rencontre intense et profonde entre deux personnes, qui demande d’accepter de se laisser transformer par l’Autre. » Ce n’est pas un hasard si les clubs dédiés sont des hauts lieux de socialisation où se croisent les générations et les milieux sociaux.
Alléger la charge mentale aussi
Impossible de prétendre taquiner la dame, la tour ou le cavalier sans une bonne dose d’anticipation : il faut réfléchir aux conséquences de chaque mouvement de pièce, sur le moment et à plus long terme. Bref, avoir toujours plusieurs coups d’avance, tout en étant capable d’improviser lorsque l’adversaire ne réagit pas comme on s’y attendait. « Cet entraînement cognitif trouve beaucoup d’applications pratiques dans nos vies quotidiennes, commente Laëtitia Devallois. À commencer par la gestion de la fameuse charge mentale, qui demande d’être de façon concomitante sur les fronts professionnel, familial et domestique. » Comme si ce poids cognitif incessant qui pèse sur nos têtes trouvait dans les échecs à la fois un dérivatif (on se pose, on s’immerge dans le temps présent et on se concentre sur tout autre chose) et un entraînement (on se constitue une réserve de forces cognitives pour mieux repartir au combat…). Finalement, jamais jeu n’aura si mal porté son nom car avec lui, c’est surtout gagnant-gagnant !
A lire aussi :
⋙ Jeux d’échecs en ligne : 4 sites gratuits pour jouer seul ou à deux
⋙ Mémoire : pourquoi les jeux de chiffres et de lettres ont tout bon
⋙ Ordinateur ou jeux de logique, quelle activité favoriser pour entretenir sa mémoire ?
Source: Lire L’Article Complet