Une voix, sonore et claire, qui précède la rencontre. Pomme parle avec sa maquilleuse, dans une pièce du studio Ferber, là où elle nous a donné rendez-vous, à quelques pas de chez elle dans ce coin tranquille du 20e arrondissement de Paris. Ce studio où la chanteuse a enregistré en cinq jours Les failles cachées, son nouvel album.

Pomme parle beaucoup et c’est un avantage que mesure sournoisement celui qui l’interviewera dans quelques instants. Et pourtant, ce n’est pas vraiment l’heure rêvée pour cette jeune femme de bientôt 25 ans récompensée aux deux dernières Victoires de la Musique. Pomme (Claire Pommet à l’État civil) est une couche-tôt qui est déconcertée de dérouler sa vie à minuit. Une vie à peine effleurée, et déjà la célébrité, et déjà tant de choses vécues…

Mi-lutin, mi-humaine

La jeune femme s’installe derrière la table de mixage plus complexe que le tableau de bord de SpaceX Dragon. Comment font les ingénieurs du son pour s’y retrouver au milieu de ces centaines de boutons ? Allo, Thomas Pesquet ? Bonjour Pomme !

Description : chemise blanche aux transparences poétiques, pantalon noir avec grosse boucle de ceinturon Chipie a` silhouette canine – Chipie, la marque de son enfance, clin d’œil a` son amour des chiens, en particulier de son golden femelle nommée Pizzaghetti, en hommage à une spécialité québécoise peu light. Pomme a les cheveux bicolores mais sa parole ne s’embarrasse pas de demi-teintes. Franche, droite au but, sans beaucoup d’atermoiements, et où s’entend l’extrême maturité de la jeune femme.

Loquace, on l’a dit, au point parfois de se perdre dans les méandres de son fleuve de mots, Pomme virevolte de questions en réponses, mi-lutin mi-humaine, comme elle aime se définir sur son compte Instagram, sur le chemin de ses songes et de ses fantômes, à l’image de ceux qui s’agitent, en compagnie d’araignées et de chauves-souris sur la pochette de son nouvel album.

Un album entre ombre et lumière 

« J’ai toujours été fascinée par la sorcellerie, en commençant avec la série Charmed dans les années 2000, puis Harry Potter. J’ai voulu que cet album soit associé à Halloween pour m’en rapprocher, creuser cette culture. Il est beaucoup question de la mort dedans. J’ai besoin d’écrire sur ce sujet pour avoir l’illusion de le contrôler. Je le faisais déjà quand j’avais 17 ans. »

« Dans Pourquoi la mort te fait peur, j’utilise des images qui me permettent d’entourlouper mon cerveau et combler cette impossibilité de concevoir ce que l’au-delà peut être. Difficile pour moi d’ignorer ce qui m’arrivera après ma fin. Dans ma génération, nous n’aimons pas perdre le contrôle, sauf quand on fait la fête. »

La mort ? Étrange d’en parler, car l’album est plutôt lumineux comme si chez cette petite jeune femme menue, la mélancolie n’était pas constituée de tristesse ou de chagrin, mais exprimait au contraire une façon d’entrevoir d’autres possibilités de sensations à la sereine légèreté. Après tout, n’est-ce pas l’alternance de la lumière et de l’ombre qui donne son sens à la vie ?

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« Créer un espace où tout cela ne serait plus un secret »

« Certaines chansons parlent d’endroits qui n’existent pas mais qui sont apaisants. Cet album était une manière de trouver un endroit mental où rien n’est grave. Je voulais dépouiller de toute lourdeur les sujets les plus sombres comme la santé mentale. En France, on ne parle pas de ce sujet de manière positive, on n’en parle même pas, d’ailleurs. Prendre des antidépresseurs reste un sujet extrêmement tabou et pourtant, je découvre tous les jours que des ami·es de mes parents sont bipolaires ou dépressifs. Je voulais créer un espace où tout cela ne serait plus un secret. La musique me fait du bien et je me dis que si d’autres personnes sur cette Terre me ressemblent, ça leur fera du bien aussi. »

Je voulais dépouiller de toute lourdeur les sujets les plus sombres comme la santé mentale. En France, on ne parle pas de ce sujet de manière positive, on n’en parle même pas, d’ailleurs

Un jour, Pomme a déclaré : « Je ne sais pas ce que j’aurais fait avec ma colère si je n’avais pas chanté. » Colère d’avoir été agressée sexuellement toute jeune. Mais aussi manière d’expulser toutes sortes d’émotions ressenties. Dès l’âge de 15 ans, elle a choisi : elle sera chanteuse, sinon prof d’anglais en France ou prof de français dans un pays anglophone. Ou encore herboriste, « la sorcellerie du XXI siècle ».

Ses parents sont un peu inquiets mais ne le montrent pas. « Pourtant, mon père était très strict. Je vivais dans la banlieue de Lyon. À l’adolescence, comme il n’y avait pas de transports en commun, je n’allais pas dans des soirées. Et si j’y allais, mon père devait venir me chercher : je ne pouvais donc pas boire ou fumer et je n’y ai jamais pris goût. J’étais un peu obligée d’être sage. Je n’ai jamais dépassé les limites et mes parents me faisaient confiance. »

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Chanteuse avant d’être militante

Fan de Tiger king, la série docu complètement secouée sur de pittoresques propriétaires de zoos américains, Pomme l’est aussi de Dolly Parton, la diva country aux choucroutes peroxydées munificentes et aux canons esthétiques quelque peu éloignes de ceux de sa sobre admiratrice, et pourtant, Pomme en est sûre : « Si l’on se rencontrait, on s’entendrait bien. Dolly est féministe à sa manière : dans les années 70, elle parlait de sexualité très librement sur scène. »

« Je lui ai écrit sur Instagram pour lui dire ‘Je t’aime’ mais elle ne m’a jamais répondu. Il y a quelques années, j’ai fait une tournée dans son ancien tour-bus. La seule fois où j’ai été si proche physiquement de Dolly : j’ai même dormi dans son lit, ça s’est arrêté là. » (Rires.) Pomme et Dolly…

Je ne suis jamais allée dans les médias clamer le fait que je suis lesbienne, mes chansons racontent la personne que je suis, sans rien cacher.

Pomme et ses moitiés d’orange. « Je ne suis jamais allée dans les médias clamer le fait que je suis lesbienne, mes chansons racontent la personne que je suis, sans rien cacher. Si je vis une histoire d’amour avec une femme, je vais écrire là-dessus. Il s’avère que peu de chanteuses homosexuelles l’ont fait avant moi. Le risque, c’est d’être cataloguée militante au point qu’on mette la musique de côté. J’ai hâte que l’orientation sexuelle ne soit plus un sujet pour personne. Et je pense d’ailleurs que bientôt, ce sera le cas. »

Il est tard, maintenant, la fatigue se lit sur les visages et le studio Ferber voudrait bien aller se coucher lui aussi. Pomme se lève, salue à la cantonade et s’évanouit dans la nuit. Elle a rendez-vous avec la Lune, le marchand de sable, sa collection de Sonny Angels, ces petits bébés japonais qu’elle surnomme « bébés zizis ». Et bien sûr, les lutins chéris auxquels n’a jamais cessé de croire cette petite fée aux failles enchantées.

(*) (Polydor/Universal). À l’Olympia les 13, 14 et 15 septembre. En tournée en France à partir de cet été

14 questions d’après minuit

Marie Claire : Dormez-vous bien la nuit ?

Pomme : J’ai passé toute mon enfance à souffrir d’insomnies. C’est seulement depuis que je travaille et que je fais ce qui me plaît au quotidien que j’ai la chance de bien dormir. Je suis une couche-tôt, vers 23 heures, et une lève-tôt. J’ai besoin de beaucoup de sommeil. En tournée, je vis l’inverse de mon rythme de sommeil. Je suis très fatiguée, même sans faire la fête.

Vos boisson et nourriture nocturnes ?

Après les concerts, à Paris, je mange du Kraft Dinner, de la junk food canadienne que je rapporte du Québec : des coquillettes avec du cheddar en poudre orange. Ma boisson de la nuit ? La tisane. J’en bois de toutes sortes : mauve, menthe poivrée, gingembre, etc.

Vivez-vous sous une bonne étoile ?

Je crois que oui.

Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?

Ma mère est assez pudique. Toute petite, peut-être, mais ensuite, moins souvent.

La nuit efface-t-elle le jour et les soucis ?

Non, pas pour moi. J’ai une telle facilité à m’endormir, un tel amour pour le sommeil que si je ne m’endors pas, c’est que ça ne va vraiment pas. La nuit, c’est plutôt l’exagération de mes angoisses, de mes problèmes de la journée. Le matin m’apaise, quand je prends mon café.

Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?

Des livres. Je suis en train de lire Chavirer de Lola Lafon*. Une bougie de massage. Et un petit bouquet de fleurs séchées reçu après l’une de mes premières dates parisiennes, en 2018, aux Étoiles. J’adore les fleurs séchées, je peux garder les bouquets de fleurs pendant trois ans, je ne les jette pas.

Quels carburants d’après minuit : alcool, drogue, sexe, sucre, Xanax ?

Plutôt sucre et de la mauvaise nourriture. Je consomme pas mal de CBD, la molécule légale du cannabis.

La dernière fois que vous vous êtes couchée tôt ?

Tous les jours de ma vie.

Boule à facettes ?

Je suis très mal à l’aise en boîte de nuit, je n’aime pas danser. Pendant le confinement, je me suis un peu libérée, j’ai beaucoup dansé chez moi, seule ou avec ma famille ou mes ami·es. Mais au milieu de plein de gens inconnus, c’est l’angoisse absolue.

Le parfum de la nuit ?

La fleur d’oranger parce que toute petite, ma mère mettait de l’huile essentielle d’oranger sur mon oreiller pour m’aider à dormir.

La nuit la plus dingue ?

Il y a une époque où j’ai fait plein de nuits de dingue. J’ai même vomi du sang, une fois, tellement j’avais bu. Mais je ne m’en souviens plus, je n’ai pas d’anecdotes précises. Je dirais plutôt les nuits au Québec où je regarde les étoiles jusqu’à tomber de fatigue. C’est à Mégantic qu’il y a les plus beaux ciels étoilés du Québec. Il y a même un observatoire.

Le plus trash la nuit ?

Être toute seule dans la rue quand tu es une fille à Paris.

Que préférez-vous la nuit ?

Être inspirée. Sinon, je préfère dormir.

Les mots de la nuit ?

Lumières – puisque c’est le seul moment où on les perçoit. Noir. Constellation. J’aime beaucoup regarder les étoiles et être dans un endroit où on les voit bien.

(*) Éd. Actes Sud.

Ce papier a été initialement publié dans le numéro 827 de Marie Claire, daté d’août 2021.

  • La rencontre d’avant minuit : Irène Jacob
  • La rencontre d’après minuit : Philippe Katerine

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