Femme actuelle vous propose de découvrir un extrait de Paradis Perdus d’Eric-Emmanuel Schmitt, paru chez Albin Michel (576 p., 22,90 €). Le premier des huit tomes de La traversée des temps va vous emporter.

  • Maxime Chattam

Nous vous avons récemment invités à découvrir Une toute petite minute, de Laurence Peyrin (éd. Calmann Lévy 432 p., 20,90 €), Les Possibles de Virginie Grimaldi (éd. Fayard, 378 p., 19,50 €), Celle qu’il attendait de Baptiste Beaulieu (éd. Fayard, 342 p., 18,50 €) ainsi que 1991 de Franck Thilliez (éd. Fleuve noir, 504 p., 22,90 €), Le cerf-volant de Laetitia Colombani (éd. Grasset, 224 p., 18 €)) et Intuitio, de Laurent Gounelle (Calmann Lévy, 400 p., 15,99 €) ou encore L’illusion, le nouveau polar de Maxime Chattam avec sa tendre dédicace à Faustine Bollaert (éd. Albin Michel, 464 p., 22,90€). Mais aussi Loin du bruit du monde, le cinquième et dernier roman de Valéry Giscard d’Estaing, paru avant sa mort. Nous vous avons également dévoilé le talent de romancière de Marina Carrère d’Encausse qui a publié un polar saisissant Les Enfants du secret (éd. Héloïse d’Ormesson, 176 p., 17 €).

Une œuvre titanesque

Aujourd’hui c’est un extrait de Paradis Perdus d’Eric-Emmanuel Schmitt, paru chez Albin Michel, que nous vous proposons (576 p., 22,90 €). Ouvrir le premier des huit tomes de La traversée des temps et c’est plonger au cœur d’une œuvre titanesque à travers les siècles. Voilà trente ans qu’Eric-Emmanuel Schmitt s’est fixé un sacré défi: raconter l’histoire de l’humanité. Alors mettez sans hésiter vos pas dans ceux de Noam et de sa femme Noura qui affrontent le déluge. Et pour tenter de gagner ce merveilleux roman, participez au jeu concours qu’organise Femme Actuelle. Bonne lecture!

« – Ne me regarde pas comme ça, je vais tomber enceinte.

Telle fut la première phrase que m’adressa Noura. Nous ne nous connaissions pas, je déambulais parmi les miens tandis qu’elle débarquait sur un territoire étranger ; en dépit de cette insécurité, elle me lançait d’une voix veloutée :

– Ne me regarde pas comme ça, je vais tomber enceinte.

J’en demeurai bouche bée, doutant d’avoir compris.

Noura me fixait, amusée, les paupières à moitié fermées sur ses sublimes yeux verts. Plus menue que moi, il me semblait qu’elle me dominait. Cela tenait à l’ironie de ses sourcils d’un arc si pur qu’ils semblaient peints, à la précision de ses traits, à l’élancement de sa silhouette, à la finesse altière de ses membres, et surtout à son immobilité habitée — quoiqu’elle ne bougeât pas, je sentais mille forces s’agiter en elle, des forces qui la poussaient au mouvement mais qu’elle avait domptées, des forces qui lui conféraient sa densité et sa présence, des forces qui, par instants, affleuraient sa peau sous forme de frémissements.

– Ne me regarde pas comme ça, je vais tomber enceinte.

Mon corps avait aussitôt remarqué sa beauté : une flamme avait empourpré ma face, mes lèvres s’étaient ouvertes, ma poitrine avait retenu son souffle, mes jambes s’étaient pétrifiées. Un saisissement. Aucune pensée ne me traversait la tête. En même temps que ma chair s’était éveillée, ma conscience s’était stupidement assoupie. Inaugurant une longue série, je subissais l’« effet Noura » : le corps vif, l’esprit gourd.

Quand je parvins à détecter que sa phrase me visait — et visait juste —, je tremblai que d’autres ne l’aient entendue, ce qui m’aurait couvert de honte. Une rapide vérification alentour me tranquillisa. En ce jour de marché, chacun vaquait à sa tâche, qui proposait des myrtilles cueillies aux contreforts des monts, qui vendait de l’ocre, qui exposait plats ou pots de terre cuite, qui écoulait des pelotes de chanvre ou d’ortie, qui déployait ses toiles, qui vantait ses capes en cuir, qui étalait sur une natte des sandales et des chaussons, sans compter les paysans qui filaient en sifflotant vers leurs champs. Quelle naïveté de ma part ! Noura — je l’ignorais encore — décochait des flèches infaillibles : si elle avait voulu toucher badauds et commerçants, elle aurait projeté sa voix ; or elle l’avait modulée pour moi, moi seul, établissant une complicité, voire une intimité immédiate entre nous. À peine nous étions-nous approchés que nous partagions une cachotterie.

Afin de me remettre de mon trouble, je bredouillai :

– Je… je… m’appelle Noam.

– Je ne t’ai rien demandé.

Elle détourna le visage et s’absorba dans la conversation que son père avait engagée avec le mien. »

Paradis Perdus d’Eric-Emmanuel Schmitt, éd. Albin Michel, 576 p., 22,90 €

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