Brian Johnson, le chanteur du légendaire groupe australien AC/DC raconte quarante ans de carrière et les coulisses de leur retour. Un nouvel album, Power Up, puise dans les derniers riffs de Malcolm Young, le fondateur décédé en 2017.
« I’m ready to rock! » À 73 ans, Brian Johnson, bien calé dans son canapé à Miami, est prêt à commenter son retour en grâce dans la plus sonore légende rock encore en activité. Tout sourire, le chanteur paraît si fier de Power Up, le dix-septième album studio d’AC/ DC, le onzième pour lui qui a remplacé Bon Scott au micro en 1980. Disponible vendredi, cet album hanté par les riffs de son guitariste Malcolm Young, le cofondateur décédé en novembre 2017 à 64 ans, est aussi pour Brian Johnson une occasion de remercier le destin, après sa mise à l’écart en 2016 en raison de problèmes de surdité.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez réintégré AC/DC?
Oui, c’était à l’été 2018. J’ai reçu un coup de fil du management. Angus [Young, le compositeur et cofondateur d’AC/DC avec son frère Malcolm en 1973] m’a dit : « Est-ce que ça te plairait d’enregistrer un nouvel album du groupe? » Et comment! Puis, il a appelé Phil [Rudd, batteur] et Cliff [Williams, bassiste]. Stevie [le neveu des frères Young remplace Malcolm à la guitare depuis 2014] nous a suivis naturellement. Dès que nous avons mis un pied dans le studio, à Vancouver, une électricité indéfinissable nous a tous saisis. C’était comme si Malcolm était parmi nous. Il faut préciser qu’une partie de l’album est née de riffs composés à l’époque de Black Ice [2008]. On a branché les instruments, poussé le volume des amplis et on a joué. Waouh! Quel pied! C’était comme si on nous donnait une seconde chance. Car souvenez-vous de ce qu’était AC/DC trois ans et demi plus tôt : j’avais quitté le groupe à cause de mes problèmes, Cliff avait décidé de raccrocher et Phil avait tous ses ennuis avec la justice en Nouvelle-Zélande [soupçonné dans une enquête concernant des tentatives d’assassinat, mais sur ce point il a été mis hors de cause]. On ne donnait pas cher de notre peau…
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Le secret d’une chanson d’AC/DC : que ça cogne! Trois minutes trente pour en sortir sonné
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Quelles images vous reviennent de Malcolm Young?
J’ai eu la chance de travailler à ses côtés pendant trente-six ans. C’était un gars extrêmement pointilleux qui ne laissait rien passer, une poursuite de lumière oubliée sur Angus ou le moindre retard de l’un d’entre nous… Il ne fallait pas trop le chercher et, en même temps, Malcolm était la personne la plus patiente, la plus généreuse de son temps avec les fans. Il me revient une anecdote durant l’enregistrement de l’album Back in Black [1980], mon premier avec le groupe. Juste après une prise, il a remarqué la présence d’un bruit bizarre sur la bande. On a coupé les pistes de guitare, mais il entendait toujours un « grrr, grrr »… On a coupé les voix, puis les chœurs, et enfin toutes les pistes, rien n’y faisait. On a regardé Malcolm comme s’il était fou. Mais il avait raison : il y avait un crabe qui grattait un truc dans un coin du studio! Nous, on n’avait rien entendu…
Son souvenir vous rend-il nostalgique?
Oui, Angus et lui étaient deux frères aussi inséparables que complémentaires. Quand la maladie est apparue, on a d’abord cru que Malcolm la vaincrait. C’était notre pilier. Sa perte nous a dévastés. Dans Power Up, une chanson lui est adressée : Through the Mists of Time. Quand je l’écoute, j’ai comme un pincement, une nostalgie de tous ces bons moments vécus ensemble. Au début des années 1980, on se sentait libres, on se foutait de tout, il y avait toutes ces jolies filles qui se baladaient joyeusement backstage…
La chose la plus folle que vous ayez vécue?
Je crois que c’était lors d’un concert à Moscou. Nos loges se trouvaient dans une petite tente adjacente à la scène. On était sur le point de démarrer quand j’ai été pris d’une furieuse envie de pisser! Impossible d’aller à l’extérieur de la tente : il y avait des milliers de personnes! Il y avait un vieil aéroport militaire à côté. Je me suis engouffré dans le bâtiment et j’ai commencé à me soulager dans l’obscurité quand j’ai vu deux soldats se pointer, mitraillette à la main! Ils avaient l’air furieux. J’ai vraiment cru que ces deux Russes allaient m’abattre comme un lapin. Heureusement, la présence d’un roadie qui passait par là avec une cartouche de Marlboro sous le bras m’a sauvé la mise…
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Mon job, c’est d’absorber l’énergie extérieure et de la restituer sous forme cathartique
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Sur Shot in the Dark, vous évoquez un besoin irrépressible d’adrénaline. L’injonction sex, drugs and rock’n’roll est-elle encore possible?
C’est en tout cas le message d’AC/DC : éclatez-vous! Que ce soit, comme dans cette chanson, dans un truck avec une femme ou bien dans un lit… On est heureux que Sony ait accepté de sortir cet album dans cette période si particulière. Si seulement ça pouvait donner du bonheur aux gens et faire oublier ce gros nuage noir qui plane au-dessus de nos têtes… Mon job, c’est d’absorber l’énergie extérieure et de la restituer sous forme cathartique. Un jour, la musique reprendra le chemin de la scène. C’est d’ailleurs ce que nous comptions faire juste avant la pandémie. Nous avions répété à Amsterdam avec l’idée non pas de repartir en tournée mais de donner quelques concerts pour le fun.
Un album d’AC/DC, c’est forcément sportif pour des septuagénaires. Comment vous préparez-vous?
Si chanter avec passion est à la portée de tous, le faire à la façon d’AC/ DC est en effet particulier. Il faut rester fit. Le matin, je m’entraîne dans ma salle de gym et je fais du vélo. Stevie, lui, marche, il est capable de faire 15 miles [24 kilomètres] dans une journée! C’est important d’être au top de sa forme quand on entre en studio, d’autant que je ne chante pas avec un casque mais dans une pièce isolée sur un vieux micro, un SM54, et je n’ai aucun son retour. Brendan O’Brien, notre producteur, m’a convaincu que c’était la meilleure manière de faire. Mais gare à qui se trouve à mes côtés quand j’enregistre car j’explose tout dans mon élan, les lampes, les bonbonnes à eau… C’est le secret d’une chanson d’AC/DC : il faut que ça cogne! Pam! Trois minutes trente pour qu’à la fin on en sorte sonné.
Hors séances de travail, voyez-vous les autres membres du groupe?
Non. Angus vit en Australie, Cliff est cloîtré, avec son fusil, en Caroline du Nord. Phil est en Nouvelle-Zélande et Stevie, je ne sais pas où… Quant à moi, je suis arrivé en Floride d’Angleterre il y a une semaine, après quatre vols annulés coup sur coup. Finalement, j’ai attrapé le dernier pour Miami.
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Nous avons vieilli mais les chansons de Back in Black n’ont pas pris une ride!
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2020 marque les 40 ans de l’album Back in Black. Qu’est-ce que ça vous évoque?
Que nous avons vieilli mais que les chansons n’ont pas pris une ride! C’étaient mes débuts avec AC/DC. On m’avait dit que l’enregistrement aurait lieu aux Bahamas. N’ayant jamais vu une île tropicale de ma vie, j’avais seulement emporté un jean, une paire de chaussures, deux tee-shirts, deux caleçons et deux paires de chaussettes… Nous bossions comme des fous. Deux semaines après, nous n’avions toujours pas mis le nez dehors. Je suis allé m’acheter un maillot de bain et je suis parti nager, sans me douter que l’album aurait un tel impact dans le monde entier [plus de 50 millions d’exemplaires vendus]. Plein de gamins sont allés s’acheter une guitare pour reproduire les riffs.
Vous, le fils de mineur anglais, êtes soudain devenu très riche. Qu’avez-vous fait de cet argent?
Je me suis acheté des voitures de collection. Vous voyez ce modèle miniature derrière moi? C’est une Bentley 4,5 litres Le Mans 1928. Je possède la même dans mon garage… C’est mon péché mignon, j’adore le bruit des moteurs. Sacrée musique! J’ai la nostalgie des vieilles Bugatti, des Bentley, des Alpina aussi. Je regrette d’ailleurs qu’on ne puisse pas en acheter aux États-Unis.
Quelles musiques écoutez-vous?
Aucune quand j’enregistre, parce que je suis complètement impliqué dans ma propre musique. Sinon, j’apprécie toujours autant Nazareth [légendaire groupe écossais de hard rock]. Mais si vous pouviez voir ma collection de disques, vous verriez que j’écoute vraiment de tout, de Ray Charles à Little Richard, de Tina Turner à Jerry Lee Lewis.
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Johnny Hallyday, l’Elvis français, était un type adorable
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Et des Français? Vous connaissez Johnny Hallyday, qui était très fan d’AC/DC?
Ah oui, l’Elvis français! C’était un type adorable que j’ai eu l’honneur de rencontrer une fois au Four Seasons Hotel, à Los Angeles. Il se trouvait avec des amis quand il m’a aperçu : « hé oh, c’est le gars d’AC/DC! » On s’est retrouvés au bar et on a discuté en anglais, évoquant notre ami commun, Bernie [Bonvoisin, le leader de Trust].
Vous souvenez-vous de votre premier Stade de France, en 2001, quand vous portiez le maillot de l’équipe de France de foot?
Ah oui, quel souvenir! La clameur des fans se mêlant aux cloches de Hells Bells, c’était comme une vague qui m’enveloppait. C’est le seul endroit où j’ai chanté Ride On [un titre de 1976, le dernier que Bon Scott ait chanté avant sa mort en février 1980]. Malcolm voulait qu’on le joue… Doux Jésus, je connaissais à peine les paroles. Mais je n’avais pas le choix, il fallait se jeter à l’eau. C’était énorme!
Power Up ***
Sony, disponible le 13 novembre.
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