Prétendu relaxant et dépourvu d’effet stupéfiant, cet actif issu du cannabis fait des émules auprès de ceux qui veulent se réconcilier avec le sommeil. Quatre spécialistes démêlent le vrai du faux.
«Quand tu en prends, tu ne ressens pas de la fatigue mais de l’apaisement et de la légèreté.» Paul*, trentenaire parisien, parle ici de ce qu’il utilise depuis deux ans pour diminuer ses réveils nocturnes en période de stress : le cannabidiol (abrévié CBD), une molécule issue du cannabis. Contrairement au delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) lui aussi présent dans la plante, le CBD est dépourvu d’effets euphorisants et n’est pas un stupéfiant.
Depuis 2018, on en trouve en France et à l’international sous toutes les formes : e-liquide, tisane, gomme à mâcher, spray, huile, tablette de chocolat, sucette, boisson pétillante… Il résoudrait tous les maux ou presque – anxiété, migraines, règles douloureuses – et surtout troubles du sommeil. Le contexte anxiogène actuel ne manque pas de faire grandir l’intérêt pour la substance. Sandrine Bridoux, cofondatrice de la marque française d’huiles CBD Fresh Body Green Mind, assure ainsi avoir vu une augmentation des ventes de plus de 300% depuis le premier confinement.
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Action indirecte et placebo
Pour l’heure, aucune étude clinique sérieuse ne permet de prouver une réelle action du CBD sur le sommeil. «L’univers de la molécule reste avant tout très porté par les témoignages des utilisateurs», ajoute Pascal Douek, médecin spécialiste du cannabis médical et patient-expert (1).
Les bienfaits décrits par les consommateurs découleraient davantage des effets indirects du psychotrope. «Plusieurs données scientifiques démontrent que le CBD est efficace contre la douleur et possède un certain potentiel contre l’anxiété et le stress post-traumatique. Si on souffre de ces problèmes et que la prise de CBD les supprime, on va mieux dormir», commente Pierre Philip, chef du service universitaire de médecine du sommeil du CHU de Bordeaux et directeur de l’UFR Sanpsy CNRS (2). C’est le cas de Sophie, qui raconte sur le forum Reddit comment la tisane au CBD a réduit sensiblement ses douleurs articulaires et ainsi amélioré le confort et la qualité de ses nuits.
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«Chez les personnes anxieuses, le CBD ne déclenche pas le sommeil comme un somnifère mais son action anxiolytique agit sur la cause de l’insomnie, l’anxiété, en activant un des récepteurs de la sérotonine, précise Nicolas Authier, psychiatre, pharmacologue et président du comité scientifique sur le cannabis médical à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). De quoi, en pratique, améliorer les conditions d’arrivée du sommeil ou favoriser le rendormissement en cours de nuit.
Les professionnels de santé n’écartent pas non plus un potentiel «effet placebo». «Les consommateurs y croient car ils sont sensibles au caractère naturel de ce produit issu de la plante», observe Nicolas Authier. «Il fait partie d’un rituel, comme la tisane à la verveine que l’on prend avant d’aller se coucher», complète Pascal Douek, médecin spécialiste du cannabis médical.
Au vu des actuelles recherches médicales sur le sujet, les spécialistes insistent : on ne peut pas parler d’impact thérapeutique. «Certains essais cliniques testent des posologies de 200 à 800 mg de cannabidiol par jour, des quantités bien plus importantes que celles des produits qu’on trouve en boutique aujourd’hui», illustre Nicolas Authier.
Manque de contrôle et ingrédients indésirables
Sans interdire la prise de CBD aux fâchés de l’oreiller, les professionnels restent frileux. Car dans ce marché florissant, l’herbe n’est pas verte à tous les étages et les médecins pointent du doigt une législation encore trop floue. «Sans régulation, on n’a aucun moyen de connaître la qualité du produit, déplore le psychiatre et pharmacologue Nicolas Authier. Certains vendeurs importent du cannabidiol produit à l’étranger dont le taux de THC dépasse la tolérance zéro imposée.» En effet, en France, la production et la vente de CBD sont autorisées à condition que la molécule soit extraite de plants de chanvre (graines et fibres uniquement), dont la teneur en THC est inférieure à 0,2% et que le produit fini n’en contienne aucune trace.
Des additifs indésirables peuvent également se retrouver dans un flacon de CBD, comme du dextrométhorphane, un antitussif pouvant entraîner une dépendance, rapportait l’année dernière le New York Times. En 2017, une étude de l’université de médecine de Pennsylvanie révélait aussi que moins d’un tiers des 84 produits examinés contenaient la quantité de CBD inscrite sur leurs étiquettes. En France, des contrôles de l’ANSM ont dressé un constat similaire en 2018.
Sandrine Bridoux, de la marque d’huiles CBD Fresh Body Green Mind, est bien consciente du problème. «Notre CBD est extrait des tiges et des graines de chanvre produit en France et dont la production a été analysée par un laboratoire tierce», assure-t-elle. «Certains acteurs ont fait le choix d’avoir une rigueur scientifique, mais ce n’est pas le cas de tous, il faut rester vigilant», conclut Pascal Douek.
La balle reste dans le camp de la recherche. La justice européenne, a tranché le 19 novembre 2020 en faveur du CBD, jugeant illégale son interdiction en France. La Cour a en effet estimé que «d’après l’état actuel des connaissances scientifiques», cette molécule «n’apparaît pas avoir d’effet psychotrope ni d’effet nocif sur la santé humaine.»
Fin juillet, le gouvernement a présenté un projet d’arrêté auprès de la Commission européenne afin d’autoriser la production et la commercialisation «sous certaines conditions, (de) toutes les parties de la plante de chanvre». En revanche, le texte précise que «les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre». Avant d’ajouter : «Il en résulte en particulier que la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, notamment comme produits à fumer, tisanes ou pots-pourris, leur détention par les consommateurs et leur consommation sont interdites.» L’arrêté définitif devrait être publié fin 2021 ou début 2022.
Sur le champ du sommeil, le directeur de l’UFR Sanpsy CNRS Pierre Philip invite à la prudence : «On ne sait rien des conséquences à long terme de l’usage du CBD». Avant de se tourner vers ce type de produit, le spécialiste, à l’initiative d’un compte Instagram pédagogique autour des problèmes liés à la fatigue, conseille en priorité de revoir son hygiène de sommeil. Et de mettre en pratique deux règles simples : une durée de sommeil de 7 heures par jour, ajustée selon les besoins individuels, et un réveil quotidien à heure fixe.
* Le prénom a été modifié.
(1) Pascal Douek est l’auteur de Le Cannabis médical, une nouvelle chance, aux éditions Solar, 272 pages, 19,40€.
(2) Pierre Philip est l’auteur d’Antifatigue, aux éditions Albin Michel, 256 pages, 18,90€.
*Publié le lundi 16 novembre, cet article a fait l’objet d’une mise à jour.
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