Dans La Guerre par le droit (1), une remarquable enquête publiée le 2 septembre, le sociologue Adam Baczko décortique le système juridique des talibans et le sort réservé aux femmes. Celles-ci, tenues à bonnes distance des tribunaux, sont largement soumises à l’autorité des hommes de leur famille.

Madame Figaro. – Les femmes ont-elles une place dans la justice des talibans ?
Adam Baczko.
– Cette justice est profondément patriarcale. Elle délègue au chef de famille le règlement des questions familiales dès lors qu’elles n’ont pas créé un scandale public, peu importe le degré de violence que ce chef de famille exerce. C’est une justice qui considère que les femmes devraient éviter, de manière générale, de faire appel à la justice. Il y a bien des femmes qui recourent à la justice talibane, j’en ai rencontré qui ont obtenu satisfaction auprès des juges. C’est rare, mais cela arrive. Par exemple, la veuve d’un soldat de l’armée nationale afghane a réussi ainsi à récupérer auprès des talibans la demi-part d’héritage de son mari que lui accorde le droit islamique. Quand elle s’était tournée vers les tribunaux du gouvernement, elle avait dû payer des juges qui n’ont jamais rendu de décision, puisqu’une des stratégies du régime était de faire durer les cas pour faire payer les gens.

Comment les juges les considèrent-elles ?
De manière structurelle, la justice afghane s’exerce au désavantage des femmes. Les hommes peuvent se présenter au tribunal quand ils le veulent, alors que les femmes doivent venir avec un garant ou un membre de leur famille. Surtout, les juges estiment qu’une femme qui se présente au tribunal n’a pas cherché toutes les solutions possibles. Quelque part, ils considèrent toujours les femmes comme responsables des conflits qu’elles contribuent à alimenter par leur plainte. Les juges talibans, extrêmement rigoristes dans leur vision du droit, dans la volonté d’appliquer les peines les plus sévères, font néanmoins régulièrement des passe-droits quand il s’agit de l’héritage. Les filles d’un défunt, par exemple, doivent recevoir une demi-part selon la jurisprudence hanafite mais, la plupart du temps, elles sont exclues de l’héritage.

Quelles sont les évolutions possibles dans les prochains mois pour les Afghanes ?
La situation n’empire pas d’un seul coup, elle était déjà beaucoup plus grave que celle qu’on imagine. Les femmes ont été un enjeu de la guerre depuis son déclenchement, donc elles ont toujours souffert bien plus que les hommes. On peut surtout craindre pour les femmes qui ont eu la possibilité d’exercer toutes les libertés qu’offraient les milieux éduqués et urbains des vingt dernières années, et qui n’auront plus du tout cette possibilité avec les talibans. Cela concerne des millions de femmes, celles qui pouvaient porter simplement un voile, celles qui parvenaient à travailler malgré les obstacles. On va revoir en ville des pères et des maris qui vont gagner en puissance. Le recul des droits des femmes dans ces villes est une évidence.

(1) La Guerre par le droit, Les tribunaux taliban en Afghanistan, CNRS Éditions, 384 p., 24 €. Disponible sur leslibraires.fr

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