L’écrivain voyageur Pierre Ducrozet met le pied au Japon en mars 2020, en plein Covid. Un choc de beauté et un récit d’apprentissage.

Journaliste, écrivain, voyageur, Pierre Ducrozet décide avec sa femme Julieta de partir en août 2019 depuis Barcelone pour un périple qui commence au Népal, traverse l’Inde, le Sri Lanka, la Thaïlande, la Birmanie et s’achève au Japon. Quand il pose le pied à Tokyo en mars 2020, le monde entier est face au péril du Covid, suspendu. Pourtant, l’éclosion des fleurs de cerisiers, les rues sans touristes et des sensations fortes font dire à Pierre, dans le récit Partir léger (1) qu’il a publié : «D’heure en heure, notre fascination devient évidente : notre imaginaire, qu’on penserait avant tout américain, est largement nippon… Cet art de vivre, on ne peut plus chaleureux, ces vêtements si beaux et flottants, la technique et la gastronomie, tous les objets et l’invisible ne parlent finalement que de nous.» On a voulu comprendre pourquoi.

D’où vous vient ce sentiment d’un endroit si familier ?
Mon enfance a été baignée aux couleurs des dessins animés japonais, des jeux Atari et Sega, de Dragon Ball, Zelda et Prince of Persia… Puis, vers 20 ans, j’ai découvert la littérature japonaise, ce sens du discret qui est entêtant, et surtout la cuisine japonaise : très vite, elle est devenue pour moi la meilleure du monde. Je suis arrivé au Japon avec une immense attente, et cette idée que tout ce qui y est fait est bien fait. Je découvre que c’est encore mieux que cela !

Vous êtes embarqué aussitôt par un minimalisme radical…
À Kyoto, je me retrouve dans le jardin zen de Ryoan-ji, quelques pierres éparses, du gravier agencé autour, et nous restons des heures devant tant de perfection. C’est un minimalisme actif. Le rien dans le tout. C’est la même chose avec la littérature il me semble, une façon de dire tout avec très peu. Cette perfection du rien, à l’opposé de l’opulence et de la profusion qu’on connaît en France ou en Espagne, par exemple, est bouleversante. À Tokyo, au milieu de rues désertées par les touristes, un inédit depuis 1945, je me suis senti étrangement saisi par le calme, à l’heure de la pandémie mondiale. On regarde les Japonais penchés sur des boutons de fleurs de cerisiers, et on est ébloui. C’est le lieu de l’intensité des choses. Nicolas Bouvier y fut lui aussi tellement sensible (lire notamment Le Japon et Le Vide et le Plein, de Nicolas Bouvier, NDLR).

Vous évoquez aussi une philosophie de la fragilité, un art de l’incertitude, voire de l’absence. Qu’est-ce qui vous touche en cela ?
Il existe au Japon, je crois – je suis encore un novice ! -, une éthique de la fragilité, une précarité essentielle, d’abord parce que le pays est une île et parce que, ici, on se prépare depuis toujours à la catastrophe, elle fait partie du quotidien : séisme, accident nucléaire, attaque… Sur cette île, on n’oublie pas qu’on est mortels.

Un an après, quelle empreinte laisse ce voyage ?
Tout au long du parcours, je sentais combien je descendais davantage en moi-même. Étape finale, le Japon m’a permis cette exploration du sensible. Je vais prochainement y retourner avec un photographe pour écrire un livre sur les marges. Ici, on pourrait dire que tout est cliché – la délicatesse, la pudeur, la lenteur -, et tout cliché est déjoué. On y rit beaucoup, on y rencontre aussi l’exubérance. C’est au fond un choc doux.

Auteur aussi du Grand Vertige, Éditions Actes Sud.

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