Marine Calmet accuse le coup : après des mois de travail acharné aux côtés de la Convention citoyenne pour le climat, la déception est immense. Le projet de loi Climat votée par les député·e·s à l’Assemblée nationale n’est pas à la hauteur de ses attentes. Elle qui a oeuvré avec son association Wild Legal pour faire reconnaître le crime d’écocide a vu cette destruction de la nature rétrogradée à la simple notion de « délit ». « Nous avons été trop naïfs de penser que nous pourrions obtenir quelque chose de ce gouvernement », assène-t-elle. « A peine 10% des mesures proposées par la Convention citoyenne sont inscrites dans le texte final. Le bilan carbone réalisé par le Haut conseil pour le climat a démontré que cette loi était très insuffisante et qu’il faudrait multiplier par dix les efforts fournis si nous voulions respecter les Accords de Paris. »

Pour la jeune juriste en droit environnemental, la pilule est amère. Mais elle ne baissera pas la garde. Après trois ans de mobilisation intense en Guyane française contre le projet de mine industrielle Montagne d’or et les forages offshore de Total, elle avait pu savourer une victoire inespérée en juin 2019 suite à l’abandon de ce projet mortifère. Depuis, sa lutte continue. Car Marine Calmet s’est fixé un objectif : elle est devenue « gardienne de la nature ». Un rôle aussi poétique que politique pour se poser en vigie de la Terre et porte-parole des écosystèmes.

Cet engagement viscéral, elle le raconte dans son stimulant Devenir gardiens de la nature en s’appuyant sur son expérience aux cotés des peuples autochtones de Guyane, puis en tant qu’experte auprès de la Convention citoyenne. Un récit initiatique inspirant pour rallier d’autres gardiens et gardiennes de la nature et pour protéger les intérêts de cette terre sacrifiée par notre société capitaliste. Objectif ? Amorcer une « révolution copernicienne », comme elle la nomme, en replaçant « les humains non plus au sommet mais au sein de la communauté du vivant ».

A l’occasion du Jour de la Terre, nous avons demandé à l’experte et militante de nous livrer quelques pistes pour endosser, à notre tour, ce statut de gardien·ne de la nature. Et espérer construire une communauté vertueuse et combative de tuteur·rice·s pour défendre cette planète si précieuse.

1- Apprendre à (bien) connaître la nature

Sorti·e·s de nos vagues et lointains cours de SVT, la connaissance de la nature ne fait pas vraiment partie de notre apprentissage. Plongé·e·s dans notre quotidien bétonné, nous nous sommes même trop souvent coupé·e·s du vivant. C’est ce lien qu’il s’agit de recréer. « Faire l’impasse sur la connaissance de la nature ‘par principe’ ou par colère est vain », souligne Marine Calmet. « Il est nécessaire d’avoir une vision claire de ce qui doit être protégé. »

Alors, comment entreprendre cette étude de la nature ? Partir s’isoler pendant des mois seul·e dans la forêt ? Dévorer des piles de livres ? « Il faut un peu de tout, mais surtout ce qui est le plus facile pour vous. Avant de partir en Guyane, j’ai regardé tous les films sur cette région, j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur le sujet de l’orpaillage, quel était son territoire, son histoire, ses enjeux… Et une fois arrivée sur place, j’ai écouté pendant des mois les histoires des gens qui habitent dans ces territoires. »

Ainsi, qu’il s’agisse de la défense d’un arbre, d’un cours d’eau, d’une montagne, les gardiens de la nature doivent parfaire leur l’apprentissage du fonctionnement des écosystèmes qu’elles et ils veulent défendre pour mieux les protéger. Mais l’experte avertit : on ne devient pas expert·e du jour au lendemain. « C’est un processus long parce que c’est complexe. Toute sa vie, on apprend à découvrir. » Un cheminement riche, exaltant, jonché de belles découvertes et de rencontres et « qui apporte souvent beaucoup d’amitiés avec lesquelles on partage cet amour de la nature. »

A la clé, un bien précieux : la diffusion du savoir, « outil fondamental pour amener les grands changements de société. »

2- S’extraire d’une vision binaire

Le vivant est complexe. Et non, ce n’est pas parce que l’on se pose en défenseur·e de la nature que l’on appartient au camp des « gentils » contre le camp des « méchants ». Pour protéger au mieux les écosystèmes, il faudrait se défaire des raccourcis réducteurs et embrasser le problème plus globalement.

« Par exemple, quand on parle de l’impact du transport aérien, il faut étudier les tenants et aboutissants économiques, les motifs de développement de ce secteur, quels besoins il tente de couvrir. Cela permet de comprendre votre marche de manoeuvre : comment convaincre les personnes que vous avez en face de vous de la nécessité de changer et de trouver des modes de déplacements alternatifs », souligne Marine Calmet. « Il faut aller chercher en profondeur quel est le vrai problème et ne pas traiter le sujet de manière superficielle. »

3- Proposer des alternatives

Au-delà des postures moralisatrices ou des boycotts parfois stériles, les gardien·ne·s de la nature se doivent de proposer des solutions viables qui prendront en compte la réalité du terrain. Car brandir de jolis slogans ou refuser un projet en bloc n’est pas suffisant : il faut être en mesure de soumettre d’autres options plus vertueuses mais aussi acceptables par la population.

« Etre gardien ou gardienne implique d’être en mesure d’expliquer clairement ce que l’on refuse mais également ce que l’on protège ou ce que l’on souhaite construire comme société compatible avec les droits de la nature ».

Mais comment offrir ces alternatives lorsqu’on ne détient pas les clés décisionnelles ? « L’échelon au plus proche des citoyens est l’échelon des mairies et il est très satisfaisant. Il permet par exemple de proposer de nouveaux systèmes de production ou de distribution qui sont en accord avec nos valeurs et avec des échelles sur lesquelles on peut agir », explique Marine Calmet. Pour l’experte et autrice, c’est en agissant à l’échelle locale que l’on pourra influencer des échelles supérieures comme la loi. « Car l’élan vertueux vient la plupart du temps des territoires, là où les citoyens ont les clés pour agir. C’est rarement dans l’autre sens… C’est là qu’il faut se positionner en gardien. »

4- Rendre à la terre

Chaque jour, nous puisons dans les ressources de la Terre. Et nous l’épuisons. « La conscience de notre interdépendance avec la nature semble s’être progressivement érodée en Occident à mesure que les inventions humaines ont permis de maîtriser les écosystèmes », souligne Marine Calmet. La date du « Jour du dépassement » en est le terrible symbole. Chaque année, l’humanité dépense l’ensemble des ressources que la Terre peut générer en un an aux alentours du mois d’août. L’humain s’est ainsi imposé comme le plus grand prédateur du vivant, engloutissant (et détruisant) toujours plus, dans une frénésie hégémonique et destructrice.

« L’homme n’a survécu qu’en s’adaptant au fonctionnement de la nature, non en la combattant », rappelle justement Marine Calmet.

Comment se défaire de ce modèle extractiviste qui prône le pillage de la terre ? Marine Calmet propose une jolie philosophie héritée des peuples autochtones : le principe de réciprocité. Autrement dit, rendre à la terre ce que nous lui avons arraché. Mais comment la mettre en pratique ?

« J’aime beaucoup l’exemple des kerterres, ces petites maisons faites en matériaux bio-sourcés qui n’ont pas d’impact sur l’environnement et s’insèrent dans la nature. Au lieu d’être un habitant qui jette, consomme et artificialise, on devient un vrai gardien, en s’insérant sur le territoire en pensant comment le préserver, comment il sera après nous. »

Et de quelle façon les gardiens urbains peuvent-ils maintenir ce bel équilibre entre leur vie quotidienne et une nature préservée ? « Par exemple, avec le compost. Ca a l’air tout bête, mais il est vital. Vous vous rendre à la terre ce que vous lui avez pris et que vous avez mangé, même si ce n’est qu’une infime partie. On entretient ainsi la terre avec du vivant. C’est un effort collectif à faire et il peut être fait partout. »

5- Reprendre le pouvoir localement

L’écolo ne connaît que trop bien ce sentiment d’impuissance et de frustration : comment agir quand on ne détient pas les leviers politiques ? Comment reprendre la main face à la inertie des pouvoirs publics sur la question environnementale ?

Pour Marine Calmet, la solution est simple : « On réfléchit déjà à qui on élit comme maire », sourit-elle. « C’est l’échelon le plus proche de nous et on peut y faire pas mal de choses. Par exemple, la maire EELV de Poitiers, Léonore Moncond’huy, réfléchit à de nouvelles manières de faire entendre la voix des citoyens dans les processus de décisions participatifs. C’est une très bonne chose et il devrait y en avoir de plus en plus. »

Autres pistes évoquées par l’experte : organiser des conventions citoyennes locales, faire vivre des débats, écrire des protocoles de consultation, prendre des décisions en commun. « A la base, rien ne prévoyait les bases légales de la Convention citoyenne pour le climat, c’est une pure création juridique. Il n’y a pas à changer la loi pour recréer de la démocratie au niveau local. Il n’y a donc pas de limites. Cela ne dépend que de la volonté des personnes sur les territoires qui agissent. »

Un champ des possibles stimulant pour instaurer de nouveaux modèles de gouvernance locale, revitaliser le rapport de force, reprendre les rênes du processus de décision, résister aux projets responsables de la destruction du vivant et porter localement les intérêts de la nature.

6- Ne pas se contenter des « petits pas »

Bombardé·e·s par les injonctions à agir et pris·e·s de panique à chaque nouveau rapport alarmant, nous trions, nous recyclons, nous veillons à réduire notre consommation d’eau, de plastique, d’électricité, de viande… Sauf que, spoiler alert, cela ne suffit pas. Car ce « moi » pétri de bonnes volontés ne pèse pas lourd face à l’ampleur titanesque de l’urgence environnementale. L’impact de ces écogestes sur la réduction de l’empreinte carbone d’un Français ne dépasserait pas 25% quand les Accords de Paris nous exhortent à atteindre les… 80% de réduction. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas assez.

« Ce n’est pas parce que vous achetez une brosse à dents en bambou que vous allez transformer le système et on en a tous conscience », s’insurge Marine Calmet. « Il y a beaucoup de consignes pour agir au niveau individuel mais du côté des industriels, il n’y pas de sanctions ou de réglementations des activités qui conduisent bien souvent à des catastrophes. C’est injuste. »

Où se nicherait la solution alors ? La réponse serait limpide : dans le collectif. « Travailler ensemble est souvent la solution à notre crise de société. Il vaut mieux reprendre en main collectivement notre avenir plutôt que d’attendre que les politiques changent, que la culture change. Il y a une vraie urgence et faut travailler ensemble, sortir des injonctions individualistes pour faire de l’écologie commune, profonde, qui crée du lien entre les individus mais aussi les territoires. »

Et pour retisser ce fameux « commun », pourquoi ne pas s’engager dans une association écologiste, voire en créer une par exemple ? « Je comprends que cela puisse être difficile, mais c’est un investissement nécessaire pour travailler ensemble à résoudre les problèmes qui affectent notre société. D’ailleurs, je parle de ‘gardiens’ au pluriel ! Cela ne peut s’envisager que de manière collective », souligne Marine Calmet, qui appelle à s’inspirer de la résilience des peuples autochtones en Guyane. « Elles et ils tiennent ensemble sinon leur culture et leurs histoires auraient disparu depuis longtemps. Il faut se protéger les uns les autres pour être plus forts. Les luttes sociales en Europe sont celles qui ont apporté la plupart des droits collectifs dans le droit du travail par exemple. Et c’est ce qui nous protège aujourd’hui. »

Sortir des schémas individualistes, réinvestir cette force collective, ce vivre ensemble que l’on a trop délaissé pour résister, servir de médiateurs, de boucliers entre le monde des humains et celui des non-humains. « Et devenir un contre-pouvoir à part entière », conclut Marine Calmet.

Devenir gardiens de la nature – Pour la défense du vivant et des générations futures

Par Marine Calmet, Tana Editions

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