Le 28 février 1995, la Britannique Helen Fielding publie dans The Independent sa première chronique hebdomadaire mettant en scène une certaine Bridget Jones. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, Candace Bushnell inaugure sa colonne « Sex and the city » dans le New York Observer, donnant ainsi naissance à l’iconique Carrie Bradshaw.

Pour ces deux héroïnes trentenaires, indépendantes et drôles à la recherche néanmoins désespérée du prince charmant, le succès est immédiat, colossal. Les auteures sont vite récupérées par l’édition, devenant les pionnières d’un genre littéraire nouveau et féminin appelé « chick lit ». De « chick » (nana) et « lit » (littérature).

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Inventé par Cris Mazza et Jeffrey DeShell dans le titre d’une anthologie de nouvelles titrée Chick-Lit : Postfeminist fiction, le terme accrocheur va être récupéré par les médias et les vieux briscards du livre, trop heureux d’avoir enfin trouvé un nom pour désigner ces « bouquins de gonzesses » qui caracolent en tête des ventes et au box-office dans leur version ciné devenue « chick flick ».

Tonie Behar, romancière et fondatrice du blog comedieromantique.com, s’en arrache encore les cheveux : « Je ne me sens ni poulette, ni pintade, ni oie blanche. À chaque fois que quelqu’un traite un roman de ce nom d’oiseau, je suis prête à lui voler dans les plumes ! »

Des femmes auxquelles s’identifier

D’autant que, sous des apparences parfois inconséquentes, les Tiffany Trott(1) et autres accros du shopping incarnent pour leurs contemporaines bien plus qu’on ne pourrait le penser. « Avant Bridget Jones, atteindre la trentaine sans être mariée, c’était l’angoisse, explique Tonie Behar. En montrant l’exemple de femmes actives, rigolotes, intelligentes et auxquelles on pouvait s’identifier, la chick lit a brisé un tabou. On n’était plus des vieilles filles, on était des Bridget. »

En montrant l’exemple de femmes actives, rigolotes, intelligentes et auxquelles on pouvait s’identifier, la chick lit a brisé un tabou. On n’était plus des vieilles filles, on était des Bridget.

Un avis pas forcément partagé par bien des féministes, qui voient dans ces couvertures tapissées de stilettos et lipsticks une image de la femme réduite au consumérisme et à la légèreté, soumises aux hommes dont elles attendent qu’ils les délivrent du célibat. Ringarde, Carrie Bradshaw ? En 2000, la littérature « de femmes » voit déferler le tsunami romance et ses best-sellers (Cinquante nuances de Grey(2) , After(3) ), où les héroïnes s’encanaillent.

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De nouveaux centres d’intérêt

Les semelles rouges semblent se faire plus rares sur les étals des libraires, vingt ans après. Pour Michael Mathieu, de la Librairie de Paris, les centres d’intérêt des lectrices ont changé. « On me demande de moins en moins d’histoires d’amour. Il y a une recrudescence de la thématique familiale. Le père, la mère, les racines. On sent un besoin de se reconnecter à qui l’on est », explique-t-il.

Un constat confirmé par Audrey Petit, directrice éditoriale du Livre de poche : « Le genre a évolué, il a diversifié ses thèmes parce que les préoccupations des héroïnes ne sont plus seulement l’amour. »

Les lectrices sont en recherche de modèles, mais veulent aussi faire face à des femmes indépendantes, fortes, passionnées.

Virginie Grimaldi, Anne-Gaëlle Huon, Aurélie Valognes… En France, leurs romans, qui font la part belle au lien transgénérationnel et à la résilience d’héroïnes en quête d’elles-mêmes, se portent plus que bien. « C’est une littérature recentrée sur l’intime, explique le libraire. Les lectrices sont en recherche de modèles, mais veulent aussi faire face à des femmes indépendantes, fortes, passionnées. » Pauline Mardoc, directrice de la collection PKJ15+ chez Pocket jeunesse et pour qui la littérature jeunesse est souvent précurseure, avait vu monter la vague du roman de développement personnel.

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Côté héroïne guerrière, elle analyse : « En jeunesse, il y a eu un basculement après Twilight(4) . Bella est la dernière à être une oie blanche. Twilight a été multiréécrit et, à chaque fois, l’héroïne était un peu plus dégourdie, jusqu’à devenir carrément « badass » avec Hunger games(5) . »

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Quand les héroïnes deviennent tueuses

Chez l’adulte, le mouvement s’est traduit avec l’émergence de la mal nommée « black chick lit », portée par les best-sellers Avant d’aller dormir(6) et La fille du train(7) où, de passive, l’héroïne devient tueuse. Depuis, ces thrillers, qui explorent souvent les violences conjugales, l’emprise et la soumission domestique devenue intolérable, se hissent en tête des ventes.

En juin dernier, Camilla Läckberg, l’auteure suédoise toute-puissante de chez Actes Sud, faisait même un détour par le roman court, mettant en scène dans Femmes sans merci trois femmes « humiliées, battues, blessées » qui échafaudent un plan pour supprimer leur bourreau. Dans les trois cas, leur compagnon. 

« Des femmes en quête d’indépendance »

« Les lectrices plébiscitent beaucoup les romans mettant en scène des femmes en quête d’indépendance, analyse Audrey Petit. Elles ont été nourries de King Kong théorie de Virginie Despentes. Elles savent aussi reconnaître la charge mentale, grâce à Maïa Mazaurette ou Titiou Lecoq. » Pauline Mardoc abonde : « Depuis 2015, plus ça va, plus les héroïnes prennent le pouvoir en littérature jeune adulte. »

Les lectrices plébiscitent beaucoup les romans mettant en scène des femmes en quête d’indépendance

Aux États-Unis, Most likely, qui cartonne auprès des jeunes filles, met en scène quatre amies dont l’une deviendra la première présidente des États-Unis. Elles bossent toutes dans un magazine de mode. Sur la couverture, pas de talons hauts mais leurs quatre visages, dont tous ne sont pas blancs. Et si la chick lit n’avait fait que grandir ? « Les lectrices plébiscitent les romans mettant en scène des femmes en quête d’indépendance », analyse Audrey Petit, directrice éditoriale du Livre de poche.

En effet, « le genre ne s’interdit plus rien et explore des routes jusqu’alors inconnues, selon Audrey Petit. Et si l’étiquette chick lit n’est plus utilisée, le genre est devenu plus représentatif de la vie et des préoccupations des lectrices (et des auteur·es). » Les héroïnes d’hier continuent à vivre, et ont surtout ouvert la voie. « Grâce à elles, le célibat féminin n’est plus un tabou », rappelle Tonie Behar.

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Hermione, vraie héroïne d’Harry Potter

« Il y a beaucoup de censure quand on est une femme. Trouver une voix similaire à la sienne dans un livre, c’est une béquille formidable dans la vie », précise Audrey Petit, pour qui la vraie héroïne de Harry Potter(9) , c’est Hermione, incarnée au cinéma par Emma Watson.

Récemment, l’actrice déclarait d’ailleurs dans Vogue être heureuse d’être « self-parte-nered », soit en couple avec elle-même. Si autrefois, l’amour fantasmé était surtout incarné par un homme puissant et inaccessible, il prend aujourd’hui toutes les formes, mais sa quête reste vivace. Car, comme on dit dans Love actually, monument de la chick flick, « love is all around ».

1. Les tribulations de Tiffany Trott d’Isabel Wolff.
2. D’E.L. James.
3. D’Anna Todd.
4. De Stephenie Meyer.
5. De Suzanne Collins.
6. De S.J. Watson.
7. De Paula Hawkins.
8. De J.K. Rowling.

Cet article a été initialement publié dans le numéro 818 du magazine Marie Claire, daté de novembre 2020.

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