Jusqu’où s’arrête l’Histoire et où débute la fiction dans « The Woman King » en salle depuis mercredi ? Le film a gros budget met en lumière pour la première fois au cinéma les Agojie dans l’Afrique de l’ouest de 1823, une armée singulière puisqu’elle fut l’une des rares dans le monde à être exclusivement constituée de femmes. Ces Amazones étaient redoutées pour leur courage, leur force et leur maniement des armes.

Des guerrières souvent sans époux et qui ne faisaient pas de quartier pour défendre le royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin, contre les invasions voisines. À la tête de cette unité qui pouvait compter dans la réalité jusqu’à 4.000 femmes, il y a une générale, Nanisca dans le film et incarnée par Viola Davis. La réalisatrice Gina Prince-Bythewood s’est passionnée pour le récit de cette troupe d’élite : « J’adore les histoires comme celle-ci qui permettent de redéfinir l’identité féminine, la féminité et ses forces. Ce sont de véritables femmes qui ont accompli des prouesses surhumaines sans pour autant être des super-héroïnes. Il fallait que je porte l’histoire de ces femmes à l’écran ».

L’appui des sources historiques

À l’écran, le spectateur découvrira effectivement le passionnant parcours de ces soldates et leur riche royaume. Tous deux ont bel et bien existé. L’équipe du film affirme avoir travaillé sur des sources et avec des historiens. La bande annonce l’affiche d’ailleurs : le film est « inspiré de faits réels ». Mais « The Woman King » n’est pas un documentaire, il s’offre donc quelques libertés pour parfaire son scénario. La production ne s’en cache pas et s’explique dans les éléments de présentation du long métrage remis à la presse : « Très peu de textes ont été publiés sur les Agojie et les productrices étaient parfaitement conscientes que les rares documents existants ont été rédigés (à l’époque) par des Européens dont le regard était subjectif et souvent raciste. Par conséquent, la scénariste a convenu, tout comme les productrices et la réalisatrice, que le meilleur moyen de faire surgir la vérité émotionnelle de l’histoire des Agojie était de recourir à la fiction ».

Le film nous révèle effectivement leur quotidien de femmes, leur recrutement et leur engagement sans peur et sans reproche sur le terrain. Il est vrai, comme dans le film, qu’un père ayant du fil à retordre avec sa fille pouvait la livrer au roi en vue de l’enrôler parmi les Agojie. « The Woman King » met aussi en avant leur contribution à la capture d’Africains pour qu’ils soient ensuite vendus comme esclaves aux Européens. Une pratique qui a véritablement permis d’armer et de faire prospérer le Dahomey. Jusqu’ici, les faits historiques sont respectés. 

« Le Dahomey a participé le plus activement à la traite »

Le film montre en revanche que les Amazones ont voulu changer la destinée du Dahomey en combattant la traite et ses négriers. « Cela nous tue à petit feu », alerte Nanisca. Vraiment ? Sur ce développement précis du film, la réponse est non selon l’historienne et écrivain Sylvia Serbin, auteure de « Reines d’Afrique », ouvrage de référence sur les guerrières.

« Le royaume du Dahomey est connu pour avoir participé le plus activement et le plus durablement à la traite », explique-t-elle à franceinfo. Et même quand la traite fut abolie par l’Angleterre au début du 19e siècle, le Dahomey a continué dans la traite clandestine jusqu’à ce que le Brésil, à la fin du 19e siècle, abolit l’esclavage. » Et les guerrières du Dahomey n’y pouvaient rien. « Elles obéissaient, elles n’avaient pas leur mot à dire sur la façon dont le royaume était organisé. Elles étaient des exécutantes. Quand il fallait tuer l’ennemi, elles tuaient l’ennemi. Quand il fallait ramener des prisonniers pour les vendre, elles ramenaient des prisonniers pour les vendre. »

Pour autant, le film est jugé comme « important » pour Sylvia Serbin. « L’image véhiculée par les médias internationaux sur les femmes noires et les femmes africaines est une celle de la passivité, de la misère du monde, sans leadership en général. Et l’on voit avec ‘The Woman King’ que dans le passé il y a eu des femmes courageuses qui avaient leur place dans la société et qui jouaient un rôle important. »

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