Après quatre ans à échanger sur Tinder, Judith Duportail a mené une enquête* sur le fonctionnement de cette application de rencontres. Un sujet traité par Infrarouge ce 19 janvier à 23 h sur France 2.
Pourquoi vous êtes-vous inscrite sur Tinder ?
JUDITH DUPORTAIL : Je sortais d’une rupture et je rêvais d’une vie de célibataire glamour où je faisais de nouvelles rencontres et buvais des cocktails dans des endroits fous, un peu comme dans Sex and the City ! Tinder était à l’époque une application novatrice et fun. Elle a piqué ma curiosité.
Qu’est-ce qui vous a amenée à enquêter sur cette appli ?
Après plusieurs mois d’utilisation, j’ai voulu comprendre pourquoi elle me montrait tel ou tel profil, comment elle faisait pour me rendre accro ou encore pourquoi cet espace créait de la toxicité. J’ai aussi appris que Tinder nous donnait une note de désirabilité et classait les beaux avec les beaux, les moches avec les moches et les moyens avec les moyens. J’ai voulu savoir où j’étais rangée et comment cela fonctionnait. J’ai donc demandé mes données personnelles. J’ai reçu un document de 800 pages.
Quelle a été votre réaction ?
C’était fou de voir ma personnalité décrite comme si j’étais un objet et de voir toutes les données que Tinder avait recueillies sur moi. C’était aussi une leçon d’humilité ! J’ai réalisé que, dans mes échanges avec les autres, je faisais souvent les mêmes blagues ou que je faisais ce que je reprochais aux mecs, c’est-à-dire parler avec plusieurs personnes en même temps ou ignorer les gens du jour au lendemain. Cela m’a fait réfléchir. J’ai pris conscience que ces applications avaient un impact négatif sur mon rapport aux autres, sur mon imagination, sur mon cœur, sur mon rapport à l’amour.
Votre enquête montre aussi que le hasard n’a rien à voir avec les profils que Tinder vous propose.
Nos profils, nos messages et nos comportements sont constamment monitorés par les algorithmes de Tinder pour nous classer et nous mettre en relation avec les personnes qu’ils estiment être celles avec qui on doit interagir. Tinder décide qui on va voir et dans quel ordre. Ceux qui calibrent ces algorithmes plaquent leur vision de la société, bien souvent une société sexiste et patriarcale. Dans mon enquête, je montre en effet que lorsque Tinder met en relation des hommes et des femmes, l’homme est en position de domination sur la femme d’un point de vue études, argent ou âge, pour créer des couples où l’homme est toujours supérieur. Les applis de rencontres sont un espace toxique pour les femmes.
Elles n’aident donc pas aux rencontres ?
Non. Dans ma période Tinder, je suis tombée amoureuse de deux personnes en trois ans. C’est très probablement ce qui me serait arrivé si je n’avais pas utilisé les applis. Sauf qu’entre-temps, je recevais des messages agressifs, des photos obscènes… Ces applications nous usent et nous éloignent en réalité d’une belle rencontre. Tomber amoureux via une ap-pli, c’est une exception.
*L’Amour sous algorithme (Goutte D’or Éditions, 2019).
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