Créateur de Star Wars en 1977, George Lucas n’a jamais caché s’être inspiré du mythologue américain Joseph Campbell pour écrire son scénario. Dans Le Héros aux mille et un visages (Ed. Oxus), le chercheur établit la théorie du « monomythe » : douze schémas narratifs détectés dans les mythes occidentaux.

Campbell a résumé son analyse dans une formule : « Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches« . 

George Lucas et Le Héros aux mille et un visages

Paru en 1949, Le Héros aux mille et un visages fait l’objet d’une refonte par son auteur Joseph Campbell en 1968. A cette époque, George Lucas est étudiant à l’USC (Université de Californie du sud) où il découvre l’essai qui aura beaucoup d’impact sur les scénaristes et cinéastes américains en herbe. THX 1138, son premier long métrage en 1970 est une dystopie (récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre) qui relève déjà de la science-fiction. Changement de ton dans Star Wars qui relève de la pure « fantasy ». L’influence de Campbell est fondamentale sur la première trilogie de la saga réalisée (1977-1983) – La Guerre des étoiles, L’Empire contre-attaque, Le Retour du Jedi. Leurs codes visuels sont également très référencés.

« Le Héros ax mille et un visages » de Jospeh Campbell : première de couverture. (Editions Oxus)

Dans le premier film de 1977, le héros Luke Skywalker, un fermier appelé par l’aventure, entre dans le monde magique de la Force. Il va acquérir des pouvoirs et une sagesse, pour les partager avec ses contemporains, selon les préceptes de Campbell. Récit initiatique, le film s’inspire de nombreux mythes ancestraux répertoriés par le chercheur. Campbell ne fait pas l’unanimité chez ses confrères, mais il reste une référence majeure des scénaristes américains.

Le temps des contes

« Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… ». Chaque épisode de la saga s’ouvre sur cette introduction. Comme le « il était une fois » des contes. L’univers technologique futuriste dans lequel baignent les films est antinomique à cette référence au passé. Avec une telle formule, Lucas renvoie à la féérie, mais aussi à l’heroïc-fantasy, genre littéraire aux frontières du fantastique et de la science-fiction dont l’action se déroule à une période indéfinie. On y croise des sources antiques, médiévales, voire futuristes.

Ulysse

L’Odyssée est un pilier de la culture occidentale comme récit sur la cohabitation  entre les hommes et les dieux. Roi d’Ithaque, Ulysse n’a pas les origines modestes de Luke Skywalker (plus proches d’un Perceval arthurien), mais comme lui, il vit une vie normale. C’est la rupture avec elle qui les rapproche, comme tout héros classique.

L’affiche de « La Guerre des étoile » de George Lucas en 1977. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

A l’image d’Ulysse, Luke Skywalker quitte son foyer pour un univers dangereux, héroïque et magique. Comme le héros grec, il reviendra chez lui. La patrie de Luke est la Galaxie gouvernée par la Force. Son initiation va l’emmener du « côté obscur de la Force » qui menace son monde. En le combattant, il rétablit l’ordre dans la Galaxie, retrouve sa patrie, en accord avec la théorie de Campbell.

L’Antiquité

Le complexe d’Œdipe est un autre rappel antique (le fameux « Je suis ton père » dans L’Empire contre-attaque). Le mythe reviendra dans L’Attaque des clones, lors de la confrontation entre Anakin Skywalker et Obi Wan Kenobi, son père spirituel. Star Wars se réfère beaucoup à l’antiquité sur les trois trilogies.

La ville de Mos Esley (Un nouvel espoir), au milieu du désert, a tout d’antique dans l’architecture et l’urbanisme. Le costume de la princesse Léia, favorite de la cour de Jabba, dans Le Retour du Jedi, la course de La Menace fantôme, calquée sur celle de Ben-Hur, les jeux du cirque dans L’Attaque des Clones, la cour de Jabba dans Le Retour du Jedi… autant de références à l’Antiquité.

Carrie Fisher dans le rôle de la princesse Leia dans « Le Retour du Jedi » de Richard Marquand. (TWENTIETH CENTURY FOX)

Sans compter plusieurs Kraken (mythe de Persée) et autres hydres (Jason et la toison d’or) qui hantent Star Wars. Une imagerie « antico-exotique » dont était friande l’illustration des récits américains de science-fiction des années 20 à 30, jusque dans les films des années 50 et dans Star Wars. 

Les Chevaliers de la Table ronde

L’ordre Jedi de la saga renvoie aux Chevaliers de la Table ronde des récits arthuriens. Le Conseil des Jedi, visible pour la première fois dans La Menace fantôme, est situé dans une pièce ronde, symbole d’unité, comme chez le roi Arthur.

Dans le film de 1977, Un nouvel espoir, où sont inscrits les codes fondamentaux de la mythologie Star Wars, Luke est un avatar de Perceval, rôle clé du cycle arthurien. Tous deux sont des jeunes hommes modestes au grand destin. Tous-deux rejoignent la confrérie à laquelle ils aspirent, et accompliront une quête. 

Le Conseil des Jedi dans « Star Wars Episode 1 : La Menace fantôme » de George Lucas. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

La restauration de la République grâce à Luke à la fin de la trilogie historique (1977-1983) équivaut à celle d’Arthur, grâce au Graal trouvé par Perceval. 

Merlin

Dans le film de 1977, Obi-Wan Ken Obi, rare survivant de l’ordre Jedi disparu, s’apparente à Merlin, comme initiateur de Luke. Il est magicien quand il lui apprend la dominance de l’esprit sur l’action. Il précède Yoda qui n’apparaîtra que dans le deuxième film (L’Empire contre-attaque, 1980), dont il n’était pas encore question en 1977.

Yoda dans « Star Wars – Episode 5 : L’Empire contre-attaque » de Irwin Kirshner. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

Yoda est véritablement Merlin, initiateur de Luke à la magie de La Force. Comme Arthur est l’élève de Merlin, Luke est celui d’Obi Wan, puis de Yoda, figures tutélaires magiques.

L’épée

On reste dans l’univers arthurien avec le sabre laser, arme emblématique de l’ordre Jedi. Elle est la « Joyeuse » de Charlemagne, la « Durandal » de Roland, l’ »Excalibur » d’Arthur. Son avatar du « côté obscur », se réfère à « Stormbringer » l’épée maudite d’Elric le Nécromancien, grand roman de dark fantasy de Michael Moorcock. Le rayon laser est bleu ou vert du côté de la Force, rouge du côté obscur.

« Star War -Episode 1 : « La Menace fantôme » de George Lucas. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

Le sabre laser est le signe distinctif du chevalier Jedi, l’arme la plus noble qui soit, car soumise pour son usage à un apprentissage spirituel. Les chevaliers noirs l’ont appris du temps où ils étaient purs, avant de passer du « coté obscur ». Son maniement et son imagerie relèvent toutefois plus du sabre de samouraï que de l’épée médiévale. Lucas, admirateur de d’Akira Kurosawa (Les 7 Samouraïs), relie les deux dans la science-fiction.

Le Western

Né dans un ranch de Californie, George Lucas a une culture du Grand Ouest. L’Ouest westernien de la frontière du XIXe siècle, correspond à l’ »ultime frontière » (l’espace) définie par Kennedy en 1962 pour lancer le programme lunaire américain. Lucas est un enfant de cette génération et vas surfer sur la jonction entre le western et la science-fiction, comme il l’a fait pour l’antiquité.

Harrison Ford dans le rôle de Han Solo dans « Star Wars -Episode 5 : L’Empire contre-attaque » de Irwin Kirshner. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

Luke est fermier chez son oncle adoptif, cultivateur au milieu du désert de la planète Tatooine. Au centre de nulle-part, ils sont comme les premiers pionniers américains. Il va se lier à Han Solo, habillé comme un cow-boy (boléro noir, pantalon de l’armée yankee, pistolaser à la ceinture). Il est poursuivi par des chasseurs de primes, dont le western abonde. Il est accompagné d’un comparse, Chewbacca, un nom à la consonnance indienne, dont l’allure de « Big Foot » (version américaine de l’abominable homme des neiges) renvoie à une culture « sauvage ». Son arme est l’arbalète. Médiévale, elle rappelle aussi l’arc des Indiens face au pistolaser de Solo. La séquence dite de la Cantina du film de 1977 fait aussi écho aux scènes de saloon du western.

La Seconde guerre mondiale

Babyboomer, George Lucas est évidemment imprégné par l’histoire de la Seconde guerre mondiale qui a aussi sa propre mythologie. Elle est présente dans Star Wars dans l’idéologie des films et leur esthétique.

Dès la première apparition de Darth Vader dans Un nouvel espoir (1977), l’identification de L’Empire au nazisme est visible dans son masque, référence au casque des armées allemandes de 1940. La cape était également un attribut des hauts dignitaires nazis. Elle rappelle aussi Dracula qui, dans le roman de Bram Stoker est tout vêtu de noir, comme Vader.

David Prowes dans le rôle de Darth Vader dans « Star Wars – Episode 5 : L’Empire contre-attaque » de Irwin Kirshner. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)

Mais la Seconde guerre mondiale est aussi lisible dans les uniformes des gradés de L’Empire. Leurs calots et tenues rappellent ceux de la Wehrmacht, les véhicules d’assaut sont les équivalents des mitrailleuses et tanks allemands, et les T. Fighters, vaisseaux de chasse de L’Empire, hurlent comme des Messerschmitt… 

Le Seigneur des anneaux

Dans les années 1960, Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux de JRR Tolkien connaissent une immense vogue aux Etats-Unis, George Lucas, amateur de science-fiction et de fantastique, n’y a pas échappée. Le sémiologue anglais a rassemblé dans ses romans toute la mythologie d’Europe du Nord, pour en faire une synthèse. Elle se retrouve dans Star Wars.

Alec Guinness dans le rôle de Obi Wan kenobi dans « Star Wars – Episode 4 : Un Nouvel espoir » de George Lucas. (TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE)
Bilbo, puis Frodon, sont comme Luke, embarqués dans une aventure fantastique. Gandalph est un avatar de Merlin, avant Obi-Wan et Yoda. Les langues extraterrestres de Star Wars évoquent celles inventées par Tolkien dans ses romans. Nombres de thèmes rappellent ses ouvrages. La suprématie de la technologie/économie sur l’écologie, la métaphore des deux guerres mondiales (Tolkien ayant participé à la première), tout cela est commun aux deux œuvres, et toujours d’actualité. C’est le propre des mythes d’être éternels.

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