Cette émission phare de Canal + qui a inauguré l’alliance du spectacle et de l’information a marqué toute une génération de téléspectateurs.
“Il m’est bien difficile encore d’expliquer comment et pourquoi en dix ans d’existence, le talk-show Nulle part ailleurs est devenu un modèle inimitable, une légende inexplicable qui reste, pour son public des années 1990, une mine de souvenirs inoubliables. » C’est en ces termes que s’exprimait Philippe Gildas au sujet de ce divertissement créé par Alain De Greef, directeur des programmes de Canal +, et que lui, Gildas, a piloté de 1987 à 1997.
Diffusée du 31 août 1987 au 15 juin 2001 en direct dans sa plage en clair, cette émission a façonné l’image de la chaîne cryptée avec, selon les époques, les Nuls, satire déjantée du JT présenté quelques minutes plus tôt par Annie Lemoine ou Daphné Roulier, Les Guignols de l’info, Karl Zéro, les Deschiens qui riaient des plus modestes (mais avec eux), Philippe Vandel et ses micros-trottoirs humoristiques, Jackie Berroyer dans le rôle d’un standardiste relayant les appels fictifs de spectateurs et ses présentatrices météo d’un nouveau genre. Toutefois, le clou de ce cirque médiatique était offert par les joyeux drilles Antoine de Caunes et son compère José Garcia. Un talkshow qui fut l’apogée d’une télévision qui se voulait le théâtre de toutes les dérisions, des plus énormes délires.
D’extrême gausse
Nulle part ailleurs a inauguré en France l’alliage du spectacle et de l’information, de l’insolence et du sérieux, générant aussi une descendance profuse qui colonise désormais les débuts de soirée télévisés. Elle révéla surtout une kyrielle de provocateurs et comiques d’office qui ont fait de l’émission le rendez-vous de la « branchitude », marqué par cette distinction chic de « ceux qui en sont ».
L’esprit d’époque
Ce talk-show précurseur a reflété l’esprit d’une époque, la fin des années 80, quand l’idéologie cédait le pas à l’humour, quand la télévision jetait ses oripeaux solennels pour épouser la légèreté de cette période, quand l’humeur sarcastique des milieux branchés tournait en dérision les ridicules de son temps. NPA fut le programme franc-tireur humoristique du changement social et politique de l’époque, avec pour passeur Philippe Gildas en maître Loyal de « l’infotainment ».
Sous ses airs de patriarche rassurant sous sa crinière poivre et sel, il a su s’entourer des humoristes émergents les plus impertinents du PAF. Au risque de s’en prendre plein la figure (eau, bière, plumes, mousse à raser…) et de jouer les têtes de Turc consentantes, mais toujours bienveillantes, de leurs délires quotidiens avec le tandem de Caunes-Garcia qui prolongeait sur le plateau l’insurrection et l’irresponsabilité de leur adolescence.
Potaches de saison
Ambassadeur compétent d’un humour adulescent, de Caunes, en petit frère facétieux et taquin de Gildas, n’avait pas son pareil dans l’art de la déconne, laissant libre cours à d’étonnants délires et loopings de son imagination dont faisaient souvent les frais les invités avec ses cibles récurrentes (Sulitzer, Dorothée, Pascal Sevran, Rika Zaraï).
Puis, déguisé, le comique d’office revenait en fin d’émission pour un nouvel étrillage. Il était Didier l’Embrouille, le rocker à la banane, fan de Dick Rivers, le Toub’, une caricature de Christian Spitz (connu comme le Doc sur Fun Radio), Pine d’huître, le louveteau souffre-douleur, ou Gérard Languedepute, “ragoteur” mondain. Et il en rajoutait dans le flagrant délire d’irrespect, tirant des sourires confits et des applaudissements contrits aux invités mis sur le gril.
De Caunes parti, tout fout le camp !
Avec le départ d’Antoine de Caunes en juin 1995, tout a été tenté pour retrouver la saveur et fraîcheur des débuts. En vain. Philippe Gildas, resté aux commandes du vaisseau, voit les candidats se succéder à la place de son ex-acolyte, qui se révèle vite irremplaçable. En septembre 1995, Valérie Payet tente de prendre la suite. Un petit tour et puis s’en va. Rentrée 1996 : Laurent Baffie, appelé au créneau, ne crève pas non plus l’écran. Le talk-show a beau enregistrer ses meilleures audiences (2,6 millions de téléspectateurs), Baffie s’en va, suivi bientôt par Gildas, un peu las. Cette fois, c’en est bien fini de la belle époque.
Commence la valse des animateurs (Guillaume Durand et le duo Alexandre Devoise-Philippe Vecchi, Nagui, Thierry Dugeon) et celle des nouvelles formules qui ne parviennent pas à rameuter les téléspectateurs d’antan. Objectif : rajeunir l’auditoire vieillissant de l’émission. « Nulle part ailleurs, c’est l’enterrement le plus long du monde », ironisera de manière assassine Bruno Gaccio, l’un des trois auteurs historiques des Guignols. Chaque nouvel échec entache un peu plus l’image de Canal +, dont NPA est la tête de gondole qui fermera définitivement boutique à la fin de la saison 2001, essorée jusqu’à l’usure.
Elle laissera le souvenir d’une télévision, à l’équilibre subtil entre inventivité, transgression, impertinence et branchitude, bien disparue depuis…
Et aussi…
Les Guignols : « sévèrement burnés« !
Août 1988. Sur Canal +, les Nuls font place à un théâtre de marionnettes en latex, Les Guignols, inspirés par la vacharde émission d’outre-Manche : Spitting Image (« Portrait craché »). Personne ne mise alors sur le succès de cette bouffonnerie acide, face au Bébête Show, qui cartonne sur TF1 avec la bagatelle de 10 millions de téléspectateurs ou presque.
Pourtant ces irrespectueuses marionnettes en chair et en mousse, habiles à éreinter les plus en vue, à faire tomber les masques en leur donnant voix et mouvement, ont offert le spectacle télévisuel le plus irrévérent du paysage médiatique, en en révélant toutes les impostures. Elles seront suivies par près de 3 millions de fans, surtout des jeunes, friands de cette récré jubilatoire à base d’ »à l’insu de mon plein gré » ânonné par Richard Virenque, du « sévèrement burné » de Bernard Tapie ou du « Ah ! que coucou ! » de Johnny.
Dominique PARRAVANO
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