Le Bal des Folles, long métrage signé Mélanie Laurent, est disponible depuis une semaine sur la plateforme Amazon Prime Video. L’actrice Lou de Laâge y campe Eugénie, une jeune femme qui grandit dans une famille bourgeoise des années 1880 – la scène d’introduction s’ouvre avec les funérailles de Victor Hugo au Panthéon à Paris en 1885. Rebelle à l’autorité du patriarche, Eugénie effraie son père et son frère lorsqu’elle dit pouvoir communiquer avec les esprits, tare suprême dans une société prompte à qualifier de sorcières les femmes qui ne se plient pas aux mœurs de l’époque. Inquiet de voir la réputation de sa famille entachée, son père la fait enfermer à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où les femmes jugées hystériques ou déséquilibrées étaient cloîtrées au 19e siècle.
Le film tire sa force de son ambiance, celle du quartier neurologique d’un hôpital du 19e siècle. Mais quels sont les éléments réalistes dans Le Bal des Folles ? On a décrypté plusieurs passages-clés avec Aude Fauvel, chercheuse spécialiste de l’histoire de la médecine à l’université de Lausanne.
La reconstitution de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière est-elle réussie ?
Dans le film, Eugénie est internée dans le quartier des « folles » de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Elle côtoie plusieurs dizaines de femmes. Certaines ont vraiment des problèmes mentaux, alors que d’autres sont très lucides mais souffrent d’autres maux comme de l’épilepsie ou ont été placées là par erreur. Les conditions de vie sont difficiles. Les patientes partagent un grand dortoir très rustique et subissent des traitements chocs, comme des bains d’eau glacée. « Il faut bien noter que le quartier neurologique dirigé par le professeur Charcot n’est qu’une petite partie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui comptait environ 4 000 femmes à l’époque. Dans le film, il y a une petite confusion entre le quartier des « hystériques » et celui des « aliénées ». Les « hystériques » sont les patientes du quartier neurologique de Charcot et elles sont considérées comme « guérissables », alors que les « aliénées » sont des folles qui ne sortiront jamais de l’hôpital. On pense à l’époque qu’on ne peut rien faire pour elles », décrit Aude Fauvel.
Pour l’historienne, les traitements chocs infligés aux femmes dans le film sont assez proches de la réalité. « Il y a vraiment un quartier d’hydrothérapie avec des douches puissantes pour appuyer sur les nerfs des femmes « hystériques » et les guérir. Les séances d’hypnose que l’on voit à l’écran étaient aussi pratiquées. En revanche, le professeur Charcot utilisait également des traitements basés sur des séances d’électricité avec des charges envoyées sur le corps des patientes, ainsi que la compression des ovaires avec les poings. On ne voit pas ça dans le film ».
Le « bal des folles » existait-il vraiment?
À la fin du film, l’hôpital organise un grand bal. Les femmes internées se déguisent et dansent avec des bourgeois parisiens et des médecins invités pour l’occasion. « Ce n’est pas le service de Charcot qui a inventé ce bal. C’était une vieille tradition dans les hôpitaux. En revanche, ce bal redevient tendance avec le professeur Charcot, qui était un personnage très populaire à Paris. Je trouve que l’ambiguïté de ce bal (dans le film, plusieurs hommes agressent sexuellement des femmes internées NDLR) est bien représentée à l’écran. Que viennent faire exactement les bourgeois et médecins à ce bal ? », analyse Aude Fauvel.
Les héroïnes du film sont-elles inspirées de personnages réels ?
Eugénie apparaît comme une fille de bonne famille. Elle est internée à la Salpêtrière sur ordre de son père. « Pour avoir regardé les archives, je n’ai pas trouvé de personnes qui avaient de l’argent qui ont logé dans ce quartier neurologique de l’hôpital. Cependant, comme Charcot était très en vue, on peut imaginer qu’il acceptait des consultations externes pour des femmes issues de milieux aisées« , confie Aude Fauvel. La Pitié-Salpêtrière était à l’époque un hôpital de l’assistance publique. Seules des femmes pauvres y étaient envoyées. « De nombreuses vieillardes, faute de mieux, étaient mises là-bas ». Y retrouver Eugénie n’est donc pas très réaliste.
« Ce qui est bien vu dans le film, c’est de montrer que ce sont les infirmières qui s’occupent au quotidien des patientes »
En revanche, l’infirmière jouée par Mélanie Laurent est inspirée de Marguerite Bottard, dit « Bobotte », une soignante qui a réellement existé dans les couloirs du quartier neurologique. « Ce qui est bien vu dans le film, c’est de montrer que ce sont les infirmières qui s’occupent au quotidien des patientes. On a en effet ce nom de « Bobotte » qui était très aimée des femmes. On voit peu le professeur Charcot et c’est normal, il n’était pas tous les jours au contact des femmes », pointe Aude Fauvel.
Si ces deux personnages féminins sont les protagonistes du film, une autre figure majeure mérite d’être évoquée : le professeur Charcot. « Ce que je reproche au film, c’est que Charcot passe pour un être abject alors qu’il a essayé à l’époque de faire mieux que ses collègues. Bien sûr, il restait un homme de son temps, mais il a vraiment voulu humaniser les patientes. Il a aussi assisté aux thèses des premières femmes médecins ».
Comment était jugé le spiritualisme à l’époque ?
C’est le fil rouge du film. Eugénie a des visions lors desquelles elle peut communiquer avec les esprits de défunts. Un don qui effraie sa famille qui l’envoie à la Salpêtrière. Lors d’une rencontre avec un inconnu dans un café de Montmartre à Paris, Eugénie se voit également remettre par un inconnu un livre qui traite des esprits. « Avec les visions d’Eugénie, on est sur quelque chose qui est très d’époque. Arthur Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, était un médecin qui pensait qu’il y avait de vrais médiums. Le mouvement spiritualiste émergeait à l’époque », explique Aude Fauvel. Il est aussi tout à fait crédible de voir Eugénie être rejetée par sa famille pour cette raison. « C’est une fille de bonne famille. Son père est complètement dans les conventions de la haute société de l’époque. C’était un milieu où discuter de spiritualisme était très compliqué. Il y a clairement eu des cas d’enfermement arbitraires dans des asiles de femmes qui disaient communiquer avec les esprits ».
Le film « Le Bal des Folles » est actuellement visible sur la plateforme Prime Video.
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