France 2 lance ce mercredi sur son antenne « L’Amie prodigieuse », adaptée de la saga littéraire phénomène d’Elena Ferrante, vendue à des millions d’exemplaires à travers le monde. Est-elle à la hauteur des excellents romans ?
Quand la plus vieille amie d’Elena Greco semble avoir disparu sans laisser de trace, cette femme férue de littérature décide d’écrire l’histoire de leur amitié. Sa rencontre avec Raffaella Cerullo, qu’elle a toujours surnommée Lila, remonte à leur première année d’école primaire en 1950. Une amitié de plus de 60 ans, avec pour toile de fond la dangereuse et fascinante ville de Naples, que le destin et les décennies tenteront de mettre à mal, alors que les deux amies finiront par prendre des chemins différents dans la vie…
Diffusée dès le mercredi 1er juillet sur France 2. 8 épisodes vus sur 8.
Rome ne s’est pas faite en un jour, le succès de la saga napolitaine d’Elena Ferrante non plus. A sa sortie, le premier tome de L’Amie Prodigieuse avait seulement « bien marché » selon la maison d’édition Gallimard, qui soutenait l’auteure italienne depuis 1995 sans grand succès. Ce n’est qu’au moment de la parution du deuxième tome en janvier 2005, qui coïncidait avec celle en poche du premier, que les ventes ont véritablement décollé et que le phénomène est né en France puis peu à peu dans le monde entier. L’éditeur Vincent Raynaud expliquait en 2017 au journal Le Temps : « Il marche partout à des degrés divers (…) L’effet de bouche-à-oreille est très fort. » Ces romans font effectivement partie de ceux que l’on se recommande entre ami-e-s, que l’on se prête de mère en fille ou que l’on s’offre à Noël. Et comme pour Harry Potter ou Cinquante nuances de Grey, on organise même des soirées spéciales avec champagne, badges à l’effigie de l’auteure et applaudissements à minuit lors de la sortie des nouveaux tomes !
La « fièvre Ferrante », comme elle a été surnommée en Italie, s’explique évidemment par la qualité des romans, d’une richesse et d’une efficacité incroyables, par ses allures de classique entre Beauvoir et Bovary, par son format sériel très moderne, qui n’est pas sans rappeler les succès récents des Millenium et autres Hunger Games dans des genres différents, mais aussi par le mystère entourant la véritable identité de l’auteure. En effet, Elena Ferrante est un pseudonyme en hommage à Elsa Morante, une romancière italienne décédée en 1985. Un choix qu’elle expliquait dans la revue américaine Paris Review au printemps 2015 par timidité d’abord, qu’elle a confirmé ensuite par sa méfiance envers les médias qui, selon elle, s’intéressent aux livres « en fonction de la réputation et de l’aura de l’écrivain. » Malgré une enquête sur sa véritable identité -elle serait Anita Raja, traductrice et auteure italienne- Ferrante continue de rester dans l’ombre et de se concentrer sur l’écriture.
Que la saga L’Amie Prodigieuse soit adaptée sous forme de série était une évidence, ce que l’auteure, très impliquée dans l’adaptation, a tout de suite compris. Les droits ont ainsi été vendus à la société de production italienne Wildside, qui avait déjà oeuvré avec talent sur The Young Pope, et plusieurs partenaires internationaux se sont immédiatemment montrés intéressés comme la RAI en Italie, HBO aux Etats-Unis et Canal + en France. Afin d’être fidèle au roman et de faire durer le plaisir, il a été décidé que chaque saison correspondrait à la mise en image d’un tome. La première saison reprend donc la trame du premier roman en 8 épisodes. L’ambition affichée est d’en proposer 4 saisons et 32 épisodes, la 2e ayant déjà été diffusée en début d’année sur Canal+.
La production n’a pas lésiné sur les moyens et a pris son temps pour proposer la meilleure adaptation possible, d’ailleurs tournée en langue italienne et en dialecte napolitain, résistant à la tentation de l’anglais pour la rendre plus attrayante. La phase de casting a ainsi pris presqu’un an et environ 5 000 candidats se sont présentés aux auditions. Les deux rôles principaux d’Elena Greco et de Raffaella Cerullo, à la fois enfants dans les deux premiers épisodes puis adolescentes dans les suivants, sont tenus par quatre actrices débutantes, conformément au souhait Elena Ferrante qui voulait que l’identification puisse être maximale. Le tournage a eu lieu dans la périphérie de Caserte, où le quartier Luzzatti a été reconstitué dans une zone industrielle abandonnée, ainsi que dans l’île d’Ischia le temps d’un épisode et bien sûr dans les rues de Naples.
D’abord, par souci de transparence, sachez que l’auteur de ces lignes est fan de la saga napolitaine d’Elena Ferrante. Il ne saurait donc s’adresser véritablement à ceux qui n’ont pas lu les romans et qui arrivent vierges dans cet univers. Il peut en tout cas vous dire que ses attentes étaient grandes, la déception était donc hautement probable. Et pourtant…
« En tant que réalisateur, je partais d’une matrice tellement cohérente que l’adaptation a été facile. C’est comme des chaussures que vous enfilez et qui vous maintiennent solidement parterre » a déclaré à l’AFP Saverio Costanzo, dont le nom avait été suggéré par Elena Ferrante elle-même pour adapter sa saga littéraire. Pour les fans de l’oeuvre, la série RAI/HBO/Canal+ fait également l’effet de souliers chauds et douillets que l’on prend plaisir à porter de nouveau l’hiver venu. Tout ce qui se faisait la richesse des romans est là. Peut-être parce que l’auteure a été impliquée dans le processus d’écriture, poussant à une grande fidélité; peut-être parce que les producteurs qui ont travaillé auparavant sur The Young Pope ont tout compris du génie de cette histoire d’émancipation féminine, ancrée dans les années 50 initialement, mais résolument moderne, et ont pris le temps qu’il fallait pour mener à bien le projet; peut-être parce que tout était déjà là pour en faire une belle série télévisée.
“Le roman perd son enveloppe littéraire, il se dénude. Et cette nudité tout à la fois me trouble et m’intrigue”, confiait il y a quelques jours l’écrivaine au magazine italien Il Venerdì, interrogée sur ce qu’elle avait pensé de la série. Comme pour toute adaptation, c’est d’abord la méfiance qui prédomine mais il ne faut que quelques minutes aux scénaristes et au réalisateur pour convaincre de la qualité de leur travail et du bien-fondé de l’entreprise; et quelques secondes seulement aux deux jeunes interprètes des héroïnes enfants pour prouver qu’elles correspondent parfaitement à l’idée que l’on se faisait des personnages à la lecture. Leurs compositions sont parfaites, bluffantes de naturel, tout comme celles des actrices qui prennent le relais deux épisodes plus tard pour les incarner adolescentes. Ces portraits sensibles et intimes de deux amies d’enfance, qui s’aiment éperdument mais que la société telle qu’elle est à cette époque les pousse à être en compétition, sont à vous arracher des larmes. La musique composée par Max Richter, déjà à l’oeuvre sur l’inoubliable The Leftovers, vous y a conduira inéxorablement.
Chaque détail a ainsi été soigné, en particulier la reconstitution de ce quartier pauvre de Naples qui prend vie avec authenticité. Ne se détournant jamais du regard des deux jeunes filles sur le monde cruel qui les entoure, celui des adultes que le manque d’argent, les rivalités amoureuses et les médisances rendent fous, la caméra navigue d’un appartement sombre à un autre, d’une cour ensoleillée à une rue empoussiérée, sans jamais verser dans le misérabilisme et la lutte des classes pour les nuls. C’est toute une ville, tout un pays, toute une époque et des dizaines de vies qui sont ainsi racontés dans toutes leurs complexités, en se concentrant plus particulièrement sur l’impact du patriarcat sur les femmes. Car Lila, Elena et leurs mères subissent toutes à leur échelle la toxicité masculine, entre humiliations, mariage forcé, harcèlement de rue et violence domestique. Dans une ère post-#MeToo, L’Amie Prodigieuse se révèle aussi importante et précieuse qu’un The Handmaid’s Tale, avec plus de délicatesse et d’espoir mais une puissance émotionnelle équivalente.
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