Après la minorité maya sujette aux enlèvements d’enfants (Ixcanul, Ours d’Argent à la Berlinale 2015), puis l’homosexualité dans le très catholique Guatemala (Tremblements), Jayro Bustamante pointe le génocide maya sous la présidence d’Efrain Rios Montt (1982-83). Pour l’évoquer, le cinéaste fait appel à la légende de la Llorona, un fantôme vengeur qui hante les coupables d’injustice. 

Les maux et les mots du Guatemala

Dans les années 1990, le général guatémaltèque Enrique est acquitté du crime de génocide de quelques 1 770 Indiens maya, pendant la guerre civile, dans les années 1980. Il réintègre sa maison familiale, alors que la vindicte populaire le harcèle à sa porte. Il est réveillé chaque nuit par les pleurs d’une femme et se croit hanté par une présence maléfique. L’arrivée d’une nouvelle domestique, Anna, l’indispose. Pourrait-elle être la Llorona, ce fantôme légendaire d’une femme qui a noyé ses enfants pour se venger de son mari adultère, et qui hante les impunis ?…

ARP Sélection
Le cinéma latino-américain se révèle de film en film : le Mexique, avec les révélations d’Alfonso Cuaron (Gravity) et de Guillermo del Toro (La Forme de l’eau), le Chili avec Pablo Larrain (Jackie), l’Argentine avec Santiago Mitre (El Presidente, et cette année le Brésil, avec Mendonça et Dornelles (Bacurau) et Karim Aïnouz (La Vie invisible d’Euridice Gusmao). Le Guatémaltèque Jayro Bustamante les rejoint avec ses trois premiers films qui « dénoncent« , selon ses termes, « les trois mots les plus discriminants qui soient au Guatemala. Le premier mot, c’est Indien (…), le second mot, c’est Homosexuel, (…) le troisième mot, c’est communiste (…) qui désigne les défenseurs des droits de l’homme »

Réalisme magique

Plusieurs films, notamment mexicains, se sont inspirés de la légende de la Llorona. En 2019 sortait La Malédiction de la dame blanche (The Curse of the Llorona) de Michael Chaves, produit par le spécialiste des films d’horreur James Wan (Conjuring, Insidious, Annabelle). Jayro Bustamante prend un parti résolument politique, en optant pour le film de genre pour mieux toucher un large public jeune comme adulte. Son but : briser le tabou qui pèse sur les 36 années de guerre civile, et stigmatiser l’impunité des responsables qui fait toujours débat dans son pays. Selon lui, les Guatémaltèques entretiennent un blackout total sur cette époque, allant jusqu’à réhabiliter les membres du régime militaire pour « aller de l’avant« . Ce qui ne referme pas les plaies du passé.

« La Llorona » de Jayro Bustamante. (Copyright LA CASA DE PRODUCCIÓN – LES FILMS DU VOLCAN 2019)
Sa réalisation est élégante, elle multiplie les plans séquences et les ambiances oppressantes dans des décors luxueux, évocateurs d’un pouvoir bourgeois installé, alors que les classes populaires, notamment mayas, encerclent la maison du général Enrique. Leur meilleur agent est à l’intérieur. C’est la Llorona, qui hante le génocidaire jusqu’à la folie et peut-être la mort, ou celle de ses proches, pour lui faire payer ses crimes. Jayro Bustamante réussit cette alliance entre fantastique et politique. Il atteint ce qu’il nomme le « réalisme magique, qui est très présent dans les pays d’Amérique latine » : édifiant et envoûtant.

L’interview de Jairo Bustamante sur des mots de minuit

L’affiche de « La Llorona » de Jayro Bustamante. (ARP Sélection)

La fiche

Genre : Drame / Fantastique / Histoire 
Réalisateurs :  Jayro Bustamante
Acteurs : María Mercedes Coroy, Sabrina de La Hoz, Julio Diaz
Pays : Guatemala / France
Durée : 1h37
Sortie : 22 janvier 2020
Distributeur :  ARP Sélection

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Synopsis : La Llorona : seuls les coupables l’entendent pleurer. Selon la légende, la Llorona est une pleureuse, un fantôme qui cherche ses enfants. Aujourd’hui, elle pleure ceux qui sont morts durant le génocide des indiens mayas. Le général, responsable du massacre mais acquitté, est hanté par une Llorona. Serait-ce Alma, la nouvelle domestique ? Est-elle venue punir celui que la justice n’a pas condamné ?

Source: Lire L’Article Complet