C’était au dernier Festival Cannes, le 8 juillet 2021, lors de la soirée de présentation du film de Sandrine Kiberlain, Une jeune fille qui va bien à la Semaine de la critique. La comédienne devenue réalisatrice ne cachait pas son émotion. « Je me suis longtemps cachée derrière des personnages, mais j’ai toujours eu envie de raconter une histoire« , a-t-elle dit.

Ce mercredi 26 janvier, son film sort dans les salles. L’histoire est celle d’Irène, une jeune fille dans la fleur de l’âge, 19 ans. Apprentie comédienne, passionnée et joyeuse. Amoureuse. Mais nous sommes en 1942 à Paris et Irène est juive. Boulimique de la vie, elle ne voit pas l’horreur qui s’abat peu à peu. La comédienne  – en instance de départ de la Comédie-Française – Rebecca Marder tient le premier rôle avec brio. A Cannes, nous avons rencontré Sandrine Kiberlain qui nous a parlé de ce beau portrait filmé avec justesse, peu après la projection. Propos recueillis. 

Passer derrière la caméra 

« J’ai eu une histoire qui m’habite depuis très longtemps et qui est devenue vitale à raconter. Et surtout à filmer, car je n’envisageais pas d’autres façons de la raconter. Et à partir du moment où j’ai trouvé l’angle (j’ai eu l’impression que c’était un point de vue nouveau, parce que ça a tellement été raconté l’Occupation), je me suis plongée dans l’écriture et puis c’est devenu une évidence.

Mais je pense que depuis un moment, en regardant les équipes, en travaillant avec de grands metteurs en scène – j’ai été à bonne école – j’avais envie d’être du côté de l’équipe, bien plus que du côté de ceux qui sont filmés, pour expérimenter. Et en particulier du côté de celui qui tient les rênes, qui invente tout, et qui se met à nu. Il y a eu aussi l’idée d’essayer de donner à des acteurs ce qu’on avait pu me donner : la chance d’être regardée, la chance d’être choisie par un metteur en scène, d’être désirée par lui. Et donc de faire naître une actrice comme Rebecca et les autres qui l’entourent ».

« Parler de la guerre sans la montrer »

« Le point de départ a été de parler de la guerre sans la montrer. Je n’avais pas envie de filmer ça. Je trouve que c’est toujours réducteur de montrer. Agnès Varda disait de ne pas montrer, donner envie de voir. Moi j’ai choisi de filmer la joie d’une jeune fille pour raconter le pire si, par hasard, elle devait être fauchée en plein élan. Et c’est en étant attachée à cette jeune fille, en partageant avec elle son âge, sa joie de vivre, son élan, que je voulais filmer aussi cet âge-là : les 19 ans ».

« C’est une histoire familiale, mais il fallait que je reste pudique »

« C’est mon ADN ! Mais j’avais le sentiment que pour mieux parler de tout ça, il ne fallait pas que je parle de moi, moi, moi, vous comprenez ? Je sais de quoi je parle parce que je suis moi-même concernée et je viens de tout ça. Mais j’ai choisi, comme par hasard, de décrire une famille où il y a un père et un frère, alors que moi j’ai une sœur et une mère – mais je n’ai plus de père et pas de frère. Et j’ai choisi de parler d’une fille issue d’une famille juive française et non pas polonaise comme l’était la mienne, pour l’éloigner de ma famille, de moi, pour ne pas les déranger avec ça. Et surtout, dès que j’essayais de ramener les choses à ce que je suis réellement, ça me dérangeait, j’avais l’impression de ne pas être en mesure d’imaginer plus. Donc il fallait que je reste pudique ».

Irène ou l’insouciance des 19 ans

« C’est l’âge où tout commence, on ne peut pas présumer une seconde que ça se passe mal, on est dans la découverte de tout. J’ai toujours été émerveillée par cet âge-là, l’ayant vécu d’ailleurs aussi de manière merveilleuse, parce que c’est les débuts de tout pour moi comme actrice. Donc je me suis aussi servie de mon expérience pour inventer Irène, pour la construire, et elle est devenue véritablement passionnée de théâtre. C’est un gros mélange de tout, c’est pourquoi je parle d’une mise à nu du réalisateur ».  

Les autres personnages racontent l’Occupation

« Les personnages secondaires, et notamment le père et la grand-mère font le lien avec l’extérieur. C’est par eux qu’arrivent les informations. Par eux arrivent la maturité, la responsabilité et la façon dont on vit cette époque. Ce sont des adultes. Et il est plusieurs façons d’être adultes devant de telles responsabilités. On peut se plier aux règles et aux lois et faire ce qu’on nous dit de faire. Ou avoir l’attitude inverse, comme cette femme, la grand-mère, qu’on imagine avoir été une femme très libre et qui a une douleur, un secret ».

« Chaque personnage est le symbole d’une attitude. La grand-mère, pour moi, représente la résistance. La voisine, Josiane que joue Florence Viala, représente pour moi les Justes, ceux qui ont dépassé leurs a priori. Puis il y Anthony Bajon qui joue le frère et qui est à ça d’être influencé par ceux qui ont le pouvoir. Toutes ces versions sont celles que j’aurais pu moi vivre. Je ne sais pas : j’aurais été Anthony ? J’aurais été ma grand-mère ? Moi je sais comment ont été mes grands-parents. Je sais que ma grand-mère a dit : on ne va pas à la mairie nous signaler, sinon je saute par la fenêtre – et ça c’est dans le film – ou elle s’est mise toute nue enceinte pour ne pas être arrêtée, ce sont des instincts de vie qui sont fous, qui m’impressionnent au-delà de tout. Mais je ne sais pas de quel côté je serais dans des situations pareilles. Aucun de nous ne peut savoir, c’est une question qui me hante ».

Diriger les comédiens ? « Il faut les aimer ! »

« Les comédiens, il faut les aimer, c’est ce que j’ai appris avec les metteurs en scène qui ont fait de moi une bonne actrice. Evidemment, il faut tomber sur une perle, la sauvegarder et puis si possible la magnifier. Il est tellement fragile l’acteur sur un film. Comme ça, d’un claquement de doigts [Sandrine Kiberlain ajoute le geste à la parole], on peut briser un acteur. Il suffit de chuchoter derrière son dos on a l’impression qu’on dit du mal de lui, il perd complètement confiance, il ne plus rien donner, c’est très facile. Il faut donner confiance aux acteurs, dire qu’on les aime, moi je les aime tous, je leur ai dit tous les jours : je vous ai choisis parce que vous êtes uniques ».

« Il y a des façons de les emmener vers le personnage qui sont différentes pour chacun. Comme j’ai eu affaire à des metteurs en scène différents avec moi, là j’ai eu affaire à des comédiens différents, auxquels il faut s’adapter. Il y en a qui ont besoin de beaucoup d’informations, d’autres de très peu. Avec Rebecca Marder, on a la même attitude, de se lancer dans l’action. Mais il faut trouver la bonne formule, une sorte de formule magique qui fait qu’on est en connexion ».

La musique pour sortir de l’époque de la guerre

« Il y a des musiques qui sont arrivées pendant l’écriture. La première est Love letters (The Metronomy) qui est très contemporaine. Je tenais à ce que le film n’ait pas une forme de reconstitution historique, je tenais à ce qu’il y ait des contradictions, des choses qui jouent un peu avec les spectateurs aussi sur la question : est-ce qu’on ne parle pas un peu d’aujourd’hui aussi ? Aujourd’hui, ça peut arriver à tout le monde, n’importe quand, n’importe où, on le vit à un degré différent, mais la vie nous surprend et va nous surprendre encore, on ne sait pas, on ne sait rien, ça peut basculer demain ».

« Les musiques font donc partie, comme des personnages en plus, de cette façon de ne pas vouloir marquer l’époque. On est dans cette époque mais on est avec la jeunesse globale. J’ai pensé au Bataclan pendant que je faisais le film, j’ai pensé à aujourd’hui, à ce qui se passe ailleurs, en ce moment dans le monde. Parmi les musiques, il y a Que reste-t-il de nos amours ?, qui a été créé en 42, interprétée ici autrement dans un truc limite fanfare qui fait penser plus à la jeunesse et qui vient contrarier la beauté de la chanson. Et il y a aussi un morceau de Tom Waits qui raconte l’élan amoureux, mais nous ramène aussi à aujourd’hui. »

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