Diffusé ce dimanche 12 avril à 21h05 sur France 4, « Goldfinger » marque la troisième sortie de Sean Connery dans le smoking de James Bond. Et peut-être la meilleure de ses missions, dont l’influence se fait encore ressentir sur la saga.
Le 11 novembre prochain, lorsque Mourir peut attendre sortira enfin dans nos salles, cinq ans tout juste se seront écoulés entre les sorties des deux derniers James Bond de Daniel Craig. Soit le temps qu’il a fallu à Sean Connery pour tourner cinq de ses six opus entre 1963 (Dr. No) et 1968 (On ne vit que deux fois). Dire que le mandat de l’acteur écossais dans le smoking de 007 aura été aussi bref qu’intense relève donc de l’euphémisme, et France 4 diffuse ce dimanche 12 avril la troisième de ses missions et sans doute la meilleure : Goldfinger.
Après la Jamaïque de Dr. No et le bloc soviétique de Bons baisers de Russie, l’agent le plus secret de Sa Majesté se rend aux États-Unis (même si les scènes ont été tournées en Grande-Bretagne dans les studios de Pinewood), avec un détour par la Suisse, dans un lieu qui suscite bon nombre de fantasmes et paraît être l’écrin idéal pour faire passer la saga au stade supérieur : la réserve d’or fédérale de Fort Knox, dans le Kentucky, que le méchant Auric Goldfinger (Gert Fröbe) veut infiltrer pour réaliser le crime du siècle et ainsi faire vaciller les pays développés de l’Ouest en générant un chaos économique. Comme dans le roman homonyme de Ian Fleming que les producteurs Albert R. Broccoli et Harry Saltzman ont choisi de faire transposer sur grand écran afin d’achever de conquérir le public américain, jusqu’ici plutôt réceptif aux aventures de l’espion. Une mission que le réalisateur Guy Hamilton, qui succède à Terence Young, accomplit plus que bien car, outre son succès, le long métrage va établir certains codes que l’on retrouve encore dans la saga aujourd’hui.
La scène pré-générique est, à ce titre, un modèle du genre, avec un Bond qui cache un smoking sous la tenue de plongée dans laquelle il apparaît, fait exploser l’entrepôt qui sert de base à un baron de la drogue mexicain, se défait d’un tueur en combat au corps-à-corps et retrouve la femme qu’il a séduite peu de temps auparavant. En l’espace de cinq minutes et avec quelques jolies trouvailles visuelles, Goldfinger donne le ton et amorce le basculement de la franchise vers la fantaisie et la démesure, tout en faisant office de modèle repris par bon nombre d’épisodes suivants qui, comme lui, s’ouvriront de façon spectaculaire avec une mission plus ou moins déconnectée de l’intrigue principale. La suite ne fait que renforcer le côté séminal de cet opus, en reprenant notamment certaines idées du précédent pour les transcender, à commencer par les crédits et images du film qui apparaissent sur des corps de femmes, ici peints en doré pour coller au titre tout autant qu’annoncer le destin funeste qui attend l’un des personnages, dans le générique auquel Shirley Bassey prête sa voix puissante.
De retour sur Les Diamants sont éternels (1971) puis Moonraker (1978), Shirley Bassey est la seule interprète à avoir participé à plus d’un James Bond, mais celui-ci reste le plus marquant même s’il fait quelques pas de côté par rapport à ce qui avait été mis en place dans les épisodes précédents, puisque le SPECTRE et son chef Ernst Stavro Blofeld disparaissent momentanément de l’intrigue globale au profit du seul Auric Goldfinger. Méchant fasciné par l’or qui se rêve en Midas des temps modernes, il paraît d’autant plus impressionnant et redoutable qu’il agit seul, de son propre chef, et représente donc la principale menace pour 007. Si l’organisation criminelle fera son grand retour dans les films suivants, Goldfinger introduit ce qui sera la marque de fabrique des mandats de Roger Moore (à l’exception de Moonraker, qui fait revenir un personnage de L’Espion qui m’aimait), Timothy Dalton ou Pierce Brosnan, dont les opus seront indépendants les uns des autres et regardables sans qu’il ne soit impératif d’avoir vu les précédents.
Beaucoup plus lent que le trépidant Bons baisers de Russie, mais très bien rythmé, Goldfinger est à l’image de son méchant sûr de sa force, et il lance pour de bon la tradition des hommes de main taiseux à la force quasi-surnaturelle. Un an après le tueur Red Grant (Robert Shaw), Oddjob est un garde-du-corps beaucoup plus insolite. Car non content d’être taillé comme une armoire à glace, le Coréen incarné par Harold Sakata possède aussi un chapeau melon mortel, au sens propre du terme. Modèle évident de Requin (Richard Kiel dans L’Espion qui m’aimait et Moonraker), du Mister Kil (Lawrence Makoare) de Meurs un autre jour ou du récent Hinx joué par Dave Bautista dans 007 Spectre, il illustre aussi la recrudescence de gadgets qui vont devenir l’une des marques de fabrique de la saga, parfois jusqu’à l’excès, avant que l’ère Daniel Craig, plus terre-à-terre, ne lève un peu le pied.
Mais Mourir peut attendre sera encore marqué par l’héritage de Sean Connery grâce à l’Aston Martin que conduira le héros. Car c’est à partir de Goldfinger que James Bond optera pour cette marque de voiture de luxe qui l’accompagnera de façon quasi-systématique jusqu’à faire partie de son image au même titre que le smoking, la vodka-martini ou le Walter PPK. Et c’est avec le célèbre modèle DB5 que la firme réussit ses débuts dans la saga avec l’aide de Q (Desmond Llewelyn), responsable de la division recherche et développement du MI6 qui agrémente le bolide de vitres pare-balles, de fumigènes, de mitrailleuses cachées derrière les clignotants, d’éjecteurs de nappes d’huiles et de clous, d’un récepteur audio-visuel ou encore d’un destructeur de pneu rétractable intégré à ses jantes.
Chaque camp paraît donc bien armé pour faire face à l’autre, et Goldfinger se révèle en outre capable d’étouffer sous une couche de peinture dorée une assistante dont Bond s’était servi pour lui nuire. Mais c’est davantage sur le plan psychologique que leur affrontement, aux allures de pas de deux, fait des étincelles, pendant une partie de golf ou lorsque l’espion est fait prisonnier et sous la menace d’un laser prêt à le découper, dans une scène restée célèbre pour l’échange suivant : « – Vous espériez que je parle ? – Non monsieur Bond. J’espère que vous mourrez. » Pour la première fois depuis ses débuts sur grand écran, l’arrogance de 007 est mise à mal par un égo encore plus gros que le sien, et c’est aussi en cela que le long métrage se révèle inattendu et plus nuancé. Y compris avec les personnages féminins.
Si les mœurs de l’époque provoqueront encore quelques haussements de sourcil aujourd’hui, lorsque Bond joue les tombeurs et fait preuve de machisme, le scénario lui oppose Pussy Galore, incarnée par la regrettée Honor Blackman, vedette féminine de Chapeau melon et bottes de cuir de 1962 à 1964 décédée le 6 avril 2020. Il y a clairement à redire sur son nom et la manière dont le film traite son homosexualité avérée ne compte pas parmi ses réussites. Mais, plus dure-à-cuire qu’Honey Ryder (Ursula Andress dans Dr. No) et moins sage que Tatiana Romanova (Daniela Bianchi dans Bons baisers de Russie), c’est une femme forte qui se bat comme un homme et parvient à tenir tête à 007, incarné avec un peu plus d’assurance encore par Sean Connery. Un personnage moderne en cette année 1965, qui a aidé à redéfinir le statut de la James Bond Girl par la suite, même si le progressisme n’a pas été la marque de fabrique de tous les longs métrages sur ce plan.
Fort du travail de Ken Adam, chef décorateur emblématique de la saga qui fait des merveilles avec l’intérieur du Fort Knox, ou celui du compositeur John Barry, de retour à la baguette pour déchaîner les cuivres, Goldfinger est sans aucun doute le plus réussi des opus de Sean Connery (et l’un des sommets de la franchise dans son ensemble) en plus de compter parmi ceux qui ont le mieux vieilli malgré, on l’a vu, les mœurs de l’époque ou quelques images accélérées dans les scènes d’action. Et c’est autant pour ses qualités propres (son méchant, sa mise en scène, son rythme, son sens du spectacle, ses images restées dans l’inconscient collectif…) que pour ce qu’il a apporté à la saga que le long métrage compte à ce point. Il est même presque plus intéressant de le voir rétrospectivement, après ceux qui l’ont suivi, pour constater à quel point il fait office de patron sur lesquels les autres se sont calqués en allant du simple clin-d’œil (une femme recouverte de pétrole dans Quantum of Solace) à la structure du récit ou la manière dont la mort accompagne Bond et frappe notamment les femmes qui l’entourent, centrale chez Daniel Craig.
C’est aussi avec Goldfinger que la sympathique saga d’espionnage devient un mastodonte du cinéma, qui n’hésite pas à donner dans la fantaisie et tendre vers la démésure, en plus de nous faire voyager aux quatre coins du monde, pour que le spectateur en ait à chaque fois plus pour son argent avec des étoiles dans les yeux. Une escalade qui a conduit à quelques ratés qui ne font qu’apuyer la qualité de cet opus. Et qui sait si Mourir peut attendre, en plus de son Aston Martin avec mitraillettes intégrées, ne contiendra pas d’autres références au film que France 4 diffuse ce dimanche 12 avril ?
La bande-originale de « Goldfinger » est à consommer sans modération, avant ou après avoir (re)vu le film :
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