La diffusion sur Netflix de sept classiques issus des studios Ghibli est l’occasion pour nous de se plonger dans la carrière de leur illustre cofondateur : Hayao Miyazaki.
De tous les cinéastes japonais, il est l’un des plus connus. Virtuose, visionnaire, magique… les mots ne manquent pour qualifier l’œuvre d’Hayao Miyazaki, le réalisateur de films d’animation à succès comme Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro, et cofondateur des célèbres studios Ghibli, aux côtés du regretté Isao Takahata et du producteur Toshio Suzuki.
La diffusion sur Netflix des vingt-et-un longs métrages Ghibli est pour nous l’occasion de se plonger dans la filmographie du grand maître de l’animation nippone.
Une enfance marquée par la guerre
Hayao Miyazaki est un de ces cinéastes perpétuellement tourné le passé. Né durant les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, Hayao Miyazaki grandit dans un Japon marqué par la défaite et l’occupation de l’armée américaine. C’est pourquoi dès son plus jeune âge, il fera preuve d’un antimilitarisme prononcé, mais aussi de profondes convictions politiques, avec un engagement syndical dès les années 60 pour défendre les droits des auteurs face aux studios, période au cours de laquelle Miyazaki ne cachera pas ses propres convictions marxistes.
Fils d’un aviateur de l’armée japonaise, Hayao Miyazaki a cultivé toute sa vie cet héritage comme un paradoxe ; ainsi, si son œuvre est résolument pacifiste, le thème de la guerre sera abordé à de multiples reprises, qu’elle soit fantaisiste et ancrée dans des mondes imaginaires (Nausicaä, Princesse Mononoké…), ou plus réaliste, en écho au conflit qui a fortement marqué sa jeune enfance.
Est-ce un hasard si ses premiers croquis d’enfant ont été des reproductions d’avion de guerre ? Toujours est-il que cette passion pour l’aviation ne l’a jamais quitté, lui qui aura consacré deux films à ce thème : Porco Rosso, une fable anthropomorphique commandée à Miyazaki par la compagnie Japan Airlines et inspirée par la guerre en ex-Yougoslavie, ou encore Le Vent se lève, adaptation livre de la vie de l’aviateur japonais Jirō Horikoshi.
Spiritualité, nature et animaux
Si l’œuvre de Miyazaki est profondément humaniste, le regard du cinéaste sur l’homme est en revanche beaucoup plus critique. Ainsi, le rapport à la nature face à l’ambition industrielle de la société est un autre thème récurrent de son œuvre, et il n’est d’ailleurs pas rare que faune et flore reprennent leurs droits (les dieux démons de Mononoké, les esprits du Voyage de Chihiro…), comment autant d’inquiétudes exprimées par le cinéaste quant à l’avenir de notre planète.
Pour autant, il serait totalement injuste de qualifier l’œuvre de Miyazaki de désespérée. Ainsi, la symbiose du monde des hommes et celui des animaux est également l’expression d’un sentiment d’espoir, rappelant peut-être l’importance que l’on devrait accorder à la vie sous toutes ses formes, alors que l’industrialisation de notre société entraîne la disparition progressive de la faune et de nombreuses espèces animales.
En mettant en scène des enfants dans plusieurs de ses longs métrages, l’objectif de Miyazaki est double : alerter sur le danger qui pèse autour de notre avenir et des générations futures, mais aussi donner aux adultes de demain les clés du changement et de l’espoir. Si sa vision de la société est quelque peu désabusée, Miyazaki sait que le monde des hommes est à la fois responsable de la détérioration de notre monde, mais qu’il peut aussi en être sauveur, à condition toutefois d’éveiller sa conscience à ce qui l’entoure. En somme, l’homme est pour Miyazaki égoïste, mais pas fondamentalement mauvais.
En soit la spiritualité qui accompagne ses films est celle d’un humanisme écologique, lui qui vit le jour durant les heures les plus sombres du siècle dernier et vécut ses premières années dans un pays ravagé par la guerre en pleine transition démocratique. A l’instar d’un Jean de la Fontaine dont les vers étaient une manière détournée d’habiller le propos sérieux de ses fables, Hayao Miyazaki a abordé des thèmes aussi sérieux que la déshumanisation, l’horreur de la guerre ou encore la mort au travers d’œuvres poétiques et accessibles à un public familial.
Le style Miyazaki
Farouche défenseur de l’animation traditionnelle (malgré plusieurs tentatives, il n’a jamais pu se résoudre ) adopter les technologies numériques), Hayao Miyazaki nourrit son imaginaire d’inspirations diverses : son propre vécu, la littéraire enfantine, le folklore japonais… Bien que la plupart de ses histoires soient dramatiques, l’esthétique de ses films repose avant tout sur un jeu de couleurs chaudes, avec une importance toute particulière accordée aux couleurs primaires, et notamment au bleu symbolique de l’onirisme alors que la mer et le ciel sont deux décors récurrents dans l’oeuvre du cinéaste japonais.
Bien évidemment, il serait impossible d’évoquer la carrière d’Hayao Miyazaki sans citer le nom de son alter-ego musical Joe Hisaishi; également compositeur attitré d’un autre cinéaste culte (Takeshi Kitano), Joe Hisaishi ne s’est pas seulement contenté d’écrire la musique des films de Miyazaki, puisque ses partitions ont elles aussi participé à l’incarnation de Ghibli dans l’imaginaire collectif des spectateurs du monde entier.
Des grandes encolées lyriques de Princesse Mononoké aux sons plus enfantins de Totoro et Ponyo, Joe Hisaishi a été bien plus qu’un simple collaborateur pour le cinéaste, puisqu’il aura réussi à retranscrire musicalement tout l’esthétisme lyrique et narratif de Miyazaki.
L’influence d’un autre maître de l’animation : Isao Takahata
Isao Takahata a été pour Hayao Miyazaki un ami, un rival mais aussi et surtout un maître. Les deux hommes se rencontrent dans les années 60 alors qu’ils sont tous deux employés par le studio Toei Animation. Après quelques revers au cinéma, Miyazaki et Takahata se spécialisents dans les productions télévisées, collaborant notamment les séries Lupin III et Heidi, la petite fille des Alpes. S’ils se font peu à peu un nom dans le secteur de l’animation, les deux cinéastes rêvent de liberté et d’émancipation des studios, une frustration à l’origine de la fondation de la société Ghibli (1985) désormais producteur et distributeur de leurs longs métrages.
Confondateurs de Ghibli, Isao Takahata et Hayao Miyzaki sont deux cinéastes complémentaires, chacun ayant développé son propre style bien que leurs filmographies s’articulent autour de thèmes communs. Tout au long de leur carrière, les deux cinéastes n’ont pas hésité à se juger l’un l’autre, apportant conseils, idées et même critiques sur leurs travaux respectifs. Mais si l’on parle de rivalité, il ne faut en aucun cas croire que les deux réalisateurs aient éprouvé de l’hostilité l’un envers l’autre.
Au contraire, c’est par un profond respect mutuel que Isao Takahata et Hayao Miyazaki n’ont cessé de se tirer vers le haut, les accomplissements de l’un ayant toujours poussé le second à surpasser les limites de son imaginaire. Alors qu’ils connaissent tous deux un succès international dès les années 90, leurs filmographies respectives n’auront cessé de se répondre, offrant ainsi aux studios Ghibli une œuvre cohérente et exigeante mais aussi un héritage intemporel.
L’émouvant discours prononcé par Miyazaki à la mort d’Isao Takahata :
De la difficulté de se trouver un successeur
S’il n’a jamais eu aucun mal à reconnaître l’influence de ses maîtres (Takahata donc, mais également Osamu Tezuka, Walt Disney, Lev Atamanov…), Hayao Miyazaki aura en revanche à faire émerger un héritier digne de son œuvre. Alors qu’au fil des années de nombreux candidats au poste se sont déclarés (y compris son propre fils Goro Miyazaki, auteur de deux longs métrages contre l’avis de son père), le cinéaste désormais âgé de 79 ans aura usé jusqu’à la corde tous ses successeurs potentiels, tout comme il n’a jamais su se résoudre à prendre sa retraite, malgré plusieurs tentatives.
« Il n’a trouvé personne digne de lui succéder. Il a pourtant essayé de former lui-même plusieurs successeurs, mais il est difficile pour quelqu’un avec une telle personnalité de s’effacer au profit d’autrui. Les studios Ghibli sont une sorte de dictature, dans le sens où Miyazaki est seul à la tête de la société alors que les animateurs et ses collaborateurs n’ont aucune liberté créative. Chaque fois que l’un d’entre eux a essayé de se démarquer et de faire valoir ses droits individuels, il a été obligé de quitter la compagnie » nous déclarait à ce sujet Kaku Arakawa, le réalisateur du fantastique documentaire Never-Ending Man, dans l’entretien qu’il nous avait accordé en avril 2018.
« Il continue de faire des films, car il ne peut pas s’arrêter » avait-il ajouté à propos d’Hayao Miyazaki qui travaille actuellement à la réalisation de son douzième long métrage encore sans titre et guère attendu avant plusieurs années…
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