« Le César de la meilleure réalisation est attribué à… » On ignore encore le nom du lauréat, mais vendredi 24 février, lors de la cérémonie des récompenses du cinéma français, le vainqueur dans cette catégorie sera forcément un homme. Aucune chance de féliciter une réalisatrice puisqu’aucune n’a été nommée parmi les cinq prétendants. Une absence féminine remarquée quand, pour n’en citer qu’une, Alice Diop et son Saint-Omer a été choisie pour représenter la France aux Oscars, après avoir reçu deux prix à la Mostra de Venise.

Et encore la réalisatrice n’est pas totalement « oubliée » puisque nommée dans la catégorie du meilleur premier film. Aucune trace en revanche d’Alice Winocour et de Revoir Paris ou de Rebecca Zlotowski avec Les Enfants des autres, deux films très bien accueillis par le public et la critique. « Elles avaient vraiment leur place, c’est ahurissant qu’elles ne soient pas dans la liste », a regretté Anne-Dominique Toussaint, productrice de L’Innocent de Louis Garrel, grand favori avec 11 nominations.

« Cette année, on a eu de très beaux films faits par des femmes, il n’y a pas d’ambiguïté possible. Ils sont de qualité. »

à franceinfo

De son côté, l’Académie des César constate « avec regret » l’absence de femmes dans la catégorie meilleure réalisation.

Une parité chez les votants qui ne se retrouve pas dans les nominations

Cette prédominance masculine n’est pas nouvelle. D’après une étude réalisée par le collectif 50/50, qui œuvre pour la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel, entre 2018 et 2022, seulement 20% des nommés dans la catégorie meilleure réalisation étaient des femmes. Et aucune ne l’a emporté. En 47 éditions, seule Tonie Marshall, en 2000, a remporté ce César pour Vénus Beauté (Institut). Morte en mars 2020, elle attend toujours une successeure. Par ailleurs, dans la catégorie reine du meilleur film, celle que le public retient, un seul long-métrage, Les Amandiers, est l’œuvre d’une femme, Valeria Bruni-Tedeschi. 

Face au constat, les personnes interrogées par franceinfo ne masquent pas leur déception. « On ne peut que déplorer l’absence de femmes, mais on ne va pas aller chez chaque votant pour leur imposer d’en choisir une », assure Audrey Dana, la réalisatrice de Sous les jupes des filles. « Chacun opte pour un film sans se soucier du genre de celui qui l’a réalisé. » 

Pour les César, 4 705 votants, répartis en 10 collèges regroupant tous les corps de métier du septième art, composent l’Académie qui décide par vote des nominations et des lauréats. On y compte 44% de femmes, assure-t-elle. Parmi les 520 nouveaux membres cette année, 69% sont des femmes, toujours selon l’instance. Mais cette quasi-parité au sein des votants ne se retrouve pas dans les nominations. « L‘Académie est sans doute plus conservatrice qu’on aimerait le croire, comme peut l’être la société », déduit Clémentine Charlemaine, co-présidente du collectif 50/50.

« Ces nominations reflètent une société patriarcale. Lorsqu’on pense aux meilleurs films, on pense forcément à des bonhommes, c’est sûr et certain. »

à franceinfo

Audrey Dana cite notamment l’exemple de la couverture du magazine Le Film français, mettant en avant Jérôme Seydoux, le patron de Pathé, et une bande d’acteurs (Vincent Cassel, Pierre Niney, Guillaume Canet, Pio Marmaï, Dany Boon, François Civil) au mois de septembre dernier, en pleine crise de fréquentation des salles obscures, qui fixait l’objectif de « reconquérir » le public. Une couverture épinglée pour son machisme sur les réseaux sociaux par la réalisatrice Audrey Diwan, et que le magazine avait ensuite regrettée.

Des initiatives pour récompenser quand même des femmes

Même si la parité existe dans les écoles publiques de cinéma ou à l’université, les places restent chères dans le milieu pour les femmes. « Aujourd’hui, seulement 24% de réalisatrices travaillent », note la co-présidente du collectif 50/50. L’une d’elles raconte le parcours du médecin devenu metteur en scène Thomas Lilti, dont le premier film, Les Yeux bandés, avait fait moins de 3 000 entrées, selon le site réservé aux professionnels CBO Box Office. « Des producteurs ont cru en lui, il a pu faire d’autres films et connaître le succès avec ‘Hippocrate’. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si on donnerait une deuxième chance à une femme si son premier long comptabilisait 3 000 entrées », s’interroge-t-elle.

Dans la course aux prix et à la reconnaissance, les femmes partent de très loin, selon Véronique Le Bris, autrice du livre 100 grands films de réalisatrices et créatrice du prix Alice Guy, qui récompense, depuis 2018, la réalisatrice de l’année : « C’est exactement le même phénomène que le plafond de verre. Moins il y a d’élus, moins il y a de femmes. Aux César, le nombre de films, de nominations, est limité, donc les femmes sont plus facilement exclues. » Cela conduit à « la dépréciation du talent des femmes et à leur non-reconnaissance », juge-t-elle.

« C’est un levier pour pouvoir faire un prochain film, si une réalisatrice est invisibilisée, c’est encore plus compliqué pour elle de faire un autre long-métrage. »

à franceinfo

Cette inégalité d’accès aux prix s’ajoute à d’autres. Selon une étude du Centre national du cinéma datant de mars 2021, les femmes disposent en moyenne de 3,14 millions d’euros de budget pour réaliser un film, soit 2,14 millions d’euros de moins que les hommes. « Les films des réalisatrices sont moins visibles, donc moins vus, moins demandés par le public et tombent plus facilement dans l’oubli. Or, les récompenses sont une manière de passer à la postérité », étaye Véronique Le Bris.

Le prix Alice Guy, attribué en 2023 à Alice Winocour pour Revoir Paris, répond à ce besoin. « Alice Guy est la première réalisatrice de l’histoire du septième art, vivait à l’époque des frères Lumières, a découvert le cinéma grâce à eux, raconte la journaliste et critique chez Ecran Total. Elle a eu l’idée de s’en servir pour raconter des histoires. Son nom, son parcours, son apport ont été effacés. J’ai voulu donner son nom à ce prix pour lui rendre hommage. Si les femmes ne travaillent pas à leur notoriété, elles vont subir le même sort. »

Vers une représentation plus juste à l’avenir ?

Reste qu’évoquer la place des femmes aux César – en premier lieu avec les réalisatrices – demeure délicat. « Celles non-nommées cette année sont peut-être amères, mais elles n’ont pas envie de passer pour des victimes », confie une metteuse en scène, absente des nominations. En s’exprimant, les éventuelles concernées pourraient recevoir des encouragements, mais risqueraient également d’être pointées du doigt. Car l’Académie insiste aussi sur ces catégories, certes moins prestigieuses, dans lesquelles les noms féminins apparaissent bien.

L’instance se réjouit ainsi de « la présence massive des femmes dans les catégories dites du cinéma émergent, avec 10 femmes aux courts-métrages, 4 au premier film, 2 à l’animation et 2 au documentaire ». Elle y voit « un signe hautement encourageant ». « C’est très bien de récompenser les meilleurs premiers films, mais c’est également important de célébrer une réalisatrice qui n’en est pas à son premier pour assurer sa longévité », nuance la metteuse en scène Nathalie Marchak (Par instinct).

Néanmoins, « les choses évoluent dans le bon sens, même si c’est lent », observe de son côté la députée écologiste Marie-Charlotte Garin. L’élue du Rhône est à l’initiative du Prix Cléopâtre, lancé avec le magazine Causette, en opposition aux César, pour récompenser la meilleure réalisatrice de l’année. Tout est parti d’une blague. « Mon équipe a suggéré qu’on le tweete, raconte l’élue. Puis ‘Causette’ s’est saisi du sujet et l’écho a été plus large que prévu. »

« Il y a dix ans, cette sélection des César serait sûrement passée inaperçue. Si on veut plus de femmes dans l’industrie du cinéma, il faut leur donner des exemples de réussite et d’excellence. »

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Et l’élue écologiste de conclure : « Derrière les Cléopâtre, il y a des enjeux de représentation. »

Pas question d’ailleurs de concurrencer le prix Alice Guy. Les Cléopâtre ont récompensé deux autres films : Saint-Omer d’Alice Diop a reçu le prix du public et Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski a reçu celui du jury. « Nous sommes ensemble, avance Anna Cuxac, rédactrice en cheffe du site de Causette. Pour nousil s’agit d’une réaction épidermique à un fait d’actualité. Le seul objectif est de mettre en lumière une injustice. » Véronique Le Bris, la créatrice du prix Alice Guy, ne dit pas autre chose, au sujet de ces deux prix genrés encore peu connus du grand public. « Les réalisatrices souhaitent avant tout être comparées à leurs pairs, mais il me semble nécessaire de les rassurer sur leur talent. » Pour une reconnaissance officielle en 2024 dans la liste des nommés pour la meilleure réalisation ?

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