Apparitions furtives, personnages secondaires, simples évocations ou sous-entendus équivoques… Retour sur l’histoire problématique de la représentation LGBTQI+ dans les productions Pixar.
Le nouveau film de studios Pixar – Luca, sorti le 18 juin sur Disney + – raconte l’histoire de deux amis vivant un été rempli d’aventures dans un village de bord de mer. Mais nos deux héros cachent un secret : ils sont en réalité des créatures marines vivant dans un monde sous la surface ! Une intrigue très pixarienne a priori innocente, qui a pourtant déclenché une vague de commentaires sur Internet, où l’histoire a été perçue comme une métaphore dissimulée de l’homosexualité. Une réaction qui en dit long sur le besoin grandissant du public pour une plus grande représentation de la communauté LGBTQI+ dans les productions familiales. Un vide abyssal que les studios à la lampe Luxo commencent à peine à prendre en considération, mais qu’ils semblent vouloir reconsidérer.
Depuis sa création en 1986, Pixar a réalisé 24 longs-métrages, dont les populaires Toy Story (1995), Monstres et Cie (2001), Le Monde de Nemo (2003), Là-Haut (2009), Vice Versa (2015) ou encore Coco (2017). Des films qui ont majoritairement été célébrés par le public et la critique, et qui ont imposé les studios comme la référence mondiale de l’animation 3D. Un succès qui a d’ailleurs amené Disney a racheté la compagnie en 2006 (pour la coquette somme de 7,4 milliards de dollars), tout en la laissant fonctionner de manière relativement indépendante. En plus de ces films, Pixar est également connu pour produire régulièrement des courts métrages – 82 à ce jour -, présentés en salles avant leurs grosses productions, soit dans des programmes à part entière, et qui permettent de mettre en avant les talents des studios. En 35 ans d’existence, Pixar a donc produit plus d’une centaine de films. Et un constat s’impose : mais où sont les LGBTQI+ ?
En effet, en plus de 100 films, la communauté LGBTQI+ n’a connu qu’une place quasiment nulle dans l’univers Pixar. Dans Le Monde de Dory sorti en 2016, une brève scène montre deux femmes étonnées de trouver le poulpe Hank dans une poussette. À aucun moment ce duo n’est montré comme étant un couple lesbien, mais de nombreux spectateurs y ont vu un message subliminal de la part des studios. Un message évidemment non confirmé par le réalisateur Andrew Stanton. Quand on lui demande si ces deux femmes sont bien lesbiennes, il répond simplement : “ Elles peuvent être ce que vous voulez qu’elles soient ”. Jolie manière de botter en touche.
La question resurgit à la sortie de Toy Story 4 en 2019, où là encore un couple de femmes déposent leur enfant dans une scène à l’école maternelle. La situation est ici moins équivoque que dans Le Monde de Dory : l’enfant et le couple discutent et s’enlacent affectueusement, dans un schéma de relation familiale. Les personnages ne sont visibles que 8 petites secondes, mais ce minuscule moment s’est malgré tout attiré les foudres d’organisations conservatrices américaines, qui ont amené à boycotter le film. Heureusement sans succès : Toy Story 4 a récolté plus d’un milliard de dollars dans le monde.
Une nouvelle étape dans le représentation LGBTQI+ chez Pixar est franchie en 2020 avec le film En Avant. Ici, pas de situation équivoque, ou de figurants en arrière-plan, mais un véritable personnage : l’officier Specter, doublée par l’actrice et scénariste ouvertement lesbienne Lena Whaite, vue notamment dans la série Master of None et dans le film Ready Player One. Dans une scène, la policière mentionne ainsi que “la fille de sa petite amie lui fait s’arracher les cheveux”. Une simple ligne de dialogue, mais une avancée importante dans cette longue et pénible histoire de la représentation LGBTQI+. Cette fois, Disney, Pixar et le réalisateur Dan Scanlon assument même complètement leur choix, présentant le personnage des mois avant la sortie du film. Un positionnement rafraîchissant de la part du studio, mais qui n’a pas plu à tout le monde : En Avant a été banni dans plusieurs pays du Moyen-Orient – le Koweït, le Qatar, l’Arabie Saoudite et Oman – et la ligne de dialogue a été modifié en Russie, où le terme “petite amie” a été modifié en “partenaire”.
Des personnages en arrière-plan, une ligne de dialogue… Ces progrès en matière de représentation des LGBTQI+ dans les productions Pixar apparaissent bien anecdotiques. Mais deux mois après la sortie d’En Avant, les studios proposent sur la plateforme Disney+ une anthologie de courts-métrages destinée à promouvoir les talents “maison” et à révéler d’autres voix et horizons artistiques, intitulée Sparkshorts. Parmi les 8 courts métrages proposés, l’un sort du lot. Il s’appelle Out, et raconte les difficultés de Greg à faire son coming out, et notamment à avouer la vérité à ses parents en visite chez lui et son petit ami. Le film devient ainsi la première production Pixar à avoir comme héros un protagoniste gay. Un pas de géant.
Le réalisateur et scénariste Steven Clay Hunter confirme au journaliste de Skwigly à quel point il était important pour lui de donner une voix à la communauté LGBTQI+ avec ce court : “Je n’ai fait mon coming-out à mes parents qu’à l’âge de 27 ans. (…) J’ai aujourd’hui 51 ans, et je suis étonné de voir à quel point tout ce processus peut s’attarder dans votre esprit. Je veux dire, vous ne pouvez pas cacher qui vous êtes pendant la moitié de votre vie et vous attendre à passer à autre chose. Cela laisse une trace. J’avais donc l’impression que c’était quelque chose que je devais explorer. D’une manière amusante et émotionnelle, afin de m’aider à le traiter. Réaliser Out a vraiment pris une forme de thérapie pour moi, pour être parfaitement honnête”. Des tâtonnements maladroits des débuts, à la mise en avant d’un thème aussi intime et délicat que le coming-out, la représentation des LGBTQI+ chez Pixar a positivement évolué en l’espace de 5 ans.
Une dynamique qui ne semble pas s’arrêter de sitôt, et qui influe même sur la réception de la nouvelle production des studios, Luca. Cette histoire d’amitié entre deux garçons qui doivent dissimuler leurs vraies natures de monstres est apparue aux internautes et commentateurs comme une métaphore dissimulée de l’homosexualité. Ces thèmes proches des problématiques LGBTQI+, se sont couplés à une ressemblance troublante avec le film Call Me By Your Name sorti en 2017, qui racontait déjà une amitié ensoleillée entre deux hommes sur la côte italienne, qui devenait rapidement une histoire amoureuse. Bien sûr, cette sur-interprétation par les spectateurs rappelle celle du Monde de Dory, et en dit plus sur l’appétit du public pour d’avantage de diversité à l’écran que sur le film lui-même. D’ailleurs, rien dans l’histoire de Luca ne laisse présager d’autre chose qu’une simple histoire d’amitié entre les deux garçons et la troisième protagoniste Giulia, comme l’a d’ailleurs rappelé le réalisateur Enrico Casarosa : « Avec ce film, je voulais vraiment parler d’amitié-amitié. Et de ce monde de la pré-puberté, avant que certaines choses ne viennent compliquer le tableau ».
Si Luca n’est finalement pas la représentation que la communauté LGBTQI+ espérait, celle-ci n’a peut-être pas si longtemps que ça à attendre pour de nouveau exister dans l’univers Pixar. En effet, en avril 2021 les studios ont créé une mini révolution dans le monde de l’animation grand public en lançant un casting pour la voix de l’un de leurs futurs personnages : Jess, une jeune transgenre de 14 ans. L’annonce insiste même sur le fait que la personne recherchée doit pouvoir « authentiquement représenter une fille transgenre de 14 ans ». Si on ne sait pas encore pour quel futur projet Pixar ce casting est annoncé (certains évoquent la série Win or Lose, prévu sur Disney + en 2023), cela montre une nouvelle fois que les studios à la lampe Luxo s’ouvrent plus que jamais à plus de diversité et de représentation dans leurs productions, notamment de la communauté LGBTQI+. Une démarche accentuée par l’engagement de la maison-mère Disney en plein mois des fiertés, à l’heure où la diversité à l’écran s’avère un enjeu économique grandissant . Une évolution pleine de promesse que l’on a hâte de voir se développer dans les années à venir.
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