• A l’occasion des 20 ans de la téléréalité, « 20 Minutes » propose une série d’articles sur ce phénomène qui a bouleversé le petit écran.
  • Mèmes sur Twitter, Instagram lives, stories sur Snapchat… Les réseaux sociaux ont bouleversé l’hégémonie de la télévision sur les programmes de téléréalité.
  • Ces plateformes offrent désormais de nouvelles perspectives de carrière aux candidats et plus de « pouvoirs » aux téléspectateurs, au point d’éclipser la télé.

La téléréalité, ce n’est pas tout à fait la réalité. Pas complètement de la télé non plus. C’est bien davantage. Chaque vendredi soir, pour les fans de Koh-Lanta, l’émission se déroule sur deux écran. La télé et celui du smartphone. Ils s’affront sur Twitter à coups de tendances, phrases cultes et mèmes de Denis Brogniart. Le but de cette épreuve : commenter le programme sur le réseau social en même temps que sa diffusion à la télévision. Une stratégie gagnante pratiquée pour Les Marseillais, Les Princes de l’Amour, L’Amour est dans le pré et autres émissions de
téléréalité. « Il y a désormais une synergie entre les programmes télé et les réseaux sociaux », relève Nathalie Nadaud-Albertini, docteure en sociologie des médias à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des écrans. Une nouvelle forme de narration, à des années-lumière des premiers ébats dans Loft Story,
qui séduit un public plus jeune et maître des codes des réseaux sociaux.

La vérité se cache sur Instagram

« La promesse de la téléréalité, c’est de vous montrer tout ce qui est caché. Vous allez tout savoir », rappelle Virginie Spies, sémiologue, analyste des médias et de la presse people et maîtresse de conférences à l’Université d’Avignon. S’il y a 20 ans, le voyeurisme des spectateurs était nourri par la présence de caméras dans les quatre coins de la Maison des Secrets, désormais il est gavé à la surexposition des candidats à la télé, sur Instagram, sur TikTok, sur Snapchat. Une multiplication des canaux de diffusion qui a créé une dépendance du public et offre de nouveaux terrains de jeu aux candidats.

Autrefois choisis pour vivre une expérience humaine, avec quelques intrigues ficelées par la production, les participants ont repris aujourd’hui la main sur la narration et livrent « leur vérité ». Ils teasent des intrigues, sèment des indices, et
se mettent en scène pour gagner du temps à l’écran. Au point d’en bouleverser les conditions de casting en faisant la balance en leur faveur avec leurs nombres d’abonnés. « On a vraiment une logique de ‘peopolisation’ maintenant. Les candidats construisent leurs images dès leur début », explique Virginie Spies.

La spécialiste des médias décrypte l’ascension de Kim Kardashian West. Rendue célèbre grâce à son émission de téléréalité familiale, L’incroyable famille Kardashian, la star américaine a pris la main sur son image, en se mettant en avant tout en gardant des détails sur sa vie privée. La femme d’affaires partage son quotidien avec ses 214 millions d’abonnés sur Instagram 
si bien qu’elle n’a plus besoin de la télévision. « D’ailleurs, on va plus suivre un candidat de téléréalité que l’émission dont il est issu », fait remarquer Nathalie Nadaud-Albertini.

Fans 2.0

Les spectateurs de votre programme ont décidé de vous délaisser pour Instagram, leur sentence est (pour l’heure) irrévocable. Ils n’ont plus besoin d’attendre la prochaine émission, de se dégoter les derniers magazines people et de subir le décalage entre les dates de tournage et de diffusion pour suivre en temps réel les aventures de leurs célébrités favorites. Il suffit d’un tour sur les réseaux sociaux pour faire le point sur les romances entre Les Marseillais (W9) ou découvrir la bouille des nouveau-nés des Mamans et Célèbres (TFX).

Avec leur smartphone, « comme une extension de soi » analyse Nathalie Nadaud-Albertini, ils commentent, interagissent, soutiennent et renforcent un lien de proximité « comme des fans devant des matchs de foot ». Comptes dédiés à un candidat, pages regroupant les dernières news sur la planète téléréalité, groupes de fans, ils ont acquis un statut actif et prennent part au divertissement.

« Les influenceurs venus de la téléréalité créent un monde à travers les réseaux sociaux qui donne l’impression au public d’y rentrer », explique Margherita Pagani, professeure à l’EMLYON Business School, spécialisée dans le marketing digital, du comportement des consommateurs et des nouvelles technologies. En devenant leurs propres médias, ils entretiennent un rapport décomplexé avec leur communauté. Et certains, inspirés et tentés par la gloire, se lancent sur Instagram et TikTok en espérant faire le buzz.

Tout terrain, tout écran

La télévision est-elle devenue has-been ? Le petit écran a surtout perdu son côté exclusif au fil des années. « Il suffit de voir les audiences, qui sont en baisse », soutient Pierre Fonteny directeur général de Boomerang Agency, une agence de brand content. Quel serait l’intérêt d’une émission comme l’After Secret Story quand le candidat éliminé d’une émission peut se fendre d’un tweet pour commenter son élimination ? « Il y a d’ailleurs des ex-candidats de téléréalité qui lancent leur émission sans passer par la télé comme Darko de Secret Story 10 sur YouTube », illustre Pierre Fonteny.

« Il y a 20 ans, les stars de la téléréalité se voyaient faire carrière à la télévision comme Ayem. Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux. Ils ont démocratisé le métier d’influenceur », explique Mourad Ait Elhadj, senior creative strategist France chez Divimove, une agence spécialisée dans le digital média. Avec deux saisons par an à la télé, c’est avec la publicité sur les réseaux sociaux que les Anges de la téléréalité ont atteint leur eldorado financier. Comme une Loana qui vantait la dernière paire de lunettes à mode, « ils font du téléachat », résume sobrement Mourad Ait Elhadj. « C’est une aubaine pour les marques parce qu’ils interagissent avec leurs fans donc créent de l’engagement », renchérit la spécialiste du marketing digital Margherita Pagani.

Mais le business plan a ses limites. Une majeure partie des anciennes vedettes de vos écrans peinent à gagner en crédibilité et à se débarrasser de l’étiquette vulgaire, trash et plaisir coupable associée à la téléréalité. Ils sont peu nombreux à faire des placements produits pour des marques de luxe qui leur préfèrent les créateurs de contenus. « Caroline Receveur est l’une des rares à avoir réussi à s’en détacher et à se construire un parcours singulier et une image classe », constate Nathalie Nadaud-Albertini. Il faut dire qu’avec plus de 4 millions de personnes qui suivent son compte Instagram, elle est, elle aussi, bien davantage qu’une star de télé-réalité.

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