Récemment sorti, Ultra, sera son dernier album, annonce le Duc de Boulogne. Au cours de ses 25 ans de carrière, le rappeur de 44 ans a toujours su inventer et se réinventer. Décryptage du phénomène Booba.
« Laissez-moi chanter la liberté. L’illégalité une dernière fois ». Ces paroles, chantonnées dans l’ultime morceau d’Ultra, sonnent comme un adieu. Dans la musique depuis 25 ans, Booba s’apprête à tirer sa révérence après une belle et longue carrière sans précédent dans le rap français.
Le dixième (et dernier opus, comme l’annonce son créateur) est dans la lignée de l’existant : un raz de marée de ventes et d’écoutes. Cet énième rouleau donne déjà le tournis.
« Il n’a fait que des succès »
Interrogé sur la radio France Inter , Antoine Monin, directeur musique de Spotify France , la plateforme de streaming musical numéro 1, affirmait : « La journée de sortie de l’album de Booba a comptabilisé plus de 12 millions d’écoutes dont presque 10 millions uniquement sur l’album. Pour l’instant c’est la plus grosse sortie de l’année. »
Que le natif de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) prenne autant de place est tout sauf une surprise. Le plus remarquable, c’est de réussir cette performance à chacune de ses sorties. « Si on veut résumer la carrière de Booba, ce serait zéro défaite, estime Olivier Cachin, journaliste spécialisé dans le hip-hop. Il n’a fait que des succès. Un fait rarissime, car dans le hip-hop, il est difficile de durer dans le temps. » Les autres rappeurs de cette génération comme Iam ou MC Solaar, aussi talentueux soient-ils, ne suscitent autant d’engouement auprès de la nouvelle génération d’auditeurs.
« Une aura qui ne s’explique pas »
À 44 ans, celui qui a débarqué dans le rap en 1996 en se présentant comme le « métis café crème, le MC cappuccino », avait en tête que « les derniers [soient] les premiers. ». Pari réussi. Fils d’une mère française et d’un père sénégalais, Élie Yaffa, à l’état civil, a puisé dans ses racines, la volonté « de marquer [son] temps malgré [son] teint ».
Avec une « rage coloniale », le pirate du rap français a trouvé les bonnes recettes pour conquérir deux générations d’auditeurs. Avec une plume aussi violente que ses rimes sont imagées, il a partagé sa vision de la société au plus grand nombre.
Cette liberté de ton et d’expression a fait de lui un artiste aussi adulé que décrié. Mais Booba n’a jamais renié son ADN. Quitte à se faire boycotter, dès ses débuts, par des radios comme Skyrock, qui jugeaient ses textes trop violents. Pour Olivier Cachin, « c’était un vrai risque, à une époque où il n’y avait pas les réseaux sociaux. »
Le succès est venu dès Lunatic, duo dans lequel Booba partage le micro avec Ali. L’album Mauvais Œil, sorti en 2000, passe à la postérité en devenant le premier album de rap certifié disque d’or en indépendant. La machine est en route. Elle va se poursuivre en solo grâce à « un talent indéniable d’écriture, un talent marketing et une aura qui ne s’explique pas », poursuit Olivier Cachin.
« Une signature sur la langue française »
Au cœur des années 2000, il assoit sa domination à coups de punchlines, en développant un argot cru, qui va se propager dans le langage courant et inspirer journalistes et universitaires. La Nouvelle revue française, publication littéraire et de critique, lui consacre ainsi un article en 2003, intitulé : Booba, le démon des images.
Son auteur Thomas Ravier, place le rappeur à la même table que les écrivains Antonin Artaud et Louis-Ferdinand Céline. Il en fait aussi l’inventeur de la « métagore », néologisme désignant une métaphore à l’image ultra-violente.
La linguiste Aurore Vincenti, s’est aussi amusée à faire l’analyse de la discographie du Duc de Boulogne. « J’apprécie la dimension percutante de ses textes et les images qu’il arrive à susciter. » Derrière des paroles qui peuvent heurter, l’auteure de l’ouvrage Les mots du bitume voit de « la drôlerie. Il y a un plaisir de la vulgarité chez lui. »
Pour cette scientifique de la langue de Molière, « Booba a popularisé des terminaisons comme Renaud, en son temps, a popularisé le verlan. Il a apposé sa signature sur la langue française. » L’expression « au calme », souvent utilisé sous la forme écrite « OKLM », rentrée dans le dictionnaire, en est l’une des meilleures illustrations.
Premier rappeur français à utiliser l’autotune
S’inspirant des Américains, Booba a influencé le rap français sur le fond, comme sur la forme. En 2009, sort son quatrième album, 0.9, dans lequel il rappe pour la première fois en utilisant l’autotune, cette technologie qui modifie la voix.
Ce virage lui a valu son lot de critiques, mais grâce à ce logiciel, il commence à chanter. « Sans ça, je serai mort depuis longtemps, musicalement », reconnaît l’intéressé dans une interview sur le média Brut . Onze ans plus tard, tous les rappeurs, ou presque, ont recours à cette technologie.
Avant-gardiste, Booba a adapté son style à chaque époque. C’est ce qui lui a permis de laisser sur place ses principaux rivaux dans les années 2000 : Sinik, Rohff ou encore La Fouine. Et de détecter les talents de la décennie suivante, comme Kaaris, Damso ou Maes.
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Au crépuscule de sa carrière, Booba et son rap n’ont pas pris une ride. En voulant s’associer à lui, les nouveaux rappeurs cherchent une validation et une exposition. Sans rival, selon lui, dans son domaine de prédilection, le papa poule de deux enfants va endosser la même casquette que ses modèles, Zinedine Zidane et Maître Yoda : être un mentor.
Son prochain défi : ouvrir les portes du succès à ces jeunes pousses signées sur ses trois labels : 92i, 7corp et Piraterie Music. Booba, lui, est « rentré par la petite, mis à l’amende, je suis sorti par la grande. »
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