À l’origine de Noir Lac, objet musical aussi magique qu’inclassable, il y a d’abord l’association de deux instruments aux sonorités soyeuses et mystiques, le vibraphone de David Neerman et le balafon de Lansiné Kouyaté. Les deux musiciens, établis en région parisienne, viennent d’horizons différents. Le premier, multi-instrumentiste anglais, vit en France depuis l’âge de dix ans ; le second, virtuose malien, est né dans la région de Kangaba au sein d’une famille d’artistes, et sa mère était la chanteuse Siramori Diabaté.
Résidence à l’abbaye cistercienne de Noirlac
Pour leur dernier projet musical en date, ils ont convié la chanteuse américaine Krystle Warren, au timbre grave et soul, et l’ensemble vocal de musique contemporaine Sequenza 9-3 basé à Pantin. D’abord joué en concert durant quelques années, le programme Noir Lac a marqué les esprits avec sa stupéfiante fusion d’esthétiques – Afrique, jazz, chants sacrés, rock – et a donné lieu à un éblouissant enregistrement discographique sorti fin octobre 2020 chez Klarthe Records.
Extrait de A House with No Mirror (Neerman) de l’album Noir Lac… suivi de quelques commentaires de fans (dont des visages familiers)David Neerman et Lansiné Kouyaté se connaissent et mènent des projets communs depuis une quinzaine d’années, mus par une « curiosité mutuelle », jouant d’« instruments de la même famille », confie le musicien anglais à Franceinfo Culture. En 2013, avec vibraphone et balafon, ils sont partis en résidence d’artistes à l’abbaye cistercienne de Noirlac, dans le Cher. Ils y ont organisé des sessions nocturnes qui leur ont laissé un souvenir fort. « On avait l’abbaye pour nous tout seuls, se rappelle David Neerman. On disposait d’une vieille clé gigantesque, longue d’au moins 30 centimètres ! On entrait et sortait comme on voulait, on se promenait d’un endroit à l’autre avec les instruments. On éclairait aussi l’abbaye comme on le souhaitait, c’était vraiment magique. » Leurs seuls auditeurs étaient des familles de chauves-souris en « phase de sommeil paradoxal »…
« Donner vie aux fantômes » de l’abbaye
Alors que les deux musiciens préparent de la musique pour le festival de l’abbaye de Noirlac, leurs répétitions nocturnes se muent en saisissantes expériences sensorielles, voire mystiques. « C’était comme si les vieilles pierres rentraient en résonance avec nos instruments, comme si une espèce de chœur fantôme de moines cisterciens nous répondait… Je me suis dit : on n’a qu’à leur donner vie, à ces fantômes. » Dans un premier temps, David Neerman pense contacter un chœur de musique classique, tatonne sur la conception du projet.
Puis un poème de Dylan Thomas, pour lequel il a composé une musique, lui donne l’idée d’inviter Krystle Warren, chanteuse à l’aise dans des registres très variés, en tant que soliste vocal. Le poème en question, In My Craft or Sullen Art, ouvrira l’album Noir Lac (un titre en clin d’œl à l’abbaye miraculeuse), donnant d’entrée à entendre la beauté du chœur Sequenza 9-3 (dirigé par Catherine Simonpietri), l’expressivité et la solennité du chant de Krystle Warren, portés par une musique et des arrangements splendides, sans oublier l’incroyable alchimie du tandem Neerman-Kouyaté.
Après une première création à l’abbaye de Noirlac avec un chœur amateur, le nouveau répertoire est présenté le 17 novembre 2015 avec son effectif définitif à la Cité de la Musique, à Paris, durant le festival Africolor. Quatre jours après les attentats de Paris, l’ambiance est particulière. Le projet Noir Lac touche de nombreux spectateurs au cœur. « On m’a raconté que pas mal de larmes avaient coulé ce soir-là, des gens pleuraient dans la salle », se souvient David Neermann. Dans les cinq années qui suivent, le programme est joué sur scène une dizaine de fois. Puis le vibraphoniste, son complice Lansiné Kouyaté et leurs invités retournent à l’abbaye de Noirlac, cette fois pour enregistrer l’album.
« Un répertoire où tout le monde garde son identité »
Noir Lac, c’est un équilibre subtil entre les univers des différents protagonistes du projet, souligne le vibraphoniste. « Une des premières difficultés consistait à réunir ces personnes d’origines musicales diverses en veillant à ce que ça ne sonne pas comme une espèce de tambouille… Je ne voulais surtout pas dénaturer la musique des uns et des autres. Il n’était pas question de faire chanter Krystle Warren comme une griotte mandingue, idem pour le chœur. Je voulais construire un répertoire de manière à ce que tout le monde garde son identité. » Pari réussi. Afin d’assurer une cohérence et une homogénéité à l’ensemble, David Neerman a recherché le « plus petit commun dénominateur des différentes musiques et influences ». « En fait, c’était la mystique de chacun » : la culture millénaire mandingue, la musique classique occidentale, le blues, la soul… Et des points de rencontre musicale, à commencer par « le côté très modal qu’on retrouve à la fois dans le jazz, la musique mandingue et dans certaines œuvres du compositeur Arvo Pärt », précise le vibraphoniste.
Ce paramètre a orienté le compositeur dans son choix de deux reprises – merveilleuses – de chansons des groupes de rock Pink Floyd et Led Zeppelin, respectivement Friends et Us and Them. Dans ces deux morceaux, « il y a une espèce de basse continue, c’était assez facile à faire jouer à Lansiné Kouyaté ».
L’album Noir Lac est sorti le 30 octobre 2020 sur le label Klarthe. Mais la tournée qui devait l’accompagner a été annulée pour cause de Covid-19. Dimanche 22 août en nocturne, tous les protagonistes du projet Noir Lac se retrouvent sur la scène du Paris Jazz Festival, au Parc floral, du côté de Vincennes, pour rejouer – enfin – ce programme pour la première fois depuis « un an et demi à peu près », se réjouit David Neerman. Un moment de grâce en perspective.
Noir Lac en tournée
Paris Jazz Festival, dimanche 22 août 2021 (concert en nocturne)
Première partie, 20H30 : le chanteur-guitariste argentin Ignacio Maria Gomez (à découvrir aussi). Noir Lac joue en 2e partie à 22H30
Jazz sous les Pommiers, vendredi 27 août, Coutances, 17H15
Rocher de Palmer, samedi 6 novembre, Cenon, 20H30
Jazz au Fil de l’Oise, samedi 13 novembre, Mériel, 20H30
> Les autres dates à suivre sur le site de Sequenza 9-3
David Neerman : vibraphone, composition
Lansiné Kouyaté : balafon
Krystle Warren : voix
Manuel Peskine : arrangements pour les voix
Ensemble vocal Sequenza 9.3 : Catherine Simonpietri (direction), Armelle Humbert, Céline Boucard (sopranos), Alice Fagard, Clothilde Cantau (altos), Safir Behloul, Laurent David (ténors), Jean-Sébastien Nicolas, Xavier Margueritat (basses)
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