« C’est vraiment elle la reine de la nuit, elle était la plus grande », réagit dimanche 1er mai Bertrand Dicale, journaliste à franceinfo et spécialiste de la chanson française à la mort de la chanteuse Régine à l’âge de 92 ans.
franceinfo : Peut-on comparer Régine à un oiseau de nuit ?
Bertrand Dicale : C’est vrai que quand on dit « reine de la nuit » il n’y a personne d’autre à qui cela allait. Il y a des grands titres officieux que l’on donne comme l’empereur du rock and roll, le roi de la chanson… on peut en discuter. Mais là, c’est vraiment elle la reine de la nuit. Elle a inventé quelque chose, c’est ça qu’il ne faut pas oublier.
« Non seulement elle était la plus grande, mais elle est celle qui invente la formule de passer des disques dans un espace clos parce qu’avant, dans les boîtes de nuit, il y avait des orchestres. »
à franceinfo
Elle a été l’une des premières à créer un endroit où on vient danser en écoutant des disques à la mode. Elle est aussi l’une des toutes premières à décider que tout le monde viendrait et que cela ne serait pas un clan, une famille, mais tout le monde. Lorsqu’elle crée Chez Régine en 1956, il y a Henri Salvador, Eddie Constantine, Georges Pompidou, des hommes d’affaires, des acteurs, des gens de clans tout à fait différents.
Elle a eu jusqu’à 18 clubs à travers le monde. Peut-on la qualifier aussi de femme d’affaires ?
C’était vraiment une femme d’affaires avant d’être une chanteuse et une artiste. Dans les années 1970, elle a ouvert des night-clubs à Kuala Lumpur, au Caire, à New York, à Genève, à Rio, mais aussi dans des endroits où on ne s’attend pas à avoir cette formule de la nuit parisienne avec l’alcool qui coule à flot, le luxe. Elle va même acheter le restaurant Ledoyen, Le Palace dans les années 1990. C’est une extraordinaire femme d’affaires qui se fait le plaisir de chanter. Elle est à la pointe de la mode.
« C’est dans sa boîte de nuit qu’a été lancé le twist en France. »
à franceinfo
Est-ce que c’est grâce à eux qu’elle s’est mise à la chanson ?
À partir des années 1960, ce sont ses copains qui lui disent qu’elle devrait chanter. Aznavour, Salvador, Gainsbourg lui donnent des chansons. Ils lui donnent l’envie de chanter. Quand vers 3h, 4h du matin, il n’y a plus grand monde dans sa boîte de nuit, elle chante. Tout le monde trouve ça rigolo et lui propose de chanter parce qu’elle est un sujet de chanson. C’est pour ça que Barbara a fait une chanson pour elle et sur elle qui s’appelle Gueule de nuit. C’est aussi pour ça que Frédéric Botton lui donne La grande Zoa qui mêle l’histoire réelle de plusieurs travestis légendaires des années 1920 et 1930 parce qu’elle aussi est un personnage légendaire. Dès les années 1960, elle est citée dans des chansons, comme dans J’aime les filles de Dutronc, Claude François aussi cite Régine. Ce sont des gens qui connaissent tous Régine. C’est un personnage qui peut passer dans des émissions un peu intellectuelles et dans des shows grand public. C’est aussi ça qui fait son extraordinaire renommée. Il n’y a pas un patron de boîte de nuit dans l’histoire de la France qui ait eu sa notoriété. Avec le temps, elle est connue de tous les Français, de tout le monde.
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Comment est née la chanson des petits papiers ?
Régine a besoin de chansons et elle est très amie avec Gainsbourg. C’est une vraie camaraderie qui est scellée dès les débuts de leur carrière. Ils se sont connus vers 1952 quand Régine commence à passer des disques au Whisky à gogo après le départ de l’orchestre et que Gainsbourg est guitariste pour accompagner les artistes au Milord l’arsouille, la boîte juste à côté à Paris.
« Il y a un sens caché dans cette histoire de papier. Régine et Gainsbourg ont l’un et l’autre vécu avec des faux papiers. Tous les deux sont des juifs de France, cachés, aidés par des Justes. »
à franceinfo
Ils ont échappé à la Shoah dans des conditions dramatiques et rocambolesques. C’était quelque chose qui les liait. Dans cette chanson des petits papiers, on a l’impression que c’est quelque chose de très léger, mais, comme souvent chez Gainsbourg, il y a cette référence aux papiers d’identité. C’est pour ça que dans les années 90-2000 les mouvements de sans-papiers se sont emparés de cette chanson.
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