Il aura fallu attendre presque quarante ans pour que la naissance du hip-hop français devienne enfin un sujet. Elle a été documentée tout récemment avec une exposition à la Philharmonie de Paris (Hip Hop 360) et contée en partie dans un biopic sur les débuts de NTM (Suprêmes). Mais l’éclosion du mouvement, avec ses différentes disciplines (graff, breakdance, DJ’ing et rap), ne nous avait jamais été racontée comme dans cette remarquable série chorale en six épisodes co-réalisée par Katell Quillévéré (SuzanneRéparer les vivants) et Hélier Cisterne (Vandal, De nos frères blessés, Le Bureau des Légendes).

Voici quatre bonnes raisons de voir Le Monde de Demain, qui a obtenu le Grand prix au festival Séries Mania, disponible à partir de lundi 10 octobre sur Arte.tv et diffusée le 20 octobre sur la chaîne Arte, avant de migrer sur Netflix.

1Parce qu’il est basé sur les témoignages des pionniers

Inspirée de faits réels, fidèle autant que possible aux très nombreuses heures d’entretiens et de témoignages recueillis auprès des pionniers du mouvement, cette série élargit le champ exploré par Suprêmes à d’autres protagonistes majeurs, et en particulier au DJ Dee Nasty, pivot de l’arrivée du hip-hop en France dont l’itinéraire personnel avait été peu exposé jusqu’ici. La trajectoire de Lady V (alias Vivi, Virginie Sullé de son vrai nom), graffeuse, danseuse, compagne de Kool Shen et partie prenante de NTM sur scène, est également mise en avant, montrant la difficulté des femmes à s’imposer dans ce milieu viriliste et misogyne.

Kool Shen, JoeyStarr et Dee Nasty ont eu « un droit de regard sur tous les épisodes » et ont été très présents sur le plateau, conseillant et coachant les acteurs qui les incarnaient.

Dans ce récit choral, on suit donc d’un côté Dee Nasty, qui, de retour d’un séjour aux Etats-Unis où le hip-hop émergent l’a ébloui, n’a de cesse de faire vivre cette nouvelle culture et sa musique en France, et en parallèle l’aventure NTM avec l’immersion progressive dans le mouvement de deux gars de cité, Bruno Lopes (Kool Shen) et Didier Morville (JoeyStarr) et de leur entourage, harponnés d’abord par la danse, puis mordus de graffiti, avant de s’imposer dans le rap par la maîtrise du verbe et de la rime.

C’est donc une épopée collective faite de passions mêlées et d’émulation, de quête de reconnaissance et de soif de liberté, de volonté de sortir du lot et de persévérance, que reconstituent brillamment sous nos yeux les réalisateurs. Sans oublier l’humour et l’art du « chambrage »…

2Parce que les acteurs sont remarquables de justesse

Les acteurs, disons-le, sont fantastiques. Le casting, qui a duré un an et demi et réunit professionnels, jeunes issus du hip-hop et personnes repérées dans la rue, est proche de la perfection. « Tous sont passés par un intense coaching. Ils ont appris à danser, rapper, graffer, scratcher… », indique la production. Melvin Boomer, qui était au départ un breakdanceur au sol, a dû par exemple apprendre à danser debout comme son modèle. Mais la direction d’acteur et la mise en scène, digne d’un long-métrage, sont également remarquables. 

Anthony Bajon, espoir du cinéma en pleine ascension, confirme son talent en se glissant dans la peau du pudique Kool Shen avec une grande aisance. Le prometteur Melvin Boomer, à qui revient la mission d’incarner JoeyStarr dont la présence et l’animalité sont particulièrement ardus à égaler, rend bien la complexité du personnage de fanfaron blessé et de pile électrique ingérable. En Dee Nasty sincère, amoureux et terriblement fragile, Andranic Manet est une révélation, tout autant que la magistrale Léo Chalié, qui incarne sa compagne Béatrice, une jeune femme puissante et affranchie, aussi douce qu’éruptive. Repérée aussi, pour sa grâce solaire, Laïka Blanc-Francard en Lady V traversée de sentiments contradictoires et cherchant sa place.

Quant aux seconds rôles, ils méritent tous une médaille (vraiment), en particulier les parents truculents de Kool Shen (le père, formidable), mais aussi la mère de Lady V, le roublard graffeur Colt, le maître du chambrage Yazid, et même le boss des dealers du quartier. Tous sont attachants, tous sonnent juste, sans artifice apparent, avec une simplicité de jeu et un naturel bluffants.

3Pour la précision des reconstitutions d’époque

C’était il n’y a pas si longtemps mais tout était différent alors. Concernant les décors et les costumes, rien n’a été laissé au hasard dans la série, et ceux qui ont vécu l’époque s’y retrouveront. « Le lien créé avec nos témoins s’est avéré essentiel« , explique Katell Quillévéré. « Ils ont donné leur avis sur les scènes, rectifié des attitudes, des répliques. Ils nous ont permis d’être encore plus précis, jusqu’aux vêtements collector d’époque récupérés grâce à Dee Nasty, aux trophées et aux photos de la famille Lopes donnés par Christiane, la mère de Kool Shen !« . Et jusqu’à la coupe à la Lionel Richie du grand frère de Kool Shen, un détail bien vu.

La caméra filme superbement l’effervescence des fêtes, aussi bien en extérieur, sur le fameux terrain de La Chapelle, qu’en intérieur, notamment à la Grange aux Belles et au Globo chez Roger Boîte Funk. Elle fait aussi merveille dans la reconstitution des micros ouverts à Radio Nova, tout autant qu’elle restitute la folie douce des radios libres avec l’emblématique Carbone 14 qui nous vaut quelques scènes hilarantes. 

La série immerge le spectateur. Elle l’installe en famille sur le canapé de Kool Shen face à l’écran de télé, elle l’emmène en virée, au Trocadéro où les premiers breakdanceurs vont scotcher Kool Shen et JoeyStarr, ou bien en mode graf vandale sur les quais de Seine, et elle passe avec fluidité de la cité de Saint-Denis aux décors parisiens bourgeois du milieu de la mode (pour lequel JoeyStarr fait à la fois coursier et modèle à l’occasion) et de l’appartement du graffeur star Bando, issu d’une famille aisée.

4Parce qu’il n’est pas inutile de rappeler la genèse du mouvement

Alors que le hip-hop français fête ses temps-ci ses quarante ans d’existence, cette série rappellera utilement aux plus jeunes comment et avec quelles valeurs a éclos ce mouvement actuellement dominant où les premiers de cordée ne se retrouvent plus forcément.

La dimension sociale et politique, qui se manifeste dans la série en toile de fond (notamment via les infos télévisées) mais aussi au travers de la volonté de s’en sortir des personnages principaux issus de milieux modestes et de familles cabossées, résonne toujours aussi fortement avec le présent.

Quant à ceux qui ont connu l’époque, ils auront avec ces six épisodes plus que des souvenirs à se mettre sous la dent : une foule de détails oubliés ou ignorés et l’assurance qu’il n’ont pas rêvé.

« Le Monde de Demain », une série en six épisodes de 52 minutes. A voir sur Arte.tv dès le 10 octobre 2022 (et jusqu’au 16 novembre), puis sur la chaîne Arte à partir du 20 octobre et plus tard sur la plateforme Netflix.

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