Bien qu’il dépasse d’une tête tous ses camarades de Radiohead, le guitariste Ed O’Brien n’en est pas moins le plus discret du groupe d’Oxford. Après les expérimentations électroniques en solo de Thom Yorke, les B.O. remarquées du guitariste Jonny Greenwood et les deux albums du batteur Phil Selway, Ed O’Brien est le dernier membre de Radiohead a sortir de l’ombre en solo avec Earth – seul le bassiste Colin Greenwood ne s’est pas encore livré à l’exercice.

« La dernière chose dont le monde a besoin c’est d’un album de merde d’Ed O’Brien« , avait coutume de dire modestement l’intéressé jusqu’à présent. Il est pourtant un pilier du groupe devenu au fil du temps bien plus que le guitariste rythmique qu’il était au début de Radiohead : magicien de la six-cordes, il est également le maître des effets atmosphériques et des textures électroniques et tient sur scène aussi bien les claviers et les percussions que la guitare.

Earth est l’occasion de découvrir à la fois sa belle voix, qui seconde ici et là celle de Thom Yorke chez Radiohead, mais aussi la richesse de son travail, qui, sans ressembler à celle du groupe où il officie depuis 35 ans, en recèle forcément des éclats.

« Screamadelica » de Primal Scream pour modèle

Cet album solo était en gestation depuis huit ans, depuis un séjour en famille de plusieurs mois en pleine nature au Brésil, où la samba et la flamboyance du carnaval l’avaient envoûté. Avec Earth, Ed O’Brien a voulu, dit-il, réaliser un album « plein d’amour » et qui donne à espérer. Un disque « joyeux avec des éléments de dance, de soul et d’ambient music« .

Son modèle ? Screamadlica, le chef d’oeuvre de Primal Scream. Il n’y est pas vraiment parvenu – le challenge était ardu – mais il a réussi un album personnel varié, lumineux et chatoyant, avec des accès de mélancolie à petite dose qui n’ouvrent jamais sur les abysses douloureuses d’un Thom Yorke.

Des musiciens et un producteur cinq étoiles

A la production, on trouve Floss alias le Britannique Mark Ellis, un sorcier du son connu pour son travail avec U2, Depeche Mode, PJ Harvey, Nine Inch Nails ou Foals. C’est lui qui l’a poussé à s’emparer du micro sur l’album.

Pour faire bonne mesure, les musiciens réunis sur ce projet sont tous aussi des pointures : en enfant gâté, Ed O’Brien a d’abord tenu à avoir la section rythmique qui accompagnait Daft Punk aux Grammys 2014 : le bassiste Nathan East et le batteur Omar Hakim. Mais il a également fait appel au guitariste de Portishead Adrian Utley, au batteur de Wilco Glenn Klotche et au multi-instrumentiste David Okuma.

Shangri-La, composé à l’issue d’un week-end de félicité au festival de Glastonbury, ouvre l’album avec une vibration radieuse et tonique, tropicalo-psychédélique, qui n’est pas sans rappeler Foals (et même le phrasé d’Anthony Kiedis des Red Hot Chili Peppers). L’audacieux Brasil, qui lui fait suite, commence comme une miniature folk intimiste à la guitare acoustique avant de se déployer à mi-parcours en hymne dance hédoniste aux pulsations inattendues.

Echos du Brésil et de Madchester

Banksters montre de curieux accents brésiliens (on pense au Mas que Nada de Jorge Ben) mais avec un refrain anti-capitaliste bien senti (« Where all the money go, you fuck ?« ), tandis que le contemplatif et délicat Sail On est un adieu cosmique à un cousin disparu.

L’album se referme sur deux bijoux. Olympik, notre préféré, est un ambitieux morceau de bravoure long de 8 minutes qui parvient à téléscoper un groove électronique très Madchester à un jaillissement de six cordes mélancolique à la Greg Sage (c’est là que la section rythmique repérée chez Daft Punk fait merveille, même si l’on pense aussi un peu à U2).

En clôture, Cloak of the Night, un duo folk de toute beauté avec la chanteuse Laura Marling, où il est question d’un couple soudé dans la tourmente – « You and me in this storm, holding tight » -, une tempête qui pourrait bien ressembler aux temps troublés que nous vivons actuellement. Ed O’Brien a d’ailleurs bel et bien bravé le coronavirus le mois dernier, mais il en est venu à bout. La musique nous sauverait-elle de tout?

« Earth » de EOB alias Ed O’Brien est sorti  chez Polydor le 18 avril


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