Rolando Faria, formidable chanteur, guitariste et arrangeur brésilien qui a mené l’essentiel de sa carrière en France, s’est éteint au soir du 30 avril 2021 à Paris, a annoncé son agent Betty Behar sur Facebook, sans donner plus d’informations : « Rolando, ta voix restera toujours dans nos cœurs. Tu rejoins la deuxième étoile. » L’artiste souffrait du diabète depuis plusieurs années.
Il forma avec le chanteur Luiz Antonio (1946-2002) le duo Les Étoiles qui brilla dans les nuits parisiennes, sur les scènes de France, mais aussi sur les plateaux de télévision, à partir de la seconde moitié des années 70. Leur carrière se poursuivit dans les années 80, puis le tandem continua de collaborer ponctuellement dans la décennie suivante. Au travers de leur parcours, rejaillit le souvenir d’une période musicale particulière à Paris, marquée par la présence de nombreux artistes sud-américains qui avaient quitté leurs pays d’origine en proie à des régimes dictatoriaux.
Voix somptueuses et sensuelles, look de travestis
La griffe des Étoiles, outre des voix sensuelles, somptueuses et des arrangements admirables de grandes chansons de Baden Powell, Djavan, Gilberto Gil ou Chico Buarque, c’est bien sûr leur look de travestis. Si leur maquillage ostentatoire et leurs acoutrements extravagants firent certainement leur effet sur les petits écrans de la France giscardienne, ils ne détournèrent pas l’attention de l’essentiel : leur immense talent.
Rolando Faria est né le 15 août 1951 à Rio de Janeiro. Il était de cinq ans le cadet de Luiz Antonio, né le 31 octobre 1946 à São Paulo. Le duo fait ses débuts en 1974 à Barcelone avant de prendre la direction de Paris. « Ils ont formé un duo extrêmement emblématique des années 70 », se souvient la journaliste Dominique Dreyfus, spécialiste de musique brésilienne. « Il y avait le côté très humoristique du travestissement, le jeu de scène incroyable. Ils ont connu un succès énorme. C’était tellement original et à la fois, dans l’air du temps ! Et c’était très beau. Ils avaient l’un et l’autre des voix à tomber par terre. Rolando jouait en plus de la guitare, ce qui n’était pas le cas de Luiz Antonio qui se mettait plus en avant sur scène. On sentait que la star, c’était plutôt Luiz. Je crois qu’il venait du théâtre alors que Rolando était le plus musicien des deux. »
Si Rolando Faria affiche des tenues classiques, masculines, dans la vie quotidienne, ce n’est pas le cas de Luiz Antonio, en représentation à la ville comme à la scène, se souvient Dominique Dreyfus. « Luiz portait tout le temps des turbans, je ne l’ai jamais vu sans quelque chose sur la tête. Il était toujours extrêmement maquillé, avec des ongles très longs et du vernis. il portait des blouses à froufrous. Mais le bas, c’était toujours un vieux jean mal fichu et des grosses bottes ! » Un look et une identité troubles, totalement assumés : « Un jour, ils sont venus dîner à la maison. Alors qu’on bavardait autour de la table qui était ronde, ma fille qui avait 4 ou 5 ans a froncé les sourcils, s’est levée, a fait le tour de la table, a tapé sur le coude de Luiz Antonio et lui a dit : ‘T’es un homme ou une femme ?’ Luiz l’a regardée, a ri et a eu cette réponse sublime, avec son sourire éblouissant : « Eh ben, tu choisis.' »
Un engouement pour les musiques sud-américaines
Le duo des Étoiles est arrivé en Europe à la faveur d’un mouvement d’exil – imposé ou volontaire – de nombreux Sud-Américains hostiles aux régimes militaires alors instaurés au Brésil, en Argentine, en Uruguay, au Chili… Une majorité d’exilés politiques se sont retrouvés en France. À l’époque, le Brésil et d’autres pays latino-américains ont suscité un véritable engouement. Tous ceux qui tentaient une carrière artistique en France n’avaient pas forcément le talent de Rolando Faria et Luiz Antonio qui ont connu un succès immédiat, se souvient Dominique Dreyfus. « Cette présence sud-américaine a donné à Paris une touche très joyeuse. Plutôt que d’amener quelque chose de dramatique, les exilés ont apporté toute cette joie latino-américaine qui est indéniable. »
À partir de 1976, et jusqu’à 1991, le tandem sort près d’une dizaine d’enregistrements discographiques incluant des lives et des compilations. Leurs voix s’unissent à merveille, leurs arrangements sophistiqués jettent de nouveaux éclairages sur le répertoire de la MPB, la musique populaire brésilienne, alors que leur magnétisme et leur extravagance scénique leur ouvrent les portes de la télévision française. Ils apparaissent dans les émissions de Michel Drucker, de Jacques Martin…
L’âge d’or du Discophage
Le rayonnement des Étoiles éblouit leur public, marque durablement les esprits et inspirera nombre de futurs musiciens parmi lesquels la guitariste Verioca Lherm qui se souvient les avoir vus « seize fois » sur scène et les considère aujourd’hui encore comme « une référence incontournable ». Parmi les lieux de prédilection de la communauté brésilienne de l’époque, figure le Discophage, petit club (qui fermera en 1989) de la rue des Écoles à Paris, où se produisent régulièrement Rolando Faria, Luiz Antonio et de nombreux autres artistes, à la plus grande joie des amateurs de ces musiques. On y croise des amoureux du Brésil comme Pierre Barouh et Bernard Lavilliers. « C’était un endroit très joyeux », se rappelle Dominique Dreyfus. « On a tous été très tristes quand il a fermé. Luiz Antonio et Rolando étaient porteurs de cette joie, ils en étaient l’image, avec leur façon d’être. Ils étaient vraiment drôles, même si Luiz Antonio avait un côté très moqueur, plus cynique. Rolando Faria était beaucoup plus tendre, plus doux. »
Dans la première moitié des années 2010, Rolando Faria, pédagogue passionnant, donnait encore des cours de musique brésilienne et animait des ateliers à Paris et Marseille. Dans le même temps, il se produisait tantôt en solo, tantôt en invité d’Antoine Hervé à l’occasion des « Leçons de jazz », les célèbres concerts-conférences que le pianiste organisait, en l’occurrence pour le programme consacré à Tom Jobim. Puis, ses problèmes de santé ont poussé Rolando Faria à mettre fin à sa carrière, en toute discrétion.
Source: Lire L’Article Complet