C’est sans doute l’un des ensembles qui ont le plus marqué l’histoire du Festival de musique ancienne et baroque d’Ambronay : Les Arts Florissants. Il était invité samedi en ce premier week-end de la 43e édition, emmené par Paul Agnew, devenu codirecteur artistique. Nous avons rencontré le chef d’orchestre dès le matin, alors qu’il s’apprêtait à diriger non pas un, mais deux grands concerts à l’Abbatiale : les madrigaux de Schütz et les cantates de Weimar de Bach. Récit d’une journée avec Paul Agnew.
Construire une relation avec le public
Dans le cloître de l’Abbaye d’Ambronay ou dans les couloirs des anciens bâtiments conventuels où résonnent toutes sortes d’instruments baroques, l’Ecossais Paul Agnew est un peu chez lui. Plus de vingt-cinq ans qu’il fréquente le festival, d’abord comme ténor, chantant d’ailleurs pour divers ensembles, puis comme chef d’orchestre. « Le premier concert devait être un Purcell », nous dit-il hésitant. Mais si les souvenirs perdent quelque peu en netteté, l’émotion est la même. « Ambronay représente beaucoup de choses », lance-t-il s’animant aussitôt.
Pêle-mêle il avance « l’atmosphère qui y est incroyable, la beauté du lieu, l’énorme effort pédagogique », dit-il, « car j’y ai également dirigé l’Académie ». Mais surtout, nous dit Paul Agnew, il y a ce public : « fidèle, intelligent, expérimenté, et qui attend avec impatience, je crois, l’arrivée du festival et les concerts. Venir ici, c’est comme rejoindre une gigantesque famille. Et c’est un bonheur de construire cette relation. C’est pourquoi j’aime m’adresser aux spectateurs, expliquer l’idée de nos présentations pour qu’ils puissent écouter avec une autre oreille ».
Changement de monde avec Heinrich Schütz
Et le moment venu, à 15 heures sur la scène de l’église abbatiale, Paul Agnew prend son temps pour raconter, comme dans un stand-up. « Heinrich Schütz est un jeune Allemand du tout début du 17e siècle qui arrive de la ville de Cassel et veut se rendre en Italie pour avancer dans la musique, alors que ses parents veulent qu’il fasse du droit… Ma mère non plus ne voulait pas que je fasse chanteur ! ». Le public, amusé, reste très réceptif.
« Grâce à un mécène, Schütz fait son voyage en Italie pour apprendre comment composer pour de vrai », poursuit Agnew. « Et entre 1609 et 1612, donc dans un laps de temps très court, il parvient à comprendre cette langue nouvelle avec une profondeur incroyable. C’est un véritable changement de monde ! Les madrigaux (poèmes chantés, ndlr) qu’il a écrits pendant ce séjour sont tellement bons qu’ils peuvent être comparés au 3e ou au 4e livre des madrigaux de Monteverdi, qui sont la référence pour l’époque », explique-t-il. Paroles d’expert.
Toute la palette du sentiment amoureux
Chantés comme il se doit a cappella, les madrigaux – tous à cinq voix, sauf deux à huit voix – touchent immédiatement leur cible. Car les polyphonies, très sophistiquées, vont droit aux affects (et ça, c’est l’influence du langage italien), portées par la grâce des Arts Florissants.
Ainsi ce magnifique madrigal Feritevi ferite (Blessez-vous blessures), où l’on espère que « les langues soient des flèches et les baisers des blessures ». Ou encore cet autre, Mi saluta costei (Elle me salue), où la femme cruelle « dans sa douce révérence, cache à mes yeux ses yeux charmants et son divin visage ». Et toute la palette du sentiment amoureux y passe – le rêve, le dépit, la cruauté, la jalousie, la solitude, la mort d’amour (thème très récurrent) – sous la plume des deux principaux poètes utilisés, Giambattista Marino et Battista Guarini.
De Schütz à Bach
Le deuxième programme de Paul Agnew, pour le concert de 20h30, est cette fois consacré à Bach. « C’était important pour moi d’associer Schütz et Bach en une même journée », nous a expliqué Paul Agnew, « parce qu’il y a un vrai lien entre les deux, malgré les cent ans qui les séparent, Schütz est né en 1585, Bach en 1685. L’influence de Schütz, et surtout de la musique italienne qu’il a assimilée, sur tous ses compatriotes après, dont Jean-Sébastien Bach est absolument énorme », affirme-t-il avec conviction. « Sans Schütz, la musique de Bach serait différente ».
Paul Agnew a choisi quatre des cantates de Bach composées à une période précise, lors de son séjour à Weimar. Car notre chef a entrepris avec ce nouveau cycle de suivre le compositeur au fil de sa vie et c’est là qu’il était rendu après les œuvres de jeunesse. A la cour de Weimar, nous explique Paul Agnew, Bach n’est pas encore le Cantor de Leipzig doté d’un grand orchestre et d’un chœur. « Il a quatorze musiciens (mais tous n’étaient pas nécessairement disponibles en même temps…), avec lesquels il faut faire une musique extrêmement ambitieuse. Mais Bach a une imagination sans limites ! ».
Cantates bouleversantes
Et comme lors du précédent concert, Agnew s’emploie sur scène à disserter avec passion sur Bach et sur sa vie privée à partir de 1714, sur sa première femme Maria Barbara et leurs sept enfants. « Tout cela impacte sur sa vie artistique », lance-t-il. Surtout, les cantates de Weimar offrent d’autres textes que ceux de Luther. Des poèmes, signés pour la plupart par le poète de cour Salomo Franck, qui offrent à Bach un autre horizon « pour s’exprimer lui-même, sa foi profonde, sa connaissance aussi ».
Ainsi par exemple la cantate Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen, (Les pleurs, les lamentations, les tourments et le découragement) qui décrit l’affliction des Chrétiens suite à l’annonce par le Christ de sa propre mort. Bouleversants, son chœur Weinen Klagen et le premier air pour contre-ténor (ici l’impressionnant Maarten Engeltjes) et hautbois (Neven Lesage, également très convaincant) emportent le public.
Avant la dernière cantate, Nur komm, des Heiden Heiland (Viens maitenant sauveur des païens), Paul Agnew s’adresse à nouveau au public pour qu’il « apprécie à sa juste mesure sa magnifique ouverture à la française ». Une ouverture, explique-t-il, est une musique qu’on écrit à l’occasion de la venue d’un roi. La France de Lully avait Louis XIV. L’Allemagne de Bach n’ayant pas de roi, c’est pour le Christ qu’il l’a écrite. Pirouette de grand art.
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