Fin février 2020, DJ Snake réunit 40 000 spectateurs à La Défense Arena. Quelques semaines plus tard, le Covid-19 met le monde à l’arrêt. L’artiste découvre le confinement forcé, lui qui était habitué à passer de salles en festivals, d’un continent à l’autre, à bord de jets privés. Deux années de pandémie sont passées. Samedi 11 juin 2022, deux jours avant son 36e anniversaire, le producteur va rassembler plus de 60 000 personnes au Parc des Princes, à Paris.
En moins de 10 ans, l’ancien vendeur de disques de Châtelet-Les Halles, qui jouait les DJ pour ses potes dans les soirées, est devenu l’artiste français le plus « streamé » au monde avec 37 milliards d’écoutes sur les différentes plateformes. Le magazine Forbes l’a placé 15e de son classement des DJ les mieux payés en 2019. Son nouveau titre, Disco Maghreb, hommage à son pays d’origine, l’Algérie, comptabilise déjà plus de 18 millions de vues sur YouTube.
Pourtant, William Grigahcine – de son vrai nom – partait de loin. D’une scolarité chaotique dans le Val-d’Oise jusqu’aux milliers de spectateurs en concert aux quatre coins du globe, franceinfo revient sur son incroyable trajectoire.
Sans le bac, mais dans les bacs
La vie de William Grigahcine a basculé plusieurs fois. D’abord, en découvrant La Haine, le film culte de Mathieu Kassovitz. Le garçon est fasciné par la séquence montrant le DJ Cut Killer mixer depuis sa fenêtre, mêlant le rappeur KRS-One, NTM et Edith Piaf. « J’adorais la musique, mais je ne me voyais pas chanter. Là, il n’y avait pas besoin de voix, c’était juste un mélange de sonorités », raconte-t-il dans Paris Match.
L’adolescent du Val-d’Oise, fils d’une mère algérienne et d’un père forain, parti alors qu’il n’avait que deux ans, se rêve derrière les platines. Mais sa mère, qui alterne les emplois de nourrice et de femme de ménage, ne roule pas sur l’or. Le collégien squatte alors chez un ami dont le grand-frère possède des platines. Ils passent leur mercredi après-midi à tâter du « cross fader », le bouton permettant de passer d’une piste à l’autre, et à « scratcher ».
Pour s’offrir sa première platine, il fait les marchés tous les dimanches matins et décharge les camions. « Je me levais à 6 heures et j’y retournais pour midi pour tout recharger. Cent francs gagnés par marché », se souvient-il dans Le Monde. Il profite aussi des boums pour s’exercer – et dissimuler sa timidité. « J’avais peur, c’était ma phobie de devoir danser devant tout le monde, de demander à une fille d’aller danser, donc je me planquais derrière la sono et je mettais du son pour les copains et les copines », confie-t-il sur France 2. Il adopte un nom de scène : Snake, le serpent, en référence à sa faculté à esquiver les policiers lorsqu’il tague, d’après Le Monde.
« C’est une idée de merde. J’avais 14 ans quand je me suis appelé comme ça. C’est resté. »
sur France 2
Petit à petit, le jeune DJ se fait un nom, anime une émission R’n’B sur la radio FG (Frequence Gay) et des soirées dans certains clubs célèbres de la capitale (le Gibus, le Queen, les Bains Douches). L’école ? Il n’a pas trop la tête à ça. Trop dissipé. « Je suis quelqu’un qui se lasse vite, stagner sur le même programme pendant des semaines, tout en restant assis sur une chaise, je ne peux pas », reconnaît-il dans Le Monde.
Soutenu par sa mère, il lâche tout, avant d’avoir son bac. « Aujourd’hui, n’importe quel parent à qui on dit que son enfant va arrêter l’école en troisième ou en seconde pour faire de la musique penserait que c’est du suicide, mais elle m’a laissé croire en mes rêves », explique-t-il sur Canal+. Des rêves qui se poursuivent à Châtelet-Les Halles, où il devient vendeur de disques pour 500 euros par mois et rencontre ses idoles : Cut Killer, DJ Mehdi, Bob Sinclar, DJ Abdel… « C’est le tournant de ma vie », avoue-t-il à Konbini. Le deuxième.
Des tubes après avoir déchanté
A l’orée des années 2010, grâce à l’aide de son manager de l’époque, il rencontre Clinton Sparks. Ce DJ et producteur américain, qui collabore avec Pharrell Williams ou P. Diddy, veut « placer » les productions musicales du Français. Sans parler anglais, mais avec sa musique sous le bras, William Grigahcine se retrouve de l’autre côté de l’Atlantique en studio avec Lady Gaga. Il va déchanter. « Tu n’es personne ou presque. Tu es en studio avec des gens, mais tu ne peux pas vraiment ‘driver’ la session. On te dit : ‘Fais ça’. C’est dur de faire de l’art à la commande, reconnaît-il au micro de Konbini. Tu es un stagiaire en fait. »
Retour en France, sans vraiment plus d’argent, sans vraiment plus de projets, mais pas sans espoir. A l’été 2012, il dilapide ses dernières économies dans la location d’un studio d’enregistrement à Boulogne. Il se laisse deux mois pour réussir dans la musique, avant de jeter l’éponge, de « passer à autre chose, trouver un job pour remplir mon frigo et payer mon loyer », précise-t-il dans « C à vous ». Il s’impose une routine : douche tous les matins à la piscine du coin, puis sessions acharnées de travail pour poster de nouveaux sons sur SoundCloud, la plateforme de ceux qui veulent faire leur trou dans la musique.
« La musique est une science inexacte. Ma vie a changé sur du ‘je-m’en-foutisme’ artistique. »
sur Konbini
Il sort le titre Turn Down for What. Le succès est fulgurant. Encore un tournant. « C’est un ovni, un morceau de débile, il y a quatre mots, une montée, pas de refrain », décrypte-t-il sur Konbini. Même Michelle Obama, alors Première dame des Etats-Unis, dodeline sur ce titre pour promouvoir sa campagne de lutte contre l’obésité.
Il enchaîne ensuite avec Lean on, avec le groupe Major Lazer, qui rassemble DJ Diplo, le rappeur Walshy Fire et la chanteuse danoise MØ. « Il est devenu une star internationale. C’est un des plus gros titres des années 2010, analyse pour franceinfo Marie Dapoigny, ex-directrice éditoriale du magazine de musique électro Mixmag. Je travaillais à Londres à l’époque et dans l’esprit des gens, il avait remplacé David Guetta. » DJ Snake trouve la patte sonore qui va faire son succès.
« Il s’inscrit dans l’héritage de l’EDM [Electronic Dance Music], une version américaine ‘mainstream’ et édulcorée de l’électro qui regroupe des genres en vogue dans les années 2010, comme la progressive, la trap, le dubstep et l’électro pop », commente la journaliste. « Il a fait partie, avec Diplo, du groupe d’artistes qui ont apporté à la pop électro et à la house une touche caribéenne dite ‘tropicale’, terme problématique parce qu’il a participé à l’acculturation de ces sonorités. C’est un son très à la mode depuis les années 2010 et qui flirte régulièrement avec le rap. »
Une carrière qui décolle, un jet qui a failli s’écraser
Encore fallait-il transformer ces deux essais. Ce sera chose faite avec ses deux albums : Encore en 2016 et Carte Blanche en 2019. « Ces titres ont explosé, mais est-ce que cela intéressait forcément les gens de savoir qui était ce DJ derrière ‘Lean on’ ? » s’interroge rétrospectivement Marie Dapoigny.
« Sortir un album ensuite, c’était un moyen de capitaliser sur son succès et d’apporter sa propre vision artistique. »
à franceinfo
Celui qui subissait les séances de travail avec Lady Gaga peut désormais poser ses conditions aux plus grandes stars américaines : Justin Bieber, les rappeurs Travis Scott, Future ou la rappeuse Cardi B : « En studio, je leur dis : ‘Je ne veux pas de propos homophobes, pas de clips avec des meufs à poil et pas d’hymne à la consommation de drogue.’ Ce n’est pas moi », détaille-t-il dans Le Monde. La vie de William Grigahcine est désormais un grand huit qui ne s’arrête quasiment jamais. De l’Arc de Triomphe en 2017 au festival de Coachella en Californie deux ans plus tard, DJ Snake prend un jet comme d’autres prennent le métro.
Cela a failli d’ailleurs lui coûter la vie. En 2016, la star est à Split, en Croatie, pour un concert. Le journaliste Mohamed Bouhafsi l’accompagne. « En raison des conditions météo et d’un vent impossible, le concert est annulé. On est bloqués, se souvient le chroniqueur de « C à vous ». Le lendemain, il devait être à Port-Barcarès. Il n’était pas question pour lui de rater ce concert, car il voulait absolument se produire devant le public français. » Le DJ motive son équipe pour reprendre l’avion direction Barcelone, seul aéroport à pouvoir les accueillir dans la nuit. « Le bus qui nous emmenait sur le tarmac tremblait à cause du vent, même son équipe me demandait de le persuader de ne pas prendre l’avion parce que c’était dangereux et dès le décollage, on a failli se crasher. » Tout le monde atterrira sain et sauf.
Mohamed Bouhafsi s’est lié d’amitié avec le DJ grâce au foot et au Paris Saint-Germain. « Je connaissais bien l’actualité du club lorsque je travaillais à RMC, sourit-il. Notre amitié a commencé comme ça. » « Partout où je vais, au Japon, aux States, au Brésil, on m’attend avec des objets du PSG. Je suis devenu un ambassadeur non officiel », confirme DJ Snake au Parisien, qui caressait le rêve de se produire dans ce stade qu’il fréquente depuis son adolescence. « Après la pandémie, il voulait faire son retour sur scène, il fallait que ce soit ‘chez lui' », soutient le journaliste.
Des lunettes pour se protéger… de la notoriété
« C’est un des mecs les plus généreux que je connaisse. Il vient d’un milieu modeste et il ne l’a pas oublié, il a gardé ses amis et il les invite à Hawaï, Los Angeles, Las Vegas, décrit Mohamed Bouhafsi. C’est comme s’il y avait un ‘turnover’ parmi ses proches pour qu’ils partagent les moments qu’il vit. » Une image éloignée de celle qu’il peut véhiculer sur les réseaux sociaux ou les plateaux où il ne quitte jamais ses lunettes de soleil. « J’ai commencé à les mettre quand je mixais sur scène devant 50 000 personnes. C’est une manière pour moi de me protéger », argumente l’artiste sur France Inter.
Aujourd’hui, DJ Snake passe plus de temps dans les hôtels que chez lui. Mais il n’oublie pas ses racines algériennes, auxquelles il a voulu rendre hommage avec Disco Maghreb. « Il en est fier, insiste Mohamed Bouhafsi. C’était important pour lui de tourner le clip là-bas. Avec ce titre et ce clip, il a plus fait pour l’Algérie en une seule chanson que toutes les campagnes touristiques mises en place depuis 25 ans. » Samedi, il sera également fier de représenter sa ville et son pays.
« Quand on voyage, on se rend compte qu’on n’est pas si mal que ça en France. »
sur France 2
« Il y a encore des choses sur lesquelles il faut encore bosser, mais on n’est pas à plaindre, il y a pire ailleurs et pour ce petit pays, avoir l’impact qu’on a depuis des siècles, que ce soit en art, en cuisine, en musique, faut être fier de ça, de ce drapeau, de ces couleurs », loue-t-il sur France 2. Lui aussi apporte désormais sa pierre à l’édifice.
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