Pendant deux semaines, Mythologies d’Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter s’invite sur la scène du Théâtre du Châtelet à Paris. Cette création revisite différents mythes pour interroger notre présent qui fait écho aux légendes antiques. 

Ce spectacle était une façon de clôturer quatre années de collaboration entre le Ballet Preljocaj et celui de l’Opéra national de Bordeaux. La nouvelle fresque scénique d’Angelin Preljocaj réunit des danseurs de chacun des deux ensembles. L’enjeu était alors de mêler ces deux écoles, l’une de tradition classique, l’autre plutôt contemporaine. « J’ai fait en sorte que tout le travail se passe en corrélation. Quand j’ai travaillé les duos, au lieu de mettre deux danseurs de chez moi et deux de Bordeaux, je mettais systématiquement des danseurs qui ne se connaissaient pas. Puis des liens se sont tissés », confie le chorégraphe. 

Un spectacle guerrier et poétique 

Une vingtaine de tableaux s’enchaînent en presque une heure et demie de représentation mais chaque scène nous emmène dans un univers différent : celui de la mythologie grecque mais aussi une arène avec des catcheurs en masques noirs brillants se battent en duel, un tableau inspiré des Mythologies de Roland Barthes. C’est alors un grand spectacle de douleur, de défaite et de justice qui est offert au public. Les masques rajoutent une note tragique à ces danseurs qui souffrent en exécutant des prises exagérées mais réputées dans ce sport de combat (bras tordu, jambe coincée, cou enserré…). 

Autre tableau, autre ambiance : des Amazones, venues de la Grèce antique et vêtues de robes colorées. De véritables guerrières, des femmes fortes et combattantes qui sont fantasmées autant qu’elles sont craintes, mais qui restent gracieuses, avec un semblant de naïveté. Et lorsque la reine Thalestris veut capturer le roi de Macédoine, à l’aide d’arcs et des flèches, ces femmes deviennent plus dures dans leurs regards, plus brutales dans leurs gestes. 

Un célèbre personnage de la mythologie fait son apparition : le Minotaure. Cette créature féroce mi-homme mi-taureau avide de chair humaine cherche sa proie avec fougue dans un labyrinthe. La jeune femme sacrifiée est apeurée. Elle essaye de fuir, de trouver une issue mais elle finit par se débattre lorsque le monstre l’attrape, en vain. L’ambiance est lourde. 

Puis vient la dernière scène. Sur fond d’images de guerre, des hommes d’affaires en cravate défilent entre des corps sans vie, ôtant les draps blancs qui les recouvrent avant de disparaître lentement. Une scène forte qui illustre la cruauté des hommes. 

Thomas Bangalter se met au classique 

Pour accompagner ces danses presque envoûtantes, le chorégraphe a fait appel à un compositeur inattendu : Thomas Bangalter. Un nom qui ne semble pas commun mais qui a fait, pourtant, danser des millions de personnes à travers le monde entier pendant 28 ans, puisqu’il était l’une des têtes casquées du duo Daft Punk. 

Après être devenu une référence de la musique éléctronique, le compositeur se met au classique et présente sa première pièce pour orchestre. Angelin Preljocaj confie qu’il voulait un peu d’électro dans son spectacle mais l’ex-Daft Punk a été très radical et a préféré n’utliser que des instruments naturels. « Il a écrit quelque chose qui est de l’ordre du symphonique et pour quelqu’un qui vient de Daft Punk, c’est vraiment une prouesse », souligne le chorégraphe.   

Composer la partition d’un ballet n’est pas chose facile, le processus a donc pris du temps. Le travail entre Thomas Bangalter et le chef d’orchestre Romain Dumas a commencé il y a deux ans, puis ils ont avancé sur l’orchestration ensemble pendant « une bonne année« . Ensuite, ils ont continué « quasiment jusqu’au dernier moment pour travailler sur les derniers détails« . Au début, il y avait presque 1 heure 45 de musique mais ils ont décidé de couper certaines choses moins pertinentes. 

Une musique nerveuse et lyrique 

La musique classique composée par Thomas Bangalter est à la fois nerveuse avec ses ruptures mais aussi très lyrique. Elle accompagne parfaitement les gestes légers et parfois plus combatifs des danseurs. Le mélange des instruments (cordes, bois, cuivres, percussions) d’inspiration baroque aide à transporter le public dans une autre dimension. Et dans cet ensemble musical, « il y a des choses plus électroniques, des motifs extrêmement courts et répétés (…) quelque chose de très compliqué pour le geste instrumental humain », avoue Romais Dumas, le chef d’orchestreLe chorégraphe s’est alors laissé emporter par les mélodies du compositeur pour créer une atmosphère hors du temps qui nous amène presque au cinéma. 

À travers cette création, Angelin Preljocaj souhaite confronter les mythes antiques avec notre présent, le monde contemporain. Une approche qui donne à voir les failles de notre temps comme les violences faites aux femmes mais également celles des guerres et des conflits. Il explique que « dans les mythologies, nous voyons beaucoup d’erreurs, des choses à ne pas faire, des choses qui conduisent à la catastrophe. » « Cela devrait nous servir de leçon et malheureusement ce n’est pas toujours le cas, poursuit-il. Nous voyons bien que l’Histoire bégaye. Les mêmes choses, les mêmes erreurs, les mêmes horreurs se répètent ».

Angelin Preljocaj essaye toujours de rebondir d’un spectacle à l’autre, de trouver des écritures corporelles différentes qui s’adaptent à des thèmes nouveaux. Il peut créer des tableaux très abstraits, raconter des histoires comme Roméo et Juliette ou explorer des phénomènes comme la gravité. Puis tout à coup évoquer des mythologies. « Et c’est ça qui m’intéresse. Passer de l’un à l’autre pour pouvoir me ressourcer », conclut le chorégraphe. 

« Mythologies » de Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter, jusqu’au 5 décembre au Théâtre du Châtelet. 

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