Point d’orgue de l’année Brassens à Sète, la date du 22 octobre, sonnant le centième anniversaire de la naissance de l’attachant troubadour, a été marquée par la création du spectacle Brassens a 100 ans de François Morel, au théâtre Molière. Vingt chansons, vingt textes magnifiques – parfois juste récités – dans des voix différentes et toujours justes, celles de François Morel, Juliette, Judith Chemla, Lucrèce Sassella (par ailleurs aux claviers, au ukulélé, aux percussions…), Thibaud Devefer (par ailleurs à la guitare), Amos Mâh (par ailleurs au violoncelle…) et l’incontournable Antoine Sahler, arrangeur brillamment inspiré de ce répertoire revisité (par ailleurs au piano, à l’accordéon, à la trompette, au gazou…). Sans oublier Jean-Louis Trintignant, absent sur scène mais présent par sa voix enregistrée, le temps d’un texte récité, dans un moment suspendu.

François Morel avait annoncé « deux petits textes » en présentant son spectacle et sa passion pour Georges Brassens à Franceinfo Culture, l’un en ouverture du concert, l’autre en épilogue. Le comédien, chanteur et humoriste tiendra parole, mais il glissera également une séquence hilarante au cours du spectacle.

L’hommage à un poète minimaliste

L’hommage s’ouvre sur deux visages juvéniles, deux garçons plantés devant le rideau baissé, Elie et Oscar, l’un portant une moustache postiche, les deux munis respectivement d’une guitare et d’une contrebasse factice, clin d’œil bien sûr à Georges Brassens et à son fidèle accompagnateur Pierre Nicolas. « Ça commence toujours comme ça, une guitare et une contrebasse », dit François Morel en voix off, expliquant son désir originel de « faire tomber les clichés sur son Brassens », célébrer le Brassens « sur lequel il s’est construit », et pointer le minimalisme du personnage d’« ours » que le poète s’inventa, aux antipodes de l’emphase et de la pompe. N’en déplaise au timide poète, Morel surgit de derrière le rideau (qui se lèvera après cette brève séquence) avec un gateau d’anniversaire en main. On n’a pas tous les jours cent ans.

Quand il s’agit de Brassens, si ce n’est pour quelque coup d’éclat savamment préparés au fil de la soirée, François Morel et Antoine Sahler ne sont pas plus disposés à trahir l’esprit que la lettre. Un immense respect, palpable, à la hauteur de leur admiration pour le poète disparu, a guidé leurs choix au moment d’écrire le spectacle. Morel entame le tour de chant avec l’emblématique Auvergnat, en récitant puis en chanteur.

Côté orchestration, Antoine Sahler a opté pour des arrangements sobres et délicats, parfois très épurés, flirtant du côté de la folk, parfois du jazz, posant de nouveaux éclairages, de nouvelles couleurs, sur des chansons dont on croyait avoir fait le tour. Côté chant, tous les protagonistes mettent la main à la pâte, tantôt en solo, tantôt en duo, voire à quatre voix masculines pour Les Quatre Bacheliers, ou tous ensemble, se partageant les paroles sur une formidable Complainte des filles de joie.

Une Juliette impériale

La chanteuse Juliette, que l’on aimerait voir plus souvent à la télévision, en impose avec sa voix profonde et puissante, sans parler de son humour à revendre. Vêtue de cuir noir, à l’exception de touches de violet (son écharpe et ses chaussures bicolores), elle entre en scène pendant la chanson Oncle Archibald entamée par François Morel. De son côté, Judith Chemla, actrice dotée d’une très jolie voix, interprète seule plusieurs titres avec une sensibilité à fleur de peau, parmi lesquels La Non Demande en mariage et Pénélope. Quant à François Morel, on le sent particulièrement ému sur certaines chansons qu’il chante en solo, notamment La Marche nuptiale.

Du rap et des variations polyglottes

La soirée est ponctuée de clins d’oeil humoristiques à l’aura internationale plutôt méconnue de Georges Brassens. Un extrait d’interview dans lequel le poète affirme ne pas se passionner pour les voyages revient en fil conducteur, suivi systématiquement d’extraits des Amoureux des bancs publics dans différentes langues chantés avec flegme par Lucrèce Sassella. Si Brassens n’aimait pas trop bouger, ses chansons ont voyagé pour lui.

Parmi les temps forts du spectacle, cette version saisissante, entre rap et rock, de Hécatombe, par Juliette, qui s’amuse à rappeler que plusieurs décennies avant les rappeurs vilipendés pour leur propos anti-policiers, Georges Brassens écrivait déjà des chansons très polémiques sur les gendarmes… Et que dire du monologue hilarant de François Morel, long de 7 minutes 18 secondes, le temps précis de la durée de la Supplique pour être enterré à la plage de Sète

Un karaoké géant

Après une longue standing ovation, au moment du rappel, François Morel lance un petit tacle ironique à un célèbre chroniqueur musical qui, quelques années plus tôt, avait épilogué sur le « massacre » en règle des Copains d’abord par toutes sortes de réunions collectives de chanteurs amateurs… Et l’humoriste de lancer un karaoké géant sur cet ultime classique de Brassens, avec les paroles projetées en temps réel sur l’écran du fond de la scène. La salle ne bouse pas son plaisir. Triomphe.

Dans le public, on a pu reconnaître Jean Castex, natif d’Occitanie comme Brassens. En fin de journée, le Premier ministre, entouré d’officiels et de photographes, avait surgi dans la quiétude du musée Paul Valéry, sur les hauteurs de Sète, où se tient une exposition d’œuvres de Robert Combas autour de Brassens et de sa ville natale.

Après une seconde date à Sète samedi 23 octobre, le spectacle Brassens a 100 ans doit être présenté à Montpellier, puis Narbonne, à guichets fermés. La soirée sétoise de vendredi doit être diffusée sur France Inter dans quelques jours. On aimerait la voir programmée dans d’autres villes.

Côté public, on quitte la salle avec la sensation d’avoir assisté à un moment absolument privilégié… et l’irrépressible envie de se replonger dans les impensables merveilles de sensibilité et d’humanité que constituent les chansons de Georges Brassens.

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