Sourire glossy, crinière peroxydée retenue par un bandeau, peau hâlée et top dos-nu sexy : en juin dernier, elle débarquait sur les réseaux sociaux en chair et en os au volant de son cabriolet rose bubble-gum.

Qui ? Paris Hilton ? Non, la première, la seule, l’inimitable pop star des jouets : Barbie. Incarnée à l’écran par Margot Robbie dans le film de Greta Gerwig (sortie prévue en juillet 2023), la poupée de Mattel a connu un pic de popularité avec la diffusion de photos du tournage qui donnent d’emblée le ton : kitsch et euphorisant comme un ensemble de roller girl fluo dévalant Venice Beach, plastique et ironique comme les abdos photoshopés de Ryan Gosling, alias Ken. Mais aussi romantique, féministe et inclusif, nous promet l’équipe du film…

En France, c’est Arielle Dombasle qui lui déclare sa flamme dans son nouveau titre, Barbiconic. Une chanson au refrain entêtant et au clip vitaminé où la muse d’Éric Rohmer se confond avec la célèbre poupée dans un monde pop et féerique.

Vous l’aurez compris, Barbie est de retour, et elle ne fait plus seulement rêver les petites filles. Depuis quelques mois, son esthétique girly a pris d’assaut la pop culture mais aussi la mode, la beauté, la déco sous le nom de code #Barbiecore.

Aujourd’hui, les clients ont besoin d’amusement, de plaisir et le phénomène #Barbiecore répond à ce désir.

Né sur les réseaux sociaux, ce phénomène, ou plutôt faudrait-il dire ce tsunami (fin août, le mot avait déjà généré 34 millions de vues sur TikTok), en a profité pour tout recoloriser sur son passage, en rose vif évidemment !

Les cheveux – notamment ceux de Dua Lipa mais aussi de Lizzo cet été –, les voitures – la nouvelle Renault 5 Diamant rose métallisée conçue par le designer Pierre Gonalons pour les 50 ans du modèle – et bien sûr, notre garde-robe.

Pour Valentino, Pierpaolo Piccioli imaginait ainsi une collection automne-hiver 2022-2023 quasi monochrome autour d’une nuance de fuchsia – le rose PP – élaborée avec Pantone.

Chez Dolce & Gabbana ou Gabriela Hearst, les tailleurs aussi claquent en rose. Sans parler des accessoires, à l’image des souliers joujoux de Roger Vivier ou du sac Cagole de Balenciaga, qui s’offrait au printemps à Londres une boutique tapissée de fausse fourrure couleur Malabar.

La force du rose

Une pink attitude relayée par célébrités et influenceuses passées maîtresses dans l’art des statements chromatiques.

On aura vu ainsi rosir de la tête aux pieds Anne Hathaway ou Florence Pugh (en Valentino), mais aussi Kim et Khloé Kardashian, Hailey Bieber et surtout Megan Fox et Machine Gun Kelly, en version Barbie et Ken seapunk pour la sortie de La vie en rose, le nouveau documentaire sur la vie du rappeur. Pourquoi tant d’amour ?

« Aujourd’hui, les clients ont besoin d’amusement, de plaisir et le phénomène #Barbiecore répond à ce désir », expliquait à Women’s Wear Daily (WWD) Lana Todorovich, présidente et responsable du merchandising de Neiman Marcus.

Comprenez : dans un contexte de post-pandémie assombri par la guerre en Ukraine, le dérèglement climatique, l’inflation et aujourd’hui la perspective d’une austérité énergétique, l’univers éternellement brillant, souriant et ensoleillé de Barbie nous apporte légèreté et insouciance.

Il nous reconnecte aussi à la nostalgie de l’enfance et au plaisir du jeu et de la mode que la poupée a incarné pour des générations de petites filles avec son dressing de rêve, ses accessoires par milliers.

Mais aussi ses longs cheveux à coiffer et son corps aux mensurations irréelles, qui ont contribué à modeler une certaine image stéréotypée et caricaturale de la féminité : blonde, longiligne, avec une poitrine généreuse, la bimbo hypersexuée en un mot.

Alors c’est vrai, en cette ère post-#MeToo, on ne s’attendait pas vraiment à voir revenir la bête noire des féministes. Sauf que le féminisme pop, justement, est passé par là. Et voilà Barbie propulsée dans le sillage des icônes déchues des années 90 – Britney Spears en tête, en figure de l’empowerment.

Ce qui n’étonne pas Anne Monier Vanryb, conservatrice du département moderne et contemporain en charge de la collection enfant au musée des Arts Décoratifs de Paris qui avait piloté l’ex-position Barbie en 2016.

« Depuis ses débuts, Barbie est une femme indépendante qui trace sa route en cabriolet rose », explique-t-elle. « Elle travaille, s’investit dans tous les métiers, même les plus masculins, a priori. D’ailleurs, dans le couple qu’elle forme avec Ken, tout lui appartient. C’est la voiture de Barbie, la maison de Barbie, lui ne possède rien ! ».

Si le pink millenial est comme un câlin, cette sorte de fuchsia est assez agressif

Dans l’émission Chez Jordan, Arielle Dombasle soulignait récemment le rôle inspirant qu’a joué la poupée dans sa vie : « Barbie conduisait des camions, était infirmière, mannequin, chanteuse pop, c’est fabuleux d’avoir une représentation de la femme qui peut tout se permettre quand on est une petite fille ».

Surtout, cette réhabilitation a été rendue possible par un énorme travail entrepris par Mattel pour changer son image et casser les stéréotypes liés à la notion de beauté, de genre.

L’empowerment donc, mais aussi l’inclusivité sont devenus les mantras de la firme, qui propose désormais pas moins de vingt-sept carnations différentes, vingt-deux couleurs d’yeux, vingt-quatre coiffures, des modèles de petites tailles, aux courbes généreuses (voire avec cellulite), non genrés (la gamme Creatable World) et même en chaise roulante.

C’est d’ailleurs cette volonté de bousculer les idées reçues et de promouvoir plus de tolérance qui a poussé Olivier Rousteing à imaginer une collaboration Balmain x Barbie.

Dans sa collection lancée en janvier 2022, Ken peut donc s’habiller avec du rose et des vêtements body conscious comme une Barbie, et inversement. Ou comme Justin Bieber et Harry Styles – et bien d’autres garçons – dans la vraie vie qui ont adopté aussi le style bubble-gum, les paillettes, le fun de BB.

Le barbiecore, une tendance faussement girly

En quelques années, le rose Barbie – qui tire sur le violet – inventé dans les années 90 pour mieux attirer l’œil des petites filles est devenu bien plus que cela.

À savoir l’uniforme de tou·tes celles et ceux qui luttent contre l’invisibilité.

« Si le pink millenial est comme un câlin, cette sorte de fuchsia est assez agressif », explique Keith Recker, tendanceur de la couleur qui publie Deep Color : the Shades That Shape Our Souls, un ouvrage sur le sujet.

Il a notamment été utilisé par le courant post-féministe pour donner plus de visibilité à ses combats, comme lors du mouvement des Pussy Hats, à New York ou en Inde, avec le Gulabi Gang, une organisation qui milite pour les droits des femmes en s’habillant en sari rose.

« C’est donc une couleur qui appelle au changement, à l’action, mais aussi un propulseur d’influence que les gens utilisent de plus en plus pour montrer qu’ils existent dans un monde où il est de plus en plus difficile de trouver sa place ».

À l’heure où, aux États-Unis, la loi ne garantit plus la liberté des femmes à disposer de leur corps, s’habiller en rose, mettre des robes moulantes, des talons et des paillettes dans sa vie comme sa poupée fétiche serait-il un acte de résistance ?

C’est donc une couleur qui appelle au changement, à l’action

Ce qui est sûr pour Anne Monier Vanryb, c’est que Barbie est un formidable miroir de l’époque. « Elle est féministe mais ne renie pas pour autant le plaisir de s’habiller, de se maquiller même si c’est pour aller dans l’espace comme la Barbie cosmonaute ou diriger des chantiers », explique-t-elle. « Et aujourd’hui qu’elle a prouvé qu’elle pouvait incarner toutes sortes de beautés, être indépendante, elle a le droit de se laisser aller en assumant son côté hyper féminin, kitsch et même un peu bimbo ».

Comme nous en somme ! Alors, pourquoi ne pas s’entraîner à accepter la Barbie qui se cache en nous en attendant la sortie du film de Greta Gerwig, qui raconte justement l’irruption de Barbie et Ken dans le monde réel ? 

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