Stéréotype d’une classe sociale aussi fantasmée que décriée, la bourgeoise s’extirpe de sa silhouette canonique pour redéfinir les codes d’un bon-chic bon-genre aux velléités frondeuses. Simple parade à l’overdose streetwear ou véritable expression d’une nouvelle figure tutélaire ?

C’est au défilé Celine, laboratoire modeux aux prescriptions plébiscitées, que les prémisses du nouveau BCBG ont tout d’abord été observées. Veste Prince de Galles patrimoniales jouxtée d’un cachemire et d’un col victorien, jupe-culotte en tweed rétro doublée d’une lavallières studieuse, jupe midi austère réhaussée d’un carré de soie ostentatoire et de quelques sautoirs : discrètes mais déterminées, les mannequins déambulent sur le catwalk de la Place Vauban telles de pudiques Sorbonnardes dévalant la rue Soufflot.

Nous ne sommes pas dans l’antichambre du Quartier Latin des années pré-68, ni dans un remake anachronique d’un Luis Bunuel et pourtant, la bourgeoise et son attirail vestimentaire si longtemps raillé tentent de s’imposer sous nos yeux dans notre vestiaire, au détour d’arguments stylistiques de choix. 

“On n’est plus du tout dans la gentille bourgeoise !” commente Célina Bailly, directrice artistique au sein du bureau de tendances Promostyl. “La nouvelle bourgeoise en somme est plus décalée, plus grunge, plus sexy, plus loose. Les silhouettes sont plus longues, les vestes plus larges. Elle met son petit foulard au cou, mais elle porte aussi des Doc Martens. C’est une fausse bourgeoise ! ”poursuit-elle.

Chez Celine, elle ponctue ainsi sa tenue de Ray-Ban frondeuses, se couvre de cardigans dorés aguicheurs et d’attrayants bombers tout enfilant blousons jupes en cuir au (doux) parfum de rébellion. “Elle passerait presque pour une punk! ” commentait récemment Hedi Slimane dans les colonnes de Vogue.

Sous l’impulsion de Demna Gvasalia, la bourgeoise quitte la Rive Gauche des Sixties pour renouer volontiers avec la structure vigoriste du tailoring des années 80, mais sous un angle minimaliste résolument urbain. Burberry version Riccardo Tisci la réinterprète avec audace et sensualité, mêlant subtiles nuances de beige et des soupçons de transparence maitrisée.

Quant à Prada, la maison italienne aux collections cérébrales livre des Belles de Jour mi-punk mi-austères dont les tweed violentés et les dentelles pudiques s’accommodent avec nonchalance de rangers imposantes et de lunettes futuristes. “Pour moi, c’est surtout Bottega Veneta et son nouveau directeur artistique Daniel Lee qui a réussi à twister cette esthétique et à créer une bourgeoise moderne. C’est de celle-là dont on a envie !” s’enthousiasme Célina Bailly.

Le désir, tel semble être la pierre d’achoppement de cette résurgence néo-bourgeoise aux accents contestataires. Alors que certains y voient un antidote à l’overdose streetwear ambiante, la tendance BCBG incarnerait moins une rupture antinomique avec le tout logo & co qu’une continuité subtile du vestiaire d’inflexion sportif. “Il faut bien noter que la bourgeoise est étroitement liée à l’univers du sport !” souligne la directrice artistique de Promostyl.

Golf, tennis, équitation : les incursions historiques des CSP+++ dans certains domaines sportifs sont en effet à l’origine de moultes tendances contemporaines, allant de la démocratisation de certains pièces iconiques comme le polo à rayures, le bermuda ou encore les bottes cavalières jusqu’à l’impulsion de simples gimmicks stylistiques, à l’image de l’écusson ou de la lavallière. “Je crois qu’on commençait à en avoir sérieusement marre du streetwear, des survet’ et des grosses baskets. On avait envie d’autre chose, de revenir à l’essentiel.” concède Célina Bailly. 

Exit le gender-fluid et l’athleisure, l’heure semble être au retour de l’élégance stricto-sensu et d’une forme de garde-robe patrimoniale, qui presque sans le vouloir, s’inscrit dans les valeurs de durabilité qu’exige l’urgence climatique de la part de l’industrie du prêt-à-porter. Je pense que dans un contexte mondial un peu douloureux, on avait envie de douceur, de féminité, de retourner à quelque chose qui réconforte tout en le décalant, tout en le mixant à des matières plus dures, plus fortes, comme le cuir par exemple, un peu comme pour marquer que, tout de même, nous sommes dans un moment de contestation” analyse Célina Bailly, qui prévient de toute lecture rétrograde.

Loin d’être l’expression de relents traditionalistes (poke La Manif Pour Tous), la bourgeoise version 2019-2010 nous démontre finalement non sans vigueur que l’on peut militer pour la protection du climat et s’insurger contre le patriarcat tout en portant des ballerines et des cardigans. Révolution vintage oblige, les icônes des sixties-seventies n’ont par ailleurs jamais eu autant la côte qu’en cette fin d’années 2010, les vestes à épaulettes et autres chemisiers victoriens s’arrachant sur les plateformes de seconde main érigés en alternatives ultimes d’une fast-fashion mise au pilori. À croire que c’est l’esthétique d’une bourgeoise à serre-tête qui nous aidera (peut-être) à sauver la planète.




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