Speakeasy au Japon, patisserie à Milan ou encore cantine méditerranéenne sur les Champs’: les maisons de luxe rivalisent d’imagination pour nous mettre à table, délaissant (presque) les ateliers couture au profit d’embardées culinaires. À croire que les deux iraient de pair.

Osaka, le 1er février 2020. Façades aux évocations marines, mobilier rétro aux lignes racées, oeuvres d’art contemporain subtilement exposées : dans un décor épuré signé Peter Marino et Jun Aoki, Louis Vuitton inaugure ce soir son premier restaurant et café au sommet de son nouvel édifice, la Maison Louis Vuitton Osaka Midosuji. Sobrement baptisées Cafe V et Sugalobo V, ces deux adresses à l’ambiance feutrée marquent l’entrée inattendue du malletier français dans le prestigieux univers de la gastronomie.

« Le restaurant de 24 couverts a pour ambition d’offrir une expérience gastronomique intimiste à des initiés. Ce sera comme un club avec une porte d’entrée privée et une procédure de réservation pour initiés, comme il existe parfois dans certains restaurants japonais exclusifs. » a décrit le chef du restaurant, le japonais Yosuke Suga, au journal Les Echos.

En s’associant à cet ancien fidèle collaborateur de Joël Robuchon et actuel chef du Sugalobo à Tokyo, l’un des meilleurs restaurants du monde, Louis Vuitton entend proposer à sa clientèle une nouvelle expérience haut de gamme, à l’image de nombreuses maisons de couture et labels de luxe.

Mettre les petits plats dans les grands

L’empire au monogramme centenaire n’est pas le seul, ni le premier à se lancer dans l’aventure culinaire. Rien qu’au Japon, dans le quartier chic de Ginza à Tokyo, vous pouvez vous délecter d’un déjeuner signé Alain Ducasse au dernier étage de la boutique Chanel, faire une pause sucrée au Café Furla ou encore vous offrir un dîner raffiné dans le feutré Il Restorante de Bulgari, par le chef italien Luca Fantin.

À Shanghaï, c’est le Gucci Café, un bistrot niché dans le flagship de la griffe milanaise, qui séduit une clientèle huppée, tandis que de l’autre côté du globe, Ralph Lauren et Burberry ont fait de leurs adresses historiques de nouvelles places to be gastronomiques avec, respectivement, le Ralph’s Coffee à New-York et le Thomas’s à Londres.

À Milan, on peut goûter impunément aux pâtisseries du Café Prada dans un décor à la Wes Anderson pendant qu’à Hong Kong certains s’enfilent un croque monsieur et des french fries chez Pain Grillé, l’adresse gourmande signée Agnès b. Mais le maître incontesté du genre reste sans aucun doute Giorgio Armani qui, depuis les années 80, inaugure de Paris à Dubaï, en passant par Tokyo et Le Caire, des restaurants, des cafés mais aussi des hôtels de luxe, au point de vendre (presque) plus de couverts que de vêtements.

Jeunes créateurs et petites tables

À Paris, le phénomène touche également les jeunes créateurs à la notoriété plus confidentielle. Au printemps dernier, alors qu’elles inaugurent un flamboyant flagship sur les Champs Elysées, les Galeries Lafayette font sensation en accueillant au premier étage Citron, le premier restaurant de Simon Porte Jacquemus, créateur en vogue à l’ascension fulgurante et figure adorée du microcosme parisien. Tenue en collaboration avec l’illustre Caviar Kaspia, cette cantine méditerranéenne haut de gamme sera rapidement suivie d’une seconde adresse, Oursin, cette fois-ci au deuxième étage du même grand magasin.

À l’automne dernier, c’est la mannequin/it-girl/créatrice Jeanne Damas, accessoirement meilleur acolyte du designer sudiste, qui décide d’ouvrir sa propre table, « Chez Jeanne » quelques mois après avoir inauguré le concept store de sa marque Rouje. « En tant que fille de restaurateurs, je sais que c’est un travail dur qui ne s’improvise pas, donc je n’aurais jamais osé imaginer en ouvrir un moi-même !” nous a confié la parisienne. « Seulement avec l’ouverture de notre boutique, l’opportunité s’est présentée, mais il fallait que je m’entoure d’une personne de confiance pour me lancer dans cette aventure. Je connaissais Alexandre Arnal et son travail depuis longtemps, et je savais qu’on partageait la même vision d’une cuisine généreuse et conviviale. » conclut celle qui a grandit entre la salle et la cuisine du bistrot parisien de ses parents.

Mais, comme on aura pu le deviner, faire un clin d’oeil à la tradition familiale ou tout simplement à la cuisine de son enfance n’est pas vraiment ce qui pousse les créateurs de luxe à se mettre aux fourneaux.

Manger plus pour dépenser plus

Créer l’événement et donner ainsi à ses clients une nouvelle (bonne) raison de se rendre en boutique : telle est la raison d’exister de ces restaurants d’inflexion modeuse, à l’heure où le shopping en ligne tente de conquérir toutes les parts de marché. C’est du moins ce qu’explique l’analyste Lorna Hall, responsable au sein du bureau de tendances américain WGSN. “Les boutiques ont besoin de créer autre chose qu’un simple produit.” précise-t-elle au site Business of Fashion. “Ils doivent créer un lieu, une destination où ils peuvent garder leur clientèle auprès d’eux, augmenter le temps durant lequel ils restent sur place.”

Des expériences singulières en somme, désirables et engageantes, qui permettent d’attirer subtilement de nouveaux clients, de fidéliser sa communauté existante et de l’inciter indirectement à consommer, encore et toujours, dopant par la même occasion les ventes et chiffres d’affaires de la marque concernée. “Si (le restaurant ou le café) s’inscrit harmonieusement dans le discours de marque, cela va contribuer à la consolider et renforcer sa relation avec le client.” explique Joseph Pine, co-auteur de The Experience Economy. “Ils associeront ainsi des sensations agréables, des bons moments qu’ils ont pu ici avoir à leur propre perception de la marque et de ses produits.” Certes, mais pourquoi le faire avec de la nourriture et non pas, un bar à ongles, un fleuriste ou une salle de cinéma ? 

Food-victims

Selon Cécile Poignant, analyste de tendances indépendante, mode et cuisine sont intimement liés, du moins ces derniers temps. “Ce que vous portez et ce que vous mangez dit beaucoup de ce que vous êtes.” explique-t-elle au F&B Report, une revue dédiée à l’innovation gastronomique. “Les deux domaines sont gouvernés par les tendances. Ils racontent tous les deux une histoire, mettent en valeur passion et travail, et renvoient également à la relation qu’il peut exister entre un client et un artisan, un savoir-faire.”

Alors que les restaurants à la mode soignent presque (plus) leur déco que leur assiette et qu’Instagram est devenue le nouveau guide Michelin, le simple fait de manger ou de boire un café s’est mué en revendication d’appartenance à une prétendue élite du cool, dans laquelle se mêlent injonctions socioculturelles et quête d’une validation égotique.

“Montre moi où tu dînes, je te dirai que tu es” semble marteler le monde moderne, nous rendant capable parfois de faire 2 heures de queue pour se restaurer ou de payer un smic horaire pour boire un café latte. “La gastronomie est à la mode” poursuit Lorna Hall, qui souligne également la dimension humaine sur laquelle tablent ces nouveaux temples du cool qui sont avant tout des lieux de rencontres. “Si aujourd’hui vous n’avez effectivement pas besoin de sortir pour acheter un produit, parce que vous pouvez le faire en ligne, vous ne pouvez pas voir un ami de cette façon. C’est pour ça que la cuisine est devenue essentielle au retail”.

N’en déplaise aux prophètes du e-commerce, une virée shopping en boutiques tout comme un déjeuner entre copines font en effet partie de ces savoureux moments que l’on peut difficilement reproduire en ligne. Alors, inévitablement, quand ces deux instants précieux sont possiblement réunis dans un seul et unique lieu, le succès se révèle immanquablement au rendez-vous. Ou quand le luxe se fait créateur de lien(s).

Découvrez nos adresses de cafés et restaurants mode dans le diaporama suivant.

Restaurant Beige par Chanel

Par Alain Ducasse
Ginza Chanel Building 10F
3-5-7 Ginza Chuo-Ku, Tokyo, Japon

Café V, par Yosuke Suga pour Louis Vuitton

au dernier étage de l’immeuble Louis Vuitton,
2-8-16 Shinsaibashisuji, Chuo-ku, Osaka, Japon

Citron, par Jacquemus x Caviar Kaspia,

au premier étage des Galeries Lafayette Champs-Elysées
60 Av. des Champs-Élysées, 75008 Paris 

Il Ristorante par Bulgari

dans le quartier de Ginza, Tokyo, Japon
2 Chome-7-12 Ginza, Chuo City

Pasticceria Marchesi 1824 par Prada

dans la Galleria Vittoria Emmanuele
à l’étage de la boutique Prada, Milan, Italie.

Thomas’s, dans la boutique Burberry

Regent Street, dans le quartier de Mayfair
5 Vigo Street, Londres, Royaume-Uni.

The Polo Bar par Ralph Lauren

sur la 5e Avenue 
1 E 55th St, New York, NY 10022, États-Unis

Le Pain Grillé, par Agnès b.

plusieurs adresses à Hong-Kong et Taiwan, Chine.

Chez Jeanne

au sein du concept store Rouje
11 bis Rue Bachaumont, 75002 Paris

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