Imprimé liberty, tons neutres, vintage, grand luxe… Si le masque s’impose à tous, le fait de revendiquer sa stylisation prend aussi de l’ampleur. Une tendance qui vise à donner une parole à l’objet et à dédramatiser son port.
«J’ai voulu redonner aux gens l’envie de s’habiller, tout en les protégeant.» Caroline Bayle, fondatrice de Baylandi, a trouvé la parade avec des masques foulard doublés en soie et fabriqués à partir de chuttes de tissus couture venant de grandes maisons de luxe. L’approche a d’abord été personnelle, l’idée lui est venue pendant qu’elle était confinée à Paris. Depuis, l’affaire s’est structurée jusqu’à devenir une marque, avec des dizaines de références proposées.
Il faut dire qu’il y a demande : le masque est partout. Dans la rue, au travail, dans les commerces et les transports en commun. Devenu incontournable après avoir été rendu obligatoire par le gouvernement pour lutter contre la pandémie, il s’impose dans l’espace public et sur toutes les bouches, sans distinction. Et semble bien appelé à y rester un moment. Pour se démarquer, le masque joue la déclinaison des formes, des couleurs, des motifs, se personnalise et devient un accessoire à part entière, au même titre qu’un sac ou une paire de solaires.
« Un compagnon sympa du quotidien »
Si bien que le masque est devenu un moyen de renvendiquer son style vestimentaire. «Je les choisis en fonction de ma garde-robe. Je vais aller dans des tons neutres qui s’accordent facilement avec tout, comme le noir ou le pastel», explique Louis, community manager, qui a testé des modèles chez Asos et So iLL, le label mode de l’acteur Jason Momoa. Même scénario pour Étienne, journaliste, qui privilégie des masques en tissu noir ou blanc «pour être sûr qu’ils s’accordent avec un style vestimentaire composé de pièces unies.» Quant à Julie, cheffe d’édition dans un média numérique, elle personnalise ses masques avec des borderies en dentelles ou des colorations végétales. Toutes les expérimentations sont bonnes pour en faire «un compagnon sympa du quotidien, comme on choisirait un sac.»
Leur point commun à tous ? Voir le masque comme un accessoire qui vient complimenter un style. «Quand les gens te voient avec un modèle personnalisé, il se disent que tu es pointilleux, que tu fais attention aux détails», explique Louis. «Cela ne veut pas juste dire que tu te protèges, mais aussi que tu peux être stylé avec.» Pour Julie, c’est aussi une manière d’en promouvoir le port. «Quand on voit un joli masque dans la rue, il y a des échanges de regards. Je pense que cela peut inspirer les autres et contribuer à rendre son port plus fun.»
Les modèles travaillés peuvent aussi compenser les expressions cachées de la bouche. Le masque est «un élément essentiel dans la communication avec autrui», précise Dominique Picard, psychosociologue et auteure du livre Relations et communications internpersonnelles. Elle en tire deux conséquences : la modification du système de la rencontre (perte du sourire, de la parole et des mimiques faciales), et la compensation par des gestes de sociabilités amplifiés qui peuvent ne pas sembler naturels ou sincères. La dimension esthétique de l’objet peut ainsi pallier les expressions du visages. Étant désormais l’un des premières détails que l’on voit quand on rencontre quelqu’un, le modèle choisi peut permettre de s’éloigner de l’objet chirurgical, à connotation clinique, voire anxiogène.
En vidéo, comment bien laver son masque en tissu
« Dédramatiser »
Pour Julie, porter des modèles à motifs ou personnalisés avec de la broderie est un moyen ludique de se rassurer et de voir la crise sanitaire sous un autre prisme. «Choisir sa tenue ou son masque, c’est être créatif. On lui retire toute dimension médicale». Et Louis d’ajouter : «Cela permet de relativiser la situation, de mieux vivre la pandémie et tout simplement d’en prendre le contrôle».
Ce besoin de «dédramatiser le masque» prend aussi ses racines dans l’Histoire, analyse Dominique Picard. «Dans l’imaginaire traditionnel, il est associé aux bandits qui se cachent le visage, à la notion de braver l’interdit pendant le carnaval, ou encore au danger. On ne se débarasse pas si facilement d’un imaginaire qui dure depuis des siècles». Il s’agirait alors d’une tentative pour prendre le contrôle sur une situation qui nous échappe. «L’accessoire de mode va désacraliser la chose», avance Louis. «Je ne vis pas super bien cette période alors oublier un instant le fait que dans ce monde-là tu peux tomber malade, c’est plus facile à vivre.»
Sens caché
D’abord timides sur ce terrain, les grandes marques se sont finalement lancées dans la vente des masques. Burberry fabrique les siens à partir de chutes de tissus à motif tartan, vendu 100 euros la pièce, tandis qu’Adidas signe un modèle noire siglé à son logo disponible pour une quinzaine d’euros. Un choix commercial sans doute motivé par la demande : l’objet mode le plus recherché sur le web depuis le début de l’année étant un masque signé Off-White vendu pour 105 dollars (environ 88 euros), en rupture de stock sur le site de la griffe italienne.
La dimension mode rend le masque moins éphémère, plus ludique, sans pour autant lui ôter sa fonction première de protection. Et l’objet devient un élément de langage avec des sens cachés. Les personnalités publiques l’ont bien compris. En mai 2020, à la sortie du confinement, Emmanuel Macron visite une école muni d’un masque bleu marine – couleur associée à la fonction de chef de l’État – au liseré bleu-blanc-rouge qui revendique sa fabrication française. Au plus fort de la crise, les entreprises françaises fabriquaient plus de 5 millions de masques réutilisables par jour via la filière française de masques en tissu dont le gouvernement avait annoncé la création, au début de l’épidémie de Covid. Un bon moyen de la promouvoir. De l’autre côté de la Manche, c’est Kate Middleton qui fait tomber les clics avec son masque en tissu Liberty. L’influence est telle que vingt-quatre heures après la première apparition publique de la duchesse de Cambridge la bouche masquée de fleurs, les recherches pour son masque ont augmenté de 185 % sur le web.
À la soirée des MTV VMA 2020, Lady Gaga porte une robe de Christopher John Rogers, avec un masque à défenses conçu par Lance V Moore. New York, le 30 août 2020.
Côté paillettes, Lady Gaga en a fait tout un défilé, le 30 août dernier, lors de la cérémonie des MTV Video Music Awards. Elle a porté sept masques, chacun accordé à ses tenues de scène, et a profité de l’occasion pour souffler un message aux anti-masques, déclarant que son port était nécessaire pour se protéger, comme pour prendre soin des autres. Ou comment l’accessoire esthétique a pris un trait revendicatif.
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