- L’escarpin, l’accessoire de la femme fatale
- L’ère du flatgate, la fin de l’escarpin ?
C’est ce qu’on pourrait appeler le talon de la discorde. Point levé rassembleur et jambes croisées, Assa Traoré pose sur les comptes Facebook et Twitter de La vérité pour Adama chaussée d’une paire de Louboutin bleu marine doublée d’un t-shirt assorti, signé également de l’emblématique maison d’escarpins.
On y devine l’inscription Walk A Miles in My Shoes, du nom de la nouvelle campagne et collection capsule lancées par la marque en soutien au mouvement Black Lives Matter.
Impulsée en collaboration avec Idris et Sabrina Elba, cette initiative 100% caritative vise à soutenir 5 associations engagées dans la lutte contre les discriminations et inégalités sociales.
Logique donc, que la militante anti-raciste Assa Traoré ait été choisie parmi 200 autres personnalités pour en être l’ambassadrice, d’autant plus que ce lancement millimétré intervient cinq ans, jour pour jour, après la mort de son frère Adama Traoré.
Un engagement militant sur fond d’empowerment féminin, que n’ont visiblement pas supporté une poignée de détracteurs aux relents classistes, ces derniers ne comprenant visiblement pas qu’une lutte sociale puisse se mener du haut de 10 centimètres de talons. Dommage pour eux.
L’escarpin, l’accessoire de la femme fatale
Car c’est dans l’ADN même de l’escarpin, y compris le plus aiguisé comme celui historiquement imaginé par le français Christian Louboutin, d’accompagner les femmes dans leur conquête de pouvoir, de droits et de libertés.
De Catherine de Médicis – considérée comme l’initiatrice de la tendance en France avec ses escarpins florentins portés en 1533 lors de son mariage avec le Duc d’Orléans – à Rachida Dati largement moquée pour apparaître perchée sur des talons de 12 cm après son accouchement, les escarpins n’ont cessé d’être les souliers de prédilection des femmes aux grandes ambitions.
D’ailleurs une étude révélée par le site The Fast Company avance que plus une femme gagne de l’argent, plus elle est à même de porter des talons : alors que 60% des femmes qui gagnent moins de 40,000$ affirment ne jamais porter d’escarpins sur leur lieu de travail, 21% de celles qui gagnent plus 150,000$ en portent absolument tous les jours.
C’est le talon de la working girl en tailleur, celui de la femme héteronormée façon Carrie Bradshaw qui veut et peut tout avoir : la carrière, le partenaire, les enfants, les copines…. et le chic sexy.
Car c’est de là que semble tirer sa force l’escarpin contemporain, celui popularisé par Roger Vivier et Salvatore Ferragamo dans l’après-guerre : une sulfureuse tige en métal qui, en remplaçant les archaïques plateformes en bois, a le don de supporter tout le poids du corps tout en lui donnant une démarche chaloupée et une silhouette sculptée muées en armes de séduction massive.
« Cela positionne le pied sur une cambrure extrême qui n’est pas naturelle, rebascule les équilibres, tend les jambes, cambre les reins. Le corps est mis en tension, érotisé. » confiait le créateur de chaussures Pierre Hardy sur le site de l’Express, l’article rappelant également que le sexologue Alfred Kinsey comparait allègrement cette posture verticale à celle associée à l’excitation sexuelle féminine.
J’essaie de ne jamais oublier que les chaussures doivent aussi plaire aux hommes. – Christian Louboutin
On pense alors à Jane Mansfield et ses 200 paires de stilettos, Marilyn Monroe qui a donné à toutes les femmes d’en porter dans Certains l’aiment chaud ou Brigitte Bardot qui en use et abuse face à Jean Gabin dans En cas de malheur.
Dans les années 80 et 90, les escarpins prennent encore de la hauteur et s’entichent de l’imagerie fétichiste, prédominante dans une industrie du luxe tenue par des Thierry Mugler, des Claude Montana ou encore, plus tard, des Tom Ford qui distillent sur les podiums leur vision fantasmée d’une femme à la sexualité exacerbée et à l’autonomie financière assumée.
En bref, sex is power, et les escarpins ses plus fidèles vassaux, qu’une armée de chausseurs comme Jimmy Choo et Manolo Blahnik s’appliquera d’ailleurs à élever au rang d’ultime graal stylistique, normalisant la douleur et autres préjudices corporelles qu’ils font endurer au nom d’une sacro-sainte désirabilité.
Le même Christian Louboutin n’hésitera d’ailleurs pas à confier qu’il dessine ses modèles aussi bien pour les hommes que pour les femmes. « J’essaie de ne jamais oublier que les chaussures doivent aussi plaire aux hommes, je ne vois pas ce qui a de mal à ça. » avait-il confié au British Vogue.
L’ère du flatgate, la fin de l’escarpin ?
Pourtant, certains y voient un sérieux problème, et plus précisément. à travers les talons, un outil de domination du patriarcat.
Pour les féministes, les escarpins comme beaucoup d’attributs vestimentaires réputés féminins contribueraient activement à l’asservissement des femmes, que ce soit au mâle gaze ou au sein de la société dans son ensemble.
« On ne cherche pas à servir ses projets mais au contraire à les entraver. La jupe est moins commode que le pantalon, les souliers à hauts talons gênent la démarche. » écrit alors Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. « Les hauts talons étaient destinés moins à accentuer la cambrure du corps féminin qu’à en augmenter l’impotence. » ajoute-t-elle.
Vingt ans plus tard, la révolution des mœurs se fera alors en bottines plates, ballerines et mary-janes, de la même manière que les garçonnes et suffragettes des années 20 avaient opté pour les petits talons des salomés, bien plus pratiques pour battre le pavé.
D’ailleurs les femmes ne sont pas les seules à rejeter les escarpins dans des contextes de revendications d’égalité. Alors que les talons seront légion aux pieds du Roi Soleil et des hommes de la Cour durant l’Ancien Régime, la bourgeoise n’hésitera pas à les décapiter purement et simplement à la Révolution française, souhaitant se débarrasser de tout signe ostentatoire rappelant le temps des privilèges.
De retour à la 2nde moitié du 20e siècle, c’est ce même souci d’égalité qui anime les pourfendeurs de l’escarpin, quand ce n’est pas tout simplement par souci de praticité ou simple overdose d’un porno chic devenue la caricature d’elle-même.
Les hauts talons étaient destinés moins à accentuer la cambrure du corps féminin qu’à en augmenter l’impotence. – Simone de Beauvoir
À l’aune du nouveau millénaire, les créatrices de mode en vue telles que Phoebe Philo et Stella McCartney s’affichent en tennis tandis que la tornade sneakers met la mode au pas, reléguant l’escarpin au rang d’apparat obsolète et désuet. Exit la féminité galvaudée, place au gender-fluid et l’androgynie sublimée.
Sur les tapis rouges, le stiletto se fait plus rare et se fait même boudée sur le tapis rouge du très exigeant Festival de Cannes, certaines actrices retirant les souliers requis pour monter les fameuses marches rouge carmin. Même Barbie, ambassadrice historique du talon haut tortueux, s’affiche à la fin de la décennie dernière dans une paire de ballerines au plat déconcertant.
Côté podiums, les escarpins tentent alors un reboot à renforts de micro-talons, avec des best-sellers qui se muent en iconiques de la maison, du revival de la slingback bicolore de Chanel au modèle J’adior de Dior. Le talon perd de la hauteur, prend parfois de la largeur et devient moins un gage de démarche chaloupée que de stabilité et de silhouette proportionnée.
Ni vertigineux, ni complètement plats, en proie à des jeux de formes, de couleurs et de design, ces souliers adaptés au quotidien de la femme moderne s’extirpent de leurs ascendance sexiste et sexué pour mieux répondre aux velléités anti-diktat d’une génération en quête de singularité stylistique.
Une génération qui, finalement, en termes de mode comme pour le reste, ne demande qu’une seule chose : qu’on la laisse bien dans (toutes) ses pompes.
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