Comment reconnaître les siens dans un océan de normativité ? Comment trouver l’amour (ou autre chose) sans pouvoir assumer au grand jour qui l’on est ?

Bien avant que les marques de prêt-à-porter ne se mettent à produire des « collections pride » avec plus ou moins de succès, et surtout bien avant que leur existence et leurs relations ne soient progressivement décriminalisées, les personnes LGBTQ+ se servaient déjà de la mode comme un outil d’émancipation esthétique et de reconnaissance intracommunautaire.

Tour d’horizon non-exhaustif de codes (pas toujours) secrets qui sont peut-être des détails pour vous, mais qui bien souvent, veulent dire beaucoup.

La fleur verte

Le 13 septembre dernier à New York, Elliott Page assistait au Met Gala. Si la grand-messe annuelle du monde de la mode fait en général appel à l’extravagance de ses invités, l’acteur transgenre choisissait lui de faire dans la simplicité, à un détail près : la rose verte boutonnée au revers de son costume noir.

Le choix vous paraît anecdotique ? Il ne l’est pas du tout : cette fleur est en fait un clin d’œil queer à l’œillet vert porté par Oscar Wilde dans les années 1890s et ensuite devenu, dans le Londres de la fin du 19ème siècle, un symbole de reconnaissance discrète entre ceux qui comme lui étaient homosexuels.

D’après Andrew Lear, historien et fondateur d’Oscar Wilde Tours, une agence de voyages spécialisée dans l’histoire LGBT, c’est en 1892 que le mouvement prend de l’ampleur : « le soir de la première de sa pièce, L’Éventail de Lady Windermere, Wilde décide de faire porter un œillet vert à un des acteurs, et demande à une dizaine de ses proches de faire de même. Rapidement, la fleur devient l’emblème de Wilde et de son groupe ».

Et par extension, de leur sexualité.

La cravate rouge

Aujourd’hui librement adoptée par des hommes de tous bords (politiques ou autres), la cravate rouge était à New York, au début du 20ème siècle et jusque dans les années 1930, un signe de reconnaissance entre homosexuels.

Comme l’explique l’historien George Chauncey dans son ouvrage Gay New York: Gender, Urban Culture, and the Making of the Gay Male World, 1890-1940 (Basic Books, 1994), : « c’était un signal subtil susceptible d’être compris dans certains contextes plus que dans d’autres. Un homme portant une cravate rouge dans une rue connue pour le cruising (rencontres homosexuelles anonymes prenant place dans des lieux publics, ndlr) comme Riverside Drive ou Fourteenth Street avait des chances de se voir qualifié de fairy. Mais un homme portant la même cravate dans un cadre social où les gens étaient moins attentifs à de tels signes pourrait être simplement considéré comme étrange. À une époque où les choix de couleurs étaient plutôt conservateurs, ce genre de choix peu conventionnel annonçait des goûts peu orthodoxes d’un autre genre, mais seulement auprès des connaisseurs ».

Le trousseau de clefs

Encore à l’oeuvre à ce jour (et sensiblement plus connu que les exemples précédents), le cliché selon lesquelles les femmes lesbiennes seraient reconnaissables au trousseau de clés ou au mousqueton invariablement accroché aux passants de leur pantalon est, d’après la journaliste américaine Christina Cauterucci, « l’un des symboles vestimentaires les plus persistants de la culture lesbienne, et l’un des rares stéréotypes à notre propos qui est à la fois inoffensif et avéré ».

Dans un article pour Slate, elle expliquait en 2016 que la pratique remonterait à l’époque à laquelle des lesbiennes butch (à l’apparence alignées sur les codes esthétiques masculins, ndlr) étaient orientées vers « des emplois de cols bleus », parce qu’elles ne correspondaient pas aux stéréotypes de genre associées aux rares professions alors accessibles aux femmes (hôtesse, serveuse, secrétaire, etc).

Elle ajoute : « Libérées de la rigueur des codes vestimentaires, ces femmes travaillaient en tant que gardiennes, postières ou mécaniciennes, et avaient besoin de clés facilement accessibles. »

Le foulard, un code couleur queer

Noir, il indique un intérêt pour les pratiques sado-masochistes. Bleu ciel, pour le sexe oral. Gris, pour le bondage.

Porté dans la poche arrière gauche ou droite du jean, il précise si l’on souhaite être donneur ou receveur. Apparu dans les années 1970, la paternité exacte du code foulard (handkerchief ou hanky code dans sa version originale) est à ce jour encore disputée : pour certains, il aurait été inventé en 1972 par le Britannique Alan Selby, propriétaire d’une boutique spécialisée dans la vente d’articles en cuir, alors en quête d’un moyen d’écouler une trop grande quantité de foulards envoyée par erreur par un de ses fournisseurs.

Pour d’autres, ce système serait plutôt dû à un journaliste du magazine new-yorkais Village Voice, qui aurait suggéré que les hommes homosexuels développent un système d’identification discrète et non-verbale des préférences sexuelles plus complet que celui en vigueur jusqu’alors (et qu’il partageait d’ailleurs avec les lesbiennes) : accrocher ses clés aux passants de sa ceinture, à droite pour les actifs, et à gauche pour les passifs.

La violette

Jonction symbolique du féminin et du masculin, le violet a souvent été associée à l’homosexualité.

Dans les années 1970, des féministes américaines vont d’ailleurs jusqu’à qualifier de « Menace Mauve » l’appartenance de femmes lesbiennes à leur mouvement.

Mais pour comprendre les origines de l’association spécifique entre la fleur de violette et l’homosexualité féminine, qui subsiste aujourd’hui sous la forme de pins ou de tote bags, il faut s’intéresser à l’oeuvre de la poétesse antique Sappho.

Originaire de l’île grecque de Lesbos (d’où dérive le mot « lesbien »), ses textes sont en effet pétris de références homoérotiques dans laquelle la fleur a toute son importance.

Des siècles plus tard, en 1926, Édouard Bourdet mettait en scène dans sa pièce La Prisonnière un couple de femmes dont une offrait à l’autre un bouquet de violettes.

Accusée d’obscénité, la pièce fut interdite à Broadway et causa une chute vertigineuse de la vente de violettes chez les fleuristes américains, tandis que lors des représentations parisiennes, certaines femmes décidèrent d’en accrocher au revers de leurs vêtements en marque de soutien.

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