Contrairement aux idées reçues, le cropped-top -ou crop-top- n’a ni été inventé par les Spice Girls ni par une industrie de la fast-fashion en mal de rentabilité. Pour comprendre les origines de ce vêtement ô combien controversé, il faut quitter le monde occidental contemporain et se tourner vers l’héritage stylistique des contrées orientales.

Appelé « choli » lorsqu’il désigne le top court porté sous le traditionnel sari indien, il est aussi présent sous d’autres appellations dans la plupart des pays asiatiques mais aussi du Moyen-Orient.

C’est d’ailleurs Badia Masabni, une danseuse et propriétaire de cabaret égyptienne qui à la fin des années 1880 s’appropriera le bedlah, un costume traditionnel composé de deux pièces laissant entrevoir généreusement le nombril de celle qui le porte.

En 1893, des danseuses du ventre donneront ainsi une représentation lors de l’Exposition Universelle de Chicago, introduisant le bedlah au monde occidental et plus généralement le concept même de crop top.

En France, au début des années 30, l’illustre créatrice Madeleine Vionnet tente elle aussi vainement de dévêtir les Françaises avec une robe de soirée laissant le ventre apparent, sans que cela n’émeuve ni séduise les amateurs de mode d’antan.

Ignoré, ou comme outre-atlantique, considéré comme trop « exotique » voire impudique, le crop-top ne rencontre alors pas de grand succès… avant d’être adopté de nouveau, presque, pour les mêmes raisons.

Le mini-top du tout Hollywood

Et pour cause, après des premiers balbutiements dans un monde d’après-guerre rationné en textile, c’est le triomphe de la pin-up et de tous les fantasmes dont elle fait l’objet qui viennent démocratiser le top-cropped.

Arboré alors sous la forme d’un chemisier noué au dessus du nombril et jouxté d’un short, d’une jupe ou d’un blue jean, il est adoubé par une jeunesse en mal d’émancipation, bercée par les rythmes du rock’n’roll et les images glamour d’un Hollywood en plein âge d’or.

C’est l’image d’Epinal de Marylin Monroe, de Betty Page ou encore de Brigitte Bardot, qui est aussi doublée aux Etats-Unis de celle de la vahiné dont l’accoutrement traditionnel, fait d’une jupe et d’un haut court, est alors largement sexualisé.

« Hollywood a produit des centaines de films « tropicaux », couramment promus aux côtés d’images de femmes portant des jupes révélatrices, des sarongs très fins, et seins nus. » écrit Matthew B. Locey, auteur de « Regard blanc sur peau marron : la sexualisation des polynésiens dans les films américains. »

Résultat ? Fétichisé, le petit bout de tissu n’est pas forcément plébiscitée par l’intégralité de l’Amérique puritaine (et ségrationniste) de l’époque, la police allant même jusqu’a verbaliser une jeune femme en cropped-top et short dans le New York de l’été 1945.

Rien y fait : le ventre comme la poitrine sont alors considérés comme des parties du corps qui doivent rester cachés, maintenus à l’abri des regards indiscrets.

Le gimmick de la pop culture

C’est finalement la libération des moeurs et l’émancipation féminine des années 60-70 qui viendra faire du crop-top une tendance à part entière, qu’il soit porté à grands renforts de franges et de dentelle façon hippie ou agrémenté de sequins et de paillettes sur fond de culture disco.

On pense à des icônes de mode comme Cher ou Jane Birkin qui n’ont pas manqué, par leur style légendaire, de démocratiser le t-shirt noué sous la poitrine ou le top de soirée, moulant, lamé, parfois asymétrique ne couvrant que la poitrine.

Les années 80 font du crop-top une pièce du vestiaire du quotidien, que ce soit à travers des films comme Flashdance qui fera porter, aux hommes comme aux femmes, des sweatshirts allègrement raccourcis, ou les clips de Madonna qui côtoient alors les sommets du hit parade avec ses top résilles et ses t-shirts loose portés au dessus du nombril.

Mi-athleisure, mi-glamour, il se fait rapidement le symbole d’une pop culture globalisée qui fait fit des conventions et revendique, par le vêtement, une certaine forme de rébellion.

Génération girl power

Lissé par le girl power des années 90, avec notamment les All Saints et les Spice Girls, le crop-top s’invite peu à peu dans la mode de son temps, normalisé par les maisons de luxe comme les enseignes de prêt-à-porter.

On le retrouve dès 1998 dans le vestiaire des 4 héroïnes de Sex & The City avant qu’il investisse celui des célébrités et celui du tapis rouge, de Salma Hayek à Keira Knightley en passant par Jennifer Aniston ou Lucy Liu.

Un uniforme de lolita urbaine

Sur MTV, Britney Spears, Rihanna, J-Lo, Aaliyah ou encore les Destiny’s Child et TLC s’affichent en crop top contre vents et marées, jouxtées généralement d’un jean extrêmement taille basse et d’un piercing au nombril scintillant.

Un uniforme de lolita urbaine qui s’invite dans les cours de récré, au grand dam de parents d’élèves qui ne voient pas forcément ce dévoilement de peau d’un si bon œil, le jugeant vulgaire voire indécent.

Un outil d’affirmation de soi

Et c’est là que le bât blesse, encore récemment, alors que le crop top fait son grand retour après quelques années de traversée du désert. Revival Y2K oblige, le top emblématique des millenials se voit revu et corrigée par une « Gen-Z » biberonné à TikTok et autres réseaux sociaux qui ont le don de remettre au goût du jour des tendances que les moins de 20 ans n’ont pas pu (encore) connaître.

Désormais à portée de smartphone « grâce » à Shein et plus généralement les enseignes d’ultra fast-fashion, le micro-tee shirt inonde les établissements scolaires, suscitant le courroux de certains membres de l’Éducation nationale qui dénoncent des tenues « indécentes » et peu « républicaines. »

« Nous pouvons porter ce qu’on veut. On va leur prouver. »

Mais 5 ans après MeToo, ce genre de contrôle social sur la manière dont une jeune femme doit ou non se vêtir ne passe tout simplement plus, les adolescentes – plus engagées et informées que leurs prédecesseuses – dénonçant d’emblée le sexisme de telles injonctions vestimentaires. Une volonté d’affirmer et revendiquer leur corps haut et fort, telle qu’il est, sans qu’il soit soumis à des projections sexualisées.

« Nous pouvons porter ce qu’on veut. On va leur prouver. » clame l’appel du 14 septembre lancé par un collectif de lycéens sur les réseaux sociaux à la rentrée 2020. Il semble que les dernières tendances leur aient donné raison.

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