Collections. – Mercredi, inaugurant la Fashion Week de Milan, Alessandro Michele mettait en scène les «artisans» derrière un défilé, pour un hiver sombre mais puissant. Tout en questionnant les rituels de la mode et son rapport au métier.

De notre envoyée spéciale à Milan. Il est de coutume de parler du show Gucci comme de la grand-messe d’ouverture de la Fashion Week italienne. Alessandro Michele a pris l’analogie au mot. Sa collection, qu’il baptise «An Unrepeatable Ritual», se veut une allégorie de la religion, dont le défilé est son rituel le plus sacré, «un acte liturgique qui interrompt l’ordinaire en le surchargeant d’intensité», écrit le designer dans la note d’intention. On peut effectivement voir dans cet immense espace au sein du QG de la société, près de l’aéroport Linate, le temple où la foule de disciples se rend, saison après saison, pour écouter le message du prédicateur. Cet hiver 2020-2021 relève de la cérémonie œcuménique puisque Michele place, sur le devant de la scène, tous les artisans de ce moment, ceux qui d’habitude restent en coulisses.

En vidéo, les meilleurs moments du défilé Gucci automne-hiver 2020-2021

Ainsi, à leur arrivée, les invités traversent avec étonnement le backstage où s’activent les maquilleurs et les coiffeurs sur les mannequins encore en peignoir. On redoute déjà le retard… Pourtant, quelques minutes plus tard, les rideaux d’un podium circulaire en mouvement tombent brusquement, révélant un manège d’habilleurs et de modèles s’affairant entre les portants. Au fur et à mesure que les jeunes gens sont vêtus, ils s’avancent jusqu’à la vitre qui les sépare du public. «La vitre parle de ce qui se passe derrière, c’est de l’autre côté du miroir, explique le designer lors de la désormais traditionnelle conférence de presse post-défilé. Qui se trouve de chacun des côtés ? Vous assistez à un show, nous sommes ce show.»

Histoire de désamorcer toute controverse sur les réseaux sociaux et d’éviter des dommages collatéraux, précisons qu’il n’y a, là, aucune impudeur, aucune nudité à la vue de tous. Le moment ressemble davantage à un rituel aux gestes précis, une chorégraphie entre celui qui aide à revêtir et celui qui revêt, évoquant aussi l’habillement précédant l’office religieux. Mais à la différence du vêtement liturgique, qui doit s’effacer dans le mystère qu’il célèbre, le vêtement profane, dans la mode, doit exprimer la personnalité de l’homme ou de la femme qui s’en empare. Chez Gucci, il est plus ambivalent, puisque dans le cadre du défilé, il fait littéralement le personnage. C’est l’autre parabole proposée par Michele, le cinéma, comme en témoigne la voix de Federico Fellini qui ouvre et clôt le show : « C’était simplement ça, le cinéma, une suggestion hypnotique, ritualiste, de l’ordre du religieux. On sortait, on garait la voiture quelque part, puis on faisait la queue pour tous les processus rituels : le billet, l’ouvreuse, le lever de rideau, regarder le public dans la pénombre, y reconnaître des amis. La lumière qui se tamise, le grand écran qui s’allume et la révélation qui commence. Le message. Un rituel très ancien, identique à ce qu’il a toujours été, qui a changé de formes et de supports, mais qui n’a jamais changé : vous êtes là pour écouter. »

Tous les détails du défilé Gucci automne-hiver 2020-2021

Au-delà de la conjoncture et sur un terrain plus personnel, le directeur artistique paraît chercher une forme de sérénité. Peu après ses débuts fulgurants, il avait déjà anticipé la demande des médias (et, dans une moindre mesure, du public) de se renouveler. Mais s’il justifiait son refus de cette course à la nouveauté, il s’interrogeait sur la pérennité d’un créateur. Ce manège, cette musique (« Le Boléro de Ravel comme une marche qui se poursuit indéfiniment », dit-il encore) traduit la cadence effrénée et qu’on ne peut plus arrêter des saisons et des défilés. Que faire ? « La mode vous piège. Nous sommes tous piégés. Nous tous – coiffeurs, make-up artists, tous ceux qui travaillent ensemble fiévreusement, – nous disons qu’un jour nous finirons par arrêter ce métier. Mais j’ai 48 ans et je ne veux toujours pas le quitter. »

Tous les défilés automne-hiver 2020-2021 de la Fashion Week de Milan »

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