Défilés annulés, boutiques fermées, usines à l’arrêt… La crise sanitaire est venue chambouler toute une industrie. Et en sous-main questionner son fonctionnement. À commencer par la cadence soutenue du calendrier des Fashion Week, de plus en plus critiquée.

Les prochaines semaines de la mode n’auront pas lieu. C’est fin mars que le couperet est tombé pour les quatre grandes capitales de la mode (New-York, Londres, Milan et Paris). Les prochaines éditions des défilés homme et haute couture, respectivement prévues en juin et juillet 2020, n’auront pas lieu en raison du Covid-19.

Une annonce sans surprise pour le secteur de la mode qui est touché de plein fouet depuis le début de l’épidémie avec la fermeture des boutiques, l’arrêt de la production textile et l’annulation des événements. Prise de court, l’industrie doit s’adapter à cette situation inédite. Et pour beaucoup, c’est l’occasion de revoir la mécanique bien huilée du calendrier incitant à une mode très rapide et jugée peu éthique. Un défi de taille qui pose inévitablement la question de la pertinence des Fashion Week.

En vidéo, la mode se mobilise contre l’épidémie

Un modèle traditionnel obsolète ?

Il faut dire qu’elle est la Grand messe de la mode. La Fashion Week se tient plusieurs fois par an pour présenter le prêt-à-porter féminin, homme et la haute couture, et rassemble des centaines de professionnels du secteur parcourant des milliers de kilomètres chaque saison pour découvrir les prochaines collections lors de défilés dont la durée n’excède généralement pas plus de quinze minutes. Des événements majeurs pour l’industrie de la mode qui ne sont pas sans conséquence sur l’environnement. En raison des déplacements en avion, en taxi, ou encore des décors éphémères, le bilan carbone est catastrophique. Mais ces règles, la mode commence à s’en défaire.

La maison Saint Laurent vient d’annoncer son retrait du calendrier officiel de la Fashion Week. Par la voix de son directeur artistique, Anthony Vaccarello, la griffe entend définir un rythme qui est le sien, à l’instar de Vetements, Alexander Wang, ou encore Tom Ford qui ont déjà tracé le sillage en défilant en dehors des Fashion Week. Au début du confinement français, c’est Jean Touitou, le fondateur de la marque A.P.C. qui expliquait dans les colonnes du Business of Fashion ne plus vouloir «appartenir au cirque». Il souligne le rythme effréné des collections imposé par le calendrier et la logique mercantile qui anime le milieu. Des mots qui rappellent ceux de Raf Simons et Alber Elbaz quand la parole de ces créateurs s’est libérée suite à leur départ respectif des maisons Dior et Lanvin, en octobre et novembre 2015.

Cette remise en question touche aussi les institutions. En juillet 2019, le Conseil suédois de la mode a annulé la Fashion Week de Stockholm pour des raisons environnementales. Une première visant à marquer les esprits. Jennie Rosén, la présidente du Swedish Fashion Council à l’initiative de cette décision inédite entend continuer «le dialogue sur la manière d’imaginer une industrie plus éco-responsable et éthique». Pour elle, le système actuel des Fashion Week est obsolète. Et à l’heure du coronavirus, cette réflexion innitiée il y a quelques mois revient de plein fouet et tend à se généraliser.

Les plus beaux looks aperçus à la Fashion Week de Paris

Helena Bordon scintille dans sa veste à sequins oversize Attico devant le show Giambattista Valli. (Paris, le 2 mars 2020.)

Caroline Daur à la sortie du défilé Giambattista Valli dans un look féminin-masculin avec un une veste ouverte, un pantalon de costume et une paire de talons aiguilles. (Paris, le 2 mars 2020.)

Clara Berry repérée aux abords du défilé Victoria Tomas au Palais de Tokyo avec un bob démesuré et une chemise noire oversize. (Paris, le 25 février 2020.)

Leonie Hanne choisit de porter un ensemble veste et pantalon de costume beige et ses deux sacs Jacquemus autour du cou. (Paris, le 29 février 2020.)

Londres donne la priorité au digital

C’est pourquoi certaines Fashion Week ont d’ores et déjà annoncé des mesures inédites face à l’impossibilité d’organiser des événements physiques. À Londres, l’édition de juin habituellement dédiée aux collections homme se tiendra entièrement en ligne. Une grande première pour la capitale anglaise qui lancera sous peu une plateforme numérique où les marques pourront présenter leurs créations via le support de leur choix (court-métrage, podcast, lookbook, etc). Autre volet d’innovation : des défilés mixtes ou sans étiquette de genre. Une édition 100 % digitale et non-genrée qui devrait marquer un tournant inédit dans l’histoire de la Fashion Week.

Ce projet dématérialisé a pour but d’être soutenu par les réseaux sociaux qui jouent désormais un rôle clé dans l’industrie de la mode, notamment en période de Fashion Week. Et aussi, les plateformes de vidéos. Derek Blasberg, responsable des partenariats mode et beauté chez Youtube, a fait savoir qu’il accompagnerait les capitales de la mode dans leur révolution numérique. Sur le sujet, les villes de New-York, Milan et Paris ne se sont pas encore prononcées. Mais l’idée commence à faire son chemin. La Fédération française de la haute couture et de la mode indique réfléchir «activement sur la possibilité de projets alternatifs». Une annonce officielle devrait suivre dans les jours prochains.

Ces détails de la Fashion Week qui n’ont laissé personne indifférent

Le chignon bulbe du défilé Haider Ackermann automne-hiver 2020-2021. (Paris, le 29 février 2020.)

Les prothèses d’ongles du défilé Balenciaga automne-hiver 2020-2021. (Paris, le 1er mars 2020.)

L’effet demi masque pailleté du défilé Anaïs Jourden automne-hiver 2020-2021. (Paris, le 1er mars 2020.)

Le néo bob du défilé Anrealage automne-hiver 2020-2021. (Paris, le 25 février 2020.)

La Fashion Week, un hub créatif

Le calendrier de la mode serait-il sur le point de faire sa révolution ? Pour l’heure, le système ne semble pas avoir vocation à disparaître. «La Fashion Week est aussi un lieu d’échanges où l’industrie peut collectivement réfléchir à comment devenir durable, sans compter l’exposition qu’elle offre aux créateur et les emplois que l’événement garantit», indique Caroline Rush, présidente du British Fashion Council, dans une interview accordée au journal Le Monde en septembre 2019. Elle y décrit un hub créatif qui rassemble les professionnels du secteurs plusieurs fois par an et qui sert de catalyseur pour l’industrie. Designers, journalistes, acheteurs, célébrités, créateurs de contenus et autres prescripteurs de tendances font bouillonner la mode durant ces quelques semaines intensives de défilés.

Une Fashion Week digitale pose aussi des contraintes techniques, notamment sur la question du vêtement. Comment rendre compte du tombé d’une pièce, des matériaux utilisés ou encore du mouvement généré par l’habit ? La reproduction 3D est coûteuse et n’est pas encore à l’ordre du jour comme l’explique Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode, dans les colonnes du journal Le Monde en septembre 2019. Enfin, quid des retombés financières qui participent activement à nourrir les villes hôtes ? Chaque année, la Fashion Week rapporte plus de 1,2 milliard d’euros à la ville de Paris. Difficile de s’en passer…

Alors la ville planche sur une semaine de la mode plus responsable avec l’association Paris Good Fashion. Cette dernière rassemble les grandes institutions de la mode française (IFM, Fédération), la plateforme Eyes on Talents qui repère les étudiants de mode les plus prometteurs, la fondation Ellen MacArthur, la municipalité de Paris et une pléiade de professionnels du secteurs bénévoles. L’un des objectifs principaux : faire qu’en 2024, année des Jeux Olympiques de Paris, la Fashion Week devienne un événement éco-responsable qui utilise les énergies renouvelables. L’association a par exemple permis de bannir l’utilisation du plastique à usage unique lors de la Fashion Week de Paris, en mars 2020. «Les groupes de travail concernant ces nouvelles mesures continuent même pendant la crise sanitaire», indique la Fédération. Et d’ajouter : «Cette réflexion reste notre priorité.»

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