L’idée peu sembler saugrenue. Pourtant, elle est apparue de manière assez fortuite et évidente au duo de créatrices barcelonaises composé de Claire O’Keefe, artiste et Eugenia Oliva. La première, O’Keefe est tour à tour artiste, photographe ou encore styliste et dessine des costumes pour la danse ou le théâtre. La seconde, Oliva a travaillé pour ELIE SAAB et joue avec les mots étant à la fois copywriter et poète.
Repérée cette année lors du festival d’Hyères, leur marque Keef Palas leur a déjà permis de collaborer avec Pierre Banchereau, l’un des fleuristes favoris des créateurs de mode, qui tient la boutique de fleurs Debeaulieu à Paris. Un savoir-faire qu’on retrouve au sein de nombreuses cultures mais qui renvoie, sous leur égide, à une réflexion politique sur l’industrie de la mode, la société de consommation et notre rapport à la nature.
L’idée est née de votre rencontre ?
Non, deux ans plus tard. En 2016, je suis allée à un mariage sur l’île de Menorca (îles Baléares) et comme décoration de table, il y avait des branches d’oliviers. J’en ai pris deux et je suis allée voir Claire car j’avais envie d’en faire quelque chose et qu’elle est mon amie la plus manuelle. Je lui ai donc demandé de m’en faire une paire de boucle d’oreilles. Lorsque je les aie portées, les gens m’arrêtaient dans la rue. Tout cela se passe à Barcelone où les gens prêtent habituellement moins d’attention à la manière dont les autres s’habillent contrairement à Paris. Mais on me disait que les boucles étaient belles et, ce qui m’a plût, c’est que les gens ne demandaient pas forcément : « où est-ce que je peux acheter les mêmes ? ». Ils s’arrêtaient juste devant l’esthétique, l’originalité. On a donc lancé l’idée de faire des boucles d’oreilles à partir de plantes et fleurs locales. La seconde paire que nous avons crée était faite à partir d’immortelles, en références à Dali. En août de la même année, on a passé notre été à Majorque et on en a profité pour faire une petite vente à l’arrachée. On a tout vendu. Ça a commencé comme un projet assez naïf mais c’est peut-être ce qui a touché les gens.
Comment décririez-vous Keef Palas ?
Il s’agit de bijoux éphémères parce qu’ils suivent les lois de la nature et non du néo-libéralisme économique. C’est une manière d’aller à l’encontre du monde rapide qui mise tout sur l’économie et dont le seul objectif semble être de vendre des produits de mauvaises qualités qui s’abîment. Keef Palas est une métaphore poétique, une manière de rapprocher les gens de la nature dont on s’est beaucoup éloigné. C’est Christian Dior qui disait : « On ne peut se tromper en s’inspirant de la nature ».
Parlez-nous de la manière dont les fleurs sont choisies.
On a commencé avec les fleurs et plantes de nos jardins parce qu’elles étaient à porté de mains mais aussi parce que c’est des plantes de chez nous. L’olivier est le symbole de la Méditerranée. De plus, mon nom de famille est Oliva qui signifie « olive ». Le magnolia est une fleur très belle et aussi bisexuelle. L’immortelle, la plante de Dali et Gala – leur maison à Portlligat en est remplie- est connue pour son pouvoir d’immortalité. L’ail est le végétal de l’Espagne, il est également connu pour être une protection contre les vampires. Le piment quant à lui est un porte bonheur en méditerranée italienne. Les oignons, c’était plus simple. On aime dire qu’il s’agit de boucles d’oreilles qui font pleurer, comme une thérapie. La fleur de coton est la matière première pour fabriquer des vêtements. L’utilisation du blé et de l’avoine est née en lien avec les allergies au gluten. Ce n’est pas une critique ou une réflexion sur l’alimentaire mais sur l’intolérance des gens, notamment en politique. On vit à une période où l’on tolère des choses contre lesquelles on a lutté dans les années 70.
Qu’on soit riche ou pauvre, ce qu’on a de plus précieux et démocratique c’est le temps, la jeunesse.
La Méditerranée est une source d’inspiration forte dans la mode actuelle…
On considère avoir de la chance d’être nées au bord de la Méditerranée. Il y a quelque chose dans l’air qui nous rend sensible à la réflexion artistique. C’est un endroit qui est très beau, avec un style de vie relaxant, qui laisse le temps de réfléchir. Finalement, on a fait ce projet parce qu’on est nées ici mais, dans un futur proche, on veut développer une collection Pacifique autour de la Californie et une collection Atlantique également. C’est intéressant de voir comment travailler avec les plantes et influences issues de différentes régions. On a eu l’occasion de le faire lors d’un workshop en Arménie il y a quelques semaines. Une expérience incroyable.
Les boucles oignons, c’est assez osé. C’est important l’humour au sein de la marque ?
Pour nous, il y a un manque d’humour dans la mode. L’industrie se prend trop souvent au sérieux à l’exception de certaines marques comme Rottingdean Bazaar. La mode a besoin d’une révolution.
Comment expliquez-vous votre succès ?
Les gens trouvent notre projet original mais il ne l’est pas pour nous, c’est la nature, il n’y a rien de plus simple. De plus, toutes les cultures ont fait avec ce qu’elles avaient à disposition que ce soit en Afrique ou même en Suisse. La façon de le présenter est peut-être originale, mais on veut garder la simplicité de la nature.
L’idée du cycle de la vie, du temps qui passe et donc de mort, est également indissociable de Keef Palas.
On aime parler de « fast-luxury ». Qu’on soit riche ou pauvre, ce qu’on a de plus précieux et démocratique c’est le temps, la jeunesse. Keef Palas, c’est réaffirmer que le temps nous rend égaux les uns aux autres. C’est ce qu’on possède de plus luxueux. En Espagne, on a une expression : « el tiempo es oro », autrement dit, le temps c’est de l’or.
Il y a également l’idée de préserver les choses tant qu’elles sont là, renouant ainsi avec une idée de luxe que la mode a beaucoup mis de côté depuis les années 2000.
C’est vrai, mais en même temps, on aime dire que nos bijoux sont le contraire des bijoux traditionnels de nos grand-mères. Il ne s’agit pas d’objets dont on doit prendre soin et que l’on peut transmettre. On les garde au frigo et on les porte tout de suite parce qu’ils vont disparaître. C’est également la raison pour laquelle ils sont présentés sous-vide, manière visuelle de faire comprendre aux gens qu’il faut les consommer rapidement. Ces bijoux sont faits pour être appréciés et non possédés.
Pour vous, Keef Palas est un projet politique ?
C’est une marque de bijoux mais aussi un engagement politique. Beaucoup de choses nous inquiètent dernièrement et c’est la plateforme par laquelle on s’exprime, en posant des questions aux autres mais aussi à nous-même. Notre objectif est de faire réfléchir les gens sur la fast-fashion et plus globalement sur nos habitudes de consommation. Le consommateur a le pouvoir et doit apprendre à faire respecter la nature. C’est ce qu’on a de plus précieux et elle est aujourd’hui en train de disparaître. On peut peut-être vivre sans nature, mais est-ce que cela vaut vraiment le coup ? On est sensible à la réflexion et on pense qu’à travers l’éducation on peut changer beaucoup de choses.
En vente au concept-store A Rebours
46 Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris
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