Depuis quelques années, le secteur de la lingerie s’affaire à évoluer, bousculé par les questions de genre, de corps et de couleur de peau. Mais, comme beaucoup de choses dans la mode, c’est souvent sous l’angle féminin que l’évolution de la lingerie a été analysée.
Contrairement aux sous-vêtements pour femmes, les sous-vêtements pour hommes ont toujours été utilitaires
Pourtant le vestiaire intime masculin change lui aussi, comme le prouve la marque française My Jojo et la marque américaine MENAGERIÉ Intimates. À elles deux, elles montrent que nos dessous en disent plus sur la société que ce que nous voulons bien dire.
Qui a droit à la lingerie ?
C’est un constat simple qui nous a amené à nous poser la question de la considération du masculin au rayon lingerie : dans nos sociétés, les femmes portent de la lingerie et les hommes des sous-vêtements. La lingerie féminine est esthétique – souvent sexualisante – tandis que les sous-vêtements masculins sont pratiques. Pourquoi ces différences ?
« Contrairement aux sous-vêtements pour femmes, les sous-vêtements pour hommes ont toujours été utilitaires, choisis pour leurs qualités sanitaires et protectrices. En conséquence, les sous-vêtements pour hommes n’ont pas été considérés avec la même attention que ceux des femmes », analyse l’historien de mode britannique Shaun Cole dans son essai sur les sous-vêtements masculins écrit pour Show Studio.
Spécialiste dans l’imbrication des questions de genre et de sexualité, il explique : « Cela peut être attribué au fait que les sous-vêtements féminins ont, historiquement, été structurellement plus ingénieux et intéressants comme fondement des nombreux changements dans la mode féminine, ainsi qu’aux qualités fétichistes secrètes dont ils ont été imprégnés ».
L’utilisation de tissus comme la soie, le satin et la dentelle ne devrait s’appliquer à aucun sexe ou identité spécifique
Un son de cloche pas si différent de celui de Roman Sipe, le créateur de MENAGERIÉ Intimates qui depuis 2015 revendique le terme de lingerie pour hommes. « La société nous a appris à croire que cette catégorie de produits sensuels et intimes – sous-vêtements, vêtements de nuit et robes de chambre légères est spécifique aux femmes », écrit-il par e-mail.
« MENAGERIÉ Intimates a été fondé pour briser cette norme de genre afin de créer plus d’espace pour la forme masculine et célébrer l’intimité et le body-positivisme. L’utilisation de tissus comme la soie, le satin et la dentelle ne devrait s’appliquer à aucun sexe ou identité spécifique ».
C’est en fouillant dans ses propres placards à la recherche de ce qui manque au vestiaire masculin que le créateur a réalisé l’absence de choix pour les hommes en matière de sous-vêtements. En tout, ce sont deux pièces de luxe qui l’ont convaincu du bien-fondé de s’orienter vers la lingerie masculine. La première, un boxer en satin noir signé Calvin Klein. La seconde, un boxer effet dentelle issu de la collection automne-hiver 2013 de Versace.
« Personne ne se concentrait sur la lingerie pour hommes en se mettant en parallèle des normes de la lingerie féminine. C’est là que j’ai décidé de créer MENAGERIÉ Intimitates« , se souvient le designer.
"Tous les hommes existent"
De l’autre côté de l’Atlantique, dans notre « douce France », Remy Sbardella a lancé My Jojo fin mars 2019. « J’ai réalisé qu’on voit toujours les mêmes corps : blancs, cis-genre, valides et je me suis demandé la dernière fois que j’avais vu mon père dans les médias, mais aussi pourquoi la question du body-posi a eu une résonance médiatique surtout pour les femmes et pas les hommes… C’est comme ça que MyJojo est né ».
Le constat du jeune entrepreneur ne peut que résonner avec les réflexions qui ont court actuellement au sein de l’industrie de la mode. Si les questions de représentations demandent à voir plus de personnes racisées, âgées et avec une plus grande palette de diversité des corps, on ne peut que remarquer à quel point les hommes restent majoritairement exclus de la conversation.
À quand un mannequin homme plus-size hissé au rang d’une Ashley Graham ? À quand un mannequin handi sur les catwalk du Fashion Month masculin ? Si les progrès dans la mode féminine ne sont pas des plus criants, ils ont au moins l’honneur d’exister.
Le corps masculin est moins sexualisé, il est donc vu comme plus légitime pour les femmes de se défaire des diktats de beauté.
Pour Remy Sbardella : « C’est complexe pour les hommes d’aborder ces questions, car le corps masculin est moins sexualisé, il est donc vu comme plus légitime pour les femmes de se défaire des diktats de beauté. C’est récent qu’on veuille dénuder l’homme et le sexualiser et souvent les réactions sont un cocktail toxique entre homophobie et misogynie. Ce n’est pas viril de partager ses insécurités face à son enveloppe corporelle, un homme viril n’a pas de complexes.
Il continue : « Aujourd’hui encore, la majorité des influenceurs body-posi sont américains, anglais ou brésiliens. En France, il n’y en a peu. Quand j’ai commencé, j’ai compris que mon point de départ était all men are real men soit « tous les hommes existent ». Je veux être la marque la plus inclusive dans la représentation des masculinités en terme d’âge, d’identité, de couleur de peau ».
Changer la société un slip à la fois ?
Si les marques MENAGERIÉ Intimates et My Jojo nous ont tant interpellées, ce n’est pas seulement pour leur esthétique mais aussi parce qu’en plus de se vouloir le plus inclusive possible, ces deux marques de lingerie masculine sont écoresponsables.
Une information qui peut paraître anodine mais qui interpelle, à l’heure où nombreux sont les médias à révéler des sondages selon lesquels se soucier de l’environnement ou de sa santé en portant un masque serait perçu comme « gay » !
Roman Sipe : « MENAGERIÉ est une marque basée sur l’éthique ; créer des produits durables et haut de gamme pour célébrer tous les types de forme masculine. En tant qu’homme queer noir, ma marque peut parler visuellement ou littéralement de la beauté de la diversité. Je souhaite que MENAGERIÉ Intimates accompagne la rupture des normes de genre pour un homme qui perturbent le progrès et provoquent des insécurités qui se transmettent aux plus jeunes ».
Si les hommes passaient plus de temps à écouter et observer le monde qui les entoure, ils réaliseraient à quel point ils souffrent eux aussi du patriarcat
Comme pour contredire ces idées, les deux marques n’hésitent pas à diffuser sur leurs réseaux sociaux respectifs des visuels qui vont à l’encontre des habituels clichés d’hommes en dessous. Associé au jeu de matière de leurs produits, le code couleur détonne également jouant du rose, du rouge et se mêle parfois à des fruits et des fleurs alternant ainsi sensualité et vulnérabilité.
« L’une des valeurs de My Jojo est de prendre soin de soi et du monde dans lequel on vit. L’industrie de la mode est l’une des plus polluantes au monde donc je me devais d’avoir cet aspect en tête », commence Remy Sbardella, « Quant à l’idée selon laquelle se soucier de l’environnement est gay elle est la preuve qu’un homme ne doit pas exprimer ses inquiétudes et montrer qu’il n’en a rien à faire des autres ».
Marie Claire a toujours eu à cœur de soutenir et valoriser les femmes mais dans un monde qui se veut genderless et où le système de valeurs est en passe de devenir une véritable monnaie il semble impossible de continuer à observer les féminités sans questionner la manière dont évoluent ou stagnent les représentations masculines.
« Si les hommes passaient plus de temps à écouter et observer le monde qui les entoure, ils réaliseraient à quel point ils souffrent eux aussi du patriarcat », estime Remy Bardella. Et Roman Sipe de conclure : « Ce que je dis aux hommes qui hésitent sur la lingerie, c’est de se permettre d’être vulnérable d’eux-même pour eux-même. Il n’y a aucune raison d’hésiter à se sentir bien, surtout dans l’intimité de sa propre maison ».
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