Le marché de la seconde main est florissant. Les maisons de luxe, longtemps absentes sur ce créneau, s’y ancrent aujourd’hui.

L’ascension est vertigineuse. En France, le marché du vintage ne cesse de prendre de l’ampleur. En 2020, il représentait plus de sept milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont plus d’un milliard rien que pour la mode. D’après les estimations de ThredUp, l’une des plus grandes plateformes américaines de revente, d’ici à 2027, les ventes de vêtements d’occasion devraient même dépasser celles des grandes enseignes de la fast fashion, et surtout générer jusqu’à 20 % des revenus d’une entreprise de luxe (chiffres Bain & Company).

Pourtant, la seconde main a longtemps été stigmatisée dans le monde du luxe, qui considérait ce canal de vente comme trop dégradant pour l’image des maisons de couture et préférait donc laisser d’autres acteurs investir ce territoire. La situation change radicalement aujourd’hui. Beaucoup de marques haut de gamme l’envisagent désormais comme une opportunité à ne pas manquer, à la fois d’un point de vue éthique – pour valoriser la durabilité de leur création -, mais aussi économique.

En vidéo, le pari du luxe durable de Marina Raphael

C’est d’autant plus vrai qu’à partir du 1er janvier, la destruction des invendus (une pratique très répandue au sein de la fashion sphère souvent passée sous silence) sera interdite. L’industrie de la mode doit donc trouver comment donner une deuxième vie à ses produits. Et le monde du luxe ne veut pas passer à côté de ce marché florissant. «Si l’enjeu éthique et écologique est évidemment fondamental, il s’agit aussi pour le luxe d’une (re)prise de contrôle sur un réel manque à gagner, atteste Marie Dupin, directrice business mode et lifestyle à l’agence de conseil NellyRodi. La façon d’envisager les pièces évolue dans les maisons. Malgré les réticences de certains directeurs artistiques, qui préfèrent faire table rase des créations de leurs prédécesseurs et ne souhaitent avoir que leur vision, on sent que les choses commencent à bouger. Preuve : de nombreuses marques luxe sont en train de reconstituer leurs propres archives».

Stella McCartney (en 2018), Burberry et Gucci (fin 2020) ont été les premières grandes maisons à se lancer sur le créneau de l’occasion en signant des partenariats avec TheRealReal, le dépôt-vente en ligne aux 17 millions d’utilisateurs, qui démocratise le luxe d’occasion depuis dix ans. Grisée par un succès fulgurant (Gucci est l’une des marques de luxe les plus demandées sur sa plateforme), la griffe italienne aux deux G a décidé de lancer, fin septembre, Gucci Vault (coffre-fort en anglais), son propre écrin digital dédié au vintage. Une jupe en soie fleurie de 1999, une ceinture en cuir sixties, un cache-pot au motif Flora des années 1990, ou encore des sacs iconiques des décennies 1950, 1960 ou 1970 : sélectionné parmi ses archives centenaires, chaque article est ici remis à neuf par les artisans de la team florentine, et parfois même customisé par Alessandro Michele lui-même, avant d’être numéroté et enfin proposé à l’achat.

Un second souffle créatif

«Ce projet est le fruit de ma passion pour les objets en général, pour ceux du passé encore plus, pour le vintage que j’ai toujours collectionné, explique le directeur artistique. Mon plaisir est dans la recherche des belles choses. Je le fais dans ma vie privée et, bien sûr, cela a nourri mon travail pour depuis sept ans.» Un coup de maître : quelques heures après le lancement de cette première vente nommée Edition#1 (d’autres suivront tout au long de l’année), la totalité du stock affichait sold out. «Gucci est encore une fois très avant-gardiste, analyse Marie Dupin. Non seulement le label se donne les moyens de gérer son propre marché de seconde main, dont la part du gâteau et les recettes commerciales ont trop longtemps été laissées aux maisons d’enchères (telles Sotheby’s ou Christie’s) ou aux plateformes de revente (Collector Square ou Vestiaire Collective), mais il crée aussi un nouveau désir en donnant un second souffle créatif à des pièces dites d’occasion.»

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En juin dernier, Isabel Marant inaugurait elle aussi sa plateforme de shopping vintage ouverte à tous en permettant de vendre des pièces d’anciennes collections. En échange, un bon d’achat est immédiatement remis au vendeur et peut être utilisé pour s’offrir les dernières nouveautés de la créatrice parisienne. «En lançant leur propre e-shop de seconde main, les enseignes haut de gamme envoient un message fort : on ne détruit pas les invendus, on les remet dans un circuit de distribution, on produit moins à terme, et on propose donc une solution concrète pour tendre vers une mode plus circulaire, continue Marie Dupin. À l’heure du développement durable, les clients ont également pris conscience de l’importance de la dimension intemporelle et de la part investissement des objets qu’ils achètent, dans l’idée de les conserver longtemps, les transmettre ou les revendre.»

Devenir acteur et prendre le contrôle sur le marché de l’occasion. C’est aussi le nouveau défi des grands magasins parisiens du boulevard Haussmann, les Galeries Lafayette et le Printemps, qui viennent d’inaugurer des espaces de plusieurs centaines de mètres carrés entièrement dédiés à la mode circulaire. «Avant l’ouverture de notre étage baptisé 7e Ciel, un consommateur sur deux qui achetait des vêtements ou des accessoires de luxe de première main chez nous allait le revendre ailleurs, explique Nathalie Lucas-Verdier, directrice des achats mode femme et accessoires du Printemps. Le fait de proposer un même lieu d’achat et de revente à nos clientes est une stratégie synonyme de fidélisation et une nouvelle logique de recrutement. Car c’est un fait, 70 % des acheteuses de seconde main font leur premier achat de luxe via du vintage (étude du Boston Consulting Group). Par exemple, une cliente qui vient chez nous pour s’offrir une saharienne Saint Laurent Rive Gauche portée par Jane Birkin dans le Vogue anglais en 1969 ou bien un blouson en cuir Jean Paul Gaultier des années 1990 est une potentielle acheteuse de pièces de première main.»

Esprit de communauté

Devenir acteur du vintage loin de la bulle Internet, c’est également (re)créer un lien humain entre la mode du passé et celle du présent, et donc sans se heurter à des tailles compliquées et à un manque de transparence sur les étiquettes. Un sentiment que partage Alix Morabito, directrice mode aux Galeries Lafayette : «Pouvoir échanger avec des experts sur l’histoire d’une pièce à très forte valeur patrimoniale et créative, poser des questions sur la manière dont elle a été fabriquée ou la matière d’exception dans laquelle elle a été façonnée sont autant d’éléments déterminants dans l’acte d’achat de vêtements vintage. L’esprit de communauté est très important dans l’univers de la seconde main. Et c’est là toute la force d’un espace physique. Personnellement, je suis hypercontente de pouvoir essayer des pièces de style, d’époque, de créateurs et d’univers différents sans avoir à me changer dix fois ou à les renvoyer par la poste».

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